Intervention de Pierre-Yves Le Borgn'

Réunion du 17 septembre 2014 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Le Borgn', rapporteur :

C'est en 1988 qu'a été constitué le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Dès 1990, un premier rapport est publié. Il conclut à une augmentation de la température terrestre et à un changement climatique sous l'effet de la concentration dans l'atmosphère, en raison des activités humaines, de différents gaz à effet de serre. Depuis lors, le GIEC a régulièrement rendu ses conclusions dans le cadre de quatre rapports en 1995, 2001, 2007 et 2014.

Ces rapports ont confirmé le lien entre l'évolution du climat et les émissions de gaz à effet de serre provenant de l'utilisation des combustibles fossiles. Ils ont constaté la nécessité d'en limiter le volume pour maintenir à 2°C le niveau de l'augmentation de la température terrestre par rapport à l'ère préindustrielle, de manière à éviter que les changements ne deviennent incontrôlables et ne menacent même à terme l'habitabilité de la planète.

Tel est l'objet de l'action internationale en la matière, car aucun Etat ne peut agir seul. Le climat relève par nature de l'action collective de la société internationale.

C'est quelques années après la création du GIEC, en 1992, qu'a été adoptée, au Sommet de la Terre, à Rio, la convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CNUCC). Une instance de suivi a ensuite été créée pour examiner annuellement la question climatique, la Conférence des Parties (COP). Elle comprend aujourd'hui 195 membres.

C'est en 1997, sur la base du deuxième rapport du GIEC, qu'est adopté le protocole de Kyoto. Il prévoit, selon les cas, une réduction ou une limitation des émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés et les pays à économie en transition de l'ancien bloc de l'Est. Entré en vigueur en 2005, il porte sur la période 2008-2012, dite « première période d'engagement ».

La conférence de Copenhague en 2009 aurait dû permettre l'adoption du dispositif applicable à l'après-2012. Cela n'a pas été le cas. C'est en 2011, lors de la Conférence de Durban, qu'une procédure de négociation est décidée en vue d'un accord universel et contraignant. Cette procédure est assortie d'un calendrier : 2015 pour l'adoption du futur accord ; 2020 pour son entrée en vigueur.

Ces échéances font dès lors apparaître la nécessité de couvrir la période intermédiaire comprise entre la fin de 2013 et 2020 par un instrument ad hoc. C'est l'objet de l'amendement au Protocole de Kyoto, adopté lors de la COP 18 de Doha, fin 2012, qui prévoit une prolongation et, pour les Etats européens, un renforcement du dispositif de Kyoto, dans le cadre d'une « deuxième période d'engagement », ainsi que différents aménagements.

Il faut rappeler que le protocole de Kyoto est le seul instrument international juridiquement contraignant visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre. Il est articulé autour de deux objectifs : un objectif global de réduction de 5 % des émissions par rapport à 1990, pendant la période 2008-2012, pour les pays économiquement les plus forts, visés à l'annexe 1 de la CNUCC ; des objectifs obligatoires sur les émissions de gaz à effet de serre pour ceux de ces pays qui les ont acceptés, ces objectifs variant de -8% à +10% par rapport aux émissions individuelles de ces mêmes pays en 1990.

Sur le plan technique, le protocole de Kyoto a prévu trois éléments essentiels : une liste des gaz à effet de serre concernés, car, même si le dioxyde de carbone (CO2) est de loin le plus important, d'autres gaz plus ou moins complexes ont également un effet de serre ; une liste des sources d'émissions, distinguant notamment l'énergie, les procédés industriels, l'usage des solvants, l'agriculture et aussi le secteur des déchets ; des flexibilités permettant aux pays d'atteindre leurs objectifs.

Par ailleurs, a également été prévue la prise en compte de l'utilisation des terres, des changements d'affectation des terres et de la forêt.

Les engagements du Protocole de Kyoto ont scellé le principe de différentiation des obligations des Etats à deux niveaux. D'abord, les obligations de réduction ou de limitation des émissions concernent les pays aux économies les plus avancées, soit les pays occidentaux et les anciens pays du bloc soviétique aux économies alors en transition. Ensuite, pour les pays qui s'engagent sur des objectifs chiffrés, le niveau des objectifs individuels varie.

Les Etats-Unis ont signé, mais n'ont pas ensuite ratifié le protocole de Kyoto. Il faut le regretter. Ils ont été le principal émetteur de gaz à effet de serre jusqu'en 2005, date à laquelle la Chine les a dépassés.

Plus récemment, en décembre 2011, le Canada a fait part de son intention de se retirer du Protocole de Kyoto. Cette décision a pris effet le 15 décembre 2012.

L'amendement de Doha vise précisément à prolonger dans le cadre d'une deuxième période d'engagement (2013-2020), avec des obligations renforcées pour certains Etats pour assurer la transition avec le futur accord climatique

De même que pour la première période, les objectifs chiffrés sont à deux niveaux avec un objectif global de -18% pour les émissions de gaz à effet de serre des pays de l'annexe 1, toujours par rapport à l'année 1990 et de nouveaux engagements chiffrés pour 38 pays, dont les vingt-huit de l'Union européenne, ainsi que l'Islande et d'autres Etats tiers ayant souhaité s'engager de nouveau.

Pour l'Union européenne et ses Etats membres, la réduction des émissions est de 20%, conformément à l'objectif défini par le paquet « énergie-climat » de 2008. Pour les autres pays, les niveaux sont voisins.

Plusieurs Etats n'ont pas souhaité s'engager dans une deuxième période : la Russie, le Japon et la Nouvelle-Zélande. On doit le regretter.

L'amendement de Doha a une vertu essentiellement pédagogique, car il ne couvre que 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

L'effet de la réduction du nombre des grands pays concernés est en outre accru par deux éléments : l'apparition, depuis 1990, des pays émergents a mécaniquement réduit le poids des pays de l'annexe 1 du seul fait du rééquilibrage vers le Sud de l'économie mondiale ; seuls les pays de l'Union européenne ayant mené une politique volontariste de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, coordonnée à grande échelle et par conséquent efficace, leur part tend de fait à décroître.

La portée de la deuxième période d'engagement n'est cependant pas à négliger car elle montre qu'un haut niveau de développement n'est pas contradictoire avec la sobriété énergétique, bien au contraire.

En outre, il ne faut pas méconnaître qu'au total 60 pays ont pris des mesures d'atténuation, dont les Etats-Unis, l'Afrique du Sud, l'Inde et le Brésil.

L'amendement de Doha ne se limite pas à une actualisation arithmétique. Il introduit dans le dispositif de Kyoto plusieurs éléments d'amélioration. Ainsi, la procédure permettant à un pays de relever son niveau d'ambition et de diminuer le pourcentage de ses émissions par rapport à l'année de référence est allégée. La question dite de « l'air chaud », c'est-à-dire des quantités excédentaires d'émissions attribuées au cours de la première période d'engagement, est également abordée avec un dispositif d'annulation.

D'autres aménagements techniques visent à renforcer le contrôle des émissions : un ajout à la liste des gaz à effet de serre, avec le trifluorure d'azote ; la modification des règles relatives à l'utilisation des terres, changements d'affectation des terres et de la forêt (UTCATF).

A ce stade, treize Etats seulement ont transmis leur instrument de ratification de l'amendement : le Bangladesh, la Barbade, la Chine, les Emirats arabes Unis, le Honduras, le Kenya, le Maroc, Maurice, Monaco, la Fédération des Etats de Micronésie, la Norvège, les îles Salomon et le Soudan.

Une proposition de décision du Conseil a été présentée par la Commission européenne le 16 décembre 2013. Elle prévoit la date du 16 février 2015 pour la ratification, échéance que les Etats membres doivent s'efforcer de respecter.

L'amendement de Doha est un texte opportun.

D'abord, il est conforme aux engagements de la France et de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique

L'Union européenne a progressivement mis en place, à partir de 2005, le système européen d'échange de quotas d'émissions pour les grandes installations émettrices de CO2, au-delà avec le paquet énergie-climat en 2008, elle a adopté une stratégie intégrée de lutte contre le réchauffement climatique. Son objectif a été de permettre la réalisation des « 3 fois 20 » pour 2020 consistant à faire passer à 20 % la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen ; à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport à 1990 et accroître l'efficacité énergétique de 20 %.

Il ressort des derniers éléments de suivi publiés par la Commission européenne que pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'objectif global de -20% est acquis. Il est même probable que le niveau atteint en 2020 sera de l'ordre de -24%. Ce succès est le fruit d'un effort particulièrement appuyé puisque de 1990 à 2012, le PIB a augmenté de 44% dans l'Union.

Pour ce qui concerne les énergies renouvelables, le niveau global a été de 14,8% en 2012 contre 8,3% en 2004, soit un gain qui permet d'envisager d'atteindre l'objectif en 2020, d'une manière générale.

Pour ce qui concerne en revanche l'efficacité énergétique, l'objectif pourrait ne pas être atteint. Si le secteur des transports est en phase avec les objectifs, tel n'est pas le cas pour le bâtiment où le niveau des coûts de l'isolation est très élevé. Le niveau global devrait rester en 2020 un peu en-deçà de 20%.

Par ailleurs, le budget de l'Union européenne, et plus précisément le cadre financier pluriannuel 2014-2020, prévoit que les dépenses en faveur du climat devraient représenter au moins 20% des dépenses de l'Union, ce qui est très significatif compte tenu des conditions d'engagement en complément des crédits nationaux et de ceux des collectivités décentralisées.

Enfin, le rôle moteur de l'Union européenne est réaffirmé par les débats en cours sur le cadre énergie-climat 2030. La Commission européenne a notamment proposé 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 et 27% d'énergies renouvelables dans le mix énergétique.

La ratification de l'amendement de Doha est une étape importante dans la perspective de deux échéances majeures : le sommet climat du 23 septembre prochain à New York et la COP 21 de 2015 à Paris. Elle s'inscrit dans le calendrier très dense des échéances préparatoires à cette dernière. Après la Pré-COP 20 au Vénézuela en novembre prochain puis le COP 20 de Lima en décembre, il y aura, au cours du premier semestre 2015, le recueil des contributions des Etats, qui constitueront la base du processus d'adoption des objectifs chiffrés lors de la Conférence de Paris.

Il faut donc bien conforter l'engagement moteur de l'Union européenne. Ceci est d'autant plus nécessaire que la Conférence de Doha n'a pas donné lieu à la seule adoption de l'amendement, mais a également conduit à un autre compromis essentiel sur la question du financement.

En effet, les pays développés ont pris l'engagement d'un financement de 30 milliards de dollars entre 2010 et 2012, avec la perspective d'une montée jusqu'à 100 milliards par an à l'horizon 2020, de même que la création de la structure pour les recevoir, le Fonds vert pour le Climat, qui avait été esquissé dès Copenhague et lancé à Cancun en 2010.

Sur le fond, l'urgence à agir pour le climat est indéniable.

Le volume des émissions s'est sans cesse accru et doit être impérativement réduit. Le monde n'a pas encore franchi le cap du pic des émissions de gaz à effet de serre. Or, c'est ce pic qui caractérisera la décroissance nécessaire des émissions.

Dans l'ensemble le bilan du protocole de Kyoto s'avère aussi très mitigé. Si les émissions des 36 pays de l'annexe B du Protocole de Kyoto ont diminué de 24 % par rapport à 1990, seuls les pays d'Europe occidentale et centrale ont réussi à la fois à se conformer à leurs engagements et à diminuer leurs émissions depuis 1997.

L'objectif global a pu être atteint, mais huit pays ont dû avoir recours aux mécanismes de flexibilité pour se conformer à leurs engagements individuels. Et finalement, c'est surtout le résultat de la tertiarisation des économies développées qui a joué plutôt qu'une modification profonde du mix énergétique.

Cette urgence à agir est maintenant reconnue même aux Etats-Unis.

Le climato-scepticisme y a en effet perdu du terrain. Sans mesure législative d'ensemble, mais sous l'effet de la modification des normes relatives aux automobiles et de la substitution du gaz au charbon dans la production d'électricité, les Etats-Unis devraient en 2020 respecter leur projet d'engagement de réduction de 17% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2005, avancé dans la perspective de Copenhague.

Le président Obama a présenté en juin 2013 un plan d'action pour le climat comprenant plusieurs volets, notamment le renforcement de 50% de l'efficacité énergétique des véhicules et des poids lourds d'ici 2025, la réduction des émissions de CO2 des centrales électriques utilisant les combustibles fossiles avec l'objectif de les réduire de 30% d'ici 2030 et l'efficacité énergétique des bâtiments, essentiellement des bâtiments fédéraux avec des normes plus exigeantes.

La question essentielle pour le futur accord climat de 2015 est de savoir quelle sera la nature de l'engagement des Etats-Unis. Tout dépend étroitement de la capacité de dégager au Sénat la majorité exigée pour autoriser la ratification d'un traité climatique qui serait contraignant.

Enfin, plusieurs questions de fond cruciales sont encore en suspens, qui conditionnent la réussite de la Conférence de Paris et l'adoption du futur accord climatique.

La première question est relative aux règles de vérification et de transparence des mécanismes de limitation des émissions de gaz à effet de serre.

La seconde concerne le rétablissement d'un marché carbone avec un prix significatif qui encourage les industriels à faire les investissements nécessaires dans les technologies moins carbonées.

Au niveau de l'Union européenne, le système d'échange de quotas d'émissions qui s'applique à plus de 11 000 installations industrielles, n'a pas convaincu. En 2008, le prix de marché de 27 euros la tonne de CO2 assurait l'intérêt de certains investissements en technologies moins polluantes. L'effondrement rapide du prix, qui a même atteint un minimum de 5 euros la tonne en début d'année, a mis en péril toute cette stratégie. Cet effondrement est dû à l'apparition d'un excédent de quotas initialement attribués, dans le contexte notamment de la crise économique, qui a conduit à un excédent de 2 milliards de crédits, soit une année.

Cet échec est regrettable car le recours aux technologies de captage et séquestration de CO2 est extrêmement coûteux et exige donc un prix du carbone élevé. C'est certainement la technique qui sera impérative pour atteindre à terme une économie totalement décarbonée.

Le rétablissement d'un prix minimal de CO2 est d'autant plus nécessaire que c'est également lui qui donnera la légitimité pour l'inclusion de deux secteurs encore hors champ et pourtant gros émetteurs de gaz à effet de serre : le transport maritime et le transport aérien.

Enfin, la troisième question en suspens concerne le Fonds vert. En l'état, sans un effort majeur, l'objectif de 100 milliards de dollars annuel d'ici 2020 ne sera pas atteint. Les contributions actuellement enregistrées sont loin d'atteindre les niveaux attendus. La principale crainte est que certains pays veuillent s'en tenir à l'écart. C'est ce qu'ont déjà annoncé l'Australie et le Canada. Ni la Chine ni l'Inde ne sont non plus pour l'instant parties prenantes. Des réunions préparatoires sont en cours pour préparer la prochaine échéance qui est la réunion des donateurs, en novembre, avant la COP 20 à Lima.

La France apportera naturellement sa contribution. Une partie du produit de la taxe sur les transactions financières est en principe affectée au Fonds vert. L'aboutissement de ce processus financier avant la fin de l'année est essentiel pour la réussite de la Conférence climat de 2015.

Dans cette perspective et pour toutes ces raisons, l'adoption du projet de loi de ratification de l'amendement de Doha au protocole de Kyoto par la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale est clairement indispensable, et ceci, symboliquement, avant la réunion du Sommet climat à New York le 23 septembre.

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