Intervention de général Bertrand Ract Madoux

Réunion du 24 juillet 2012 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre :

Je commencerai, parce que c'est un sujet absolument majeur, par l'attrait que l'armée de terre peut éventuellement avoir pour les jeunes Français.

J'ai l'honneur d'être responsable d'une armée de terre qui, aujourd'hui, a le plein de ses effectifs – cas unique dans les armées professionnelles des pays occidentaux. Et notre recrutement, qui se fait en fonction du niveau des jeunes gens ou des jeunes femmes, est de qualité. Il faut noter que le taux de féminisation de l'armée de terre est de 10 %, ce qui est une caractéristique de notre armée. Les officiers rentrent sur concours ou sur dossier de bac + 3 jusqu'au master, et les sous-officiers au-dessus du bac. En dessous, nous recrutons des militaires du rang. Mais il est important de noter que notre système de promotion, et c'est une de nos forces, permet d'effectuer de véritables carrières. Ainsi, quasiment 70 % de nos sous-officiers sont aujourd'hui issus des militaires du rang, et un peu moins de 70 % de nos officiers sont issus du recrutement interne, parmi les sous-officiers et les officiers sous contrat. Sous réserve de le vouloir et d'être méritant, il est réellement possible de mener une carrière exceptionnelle au sein de l'armée de terre. Même les jeunes gens qui n'ont pas le BEPC, certains ont simplement le niveau d'entrée en sixième, deviennent en un an de remarquables militaires du rang, qui font l'admiration de tous par leur maturité et leur calme. En quelques années, cinq pour ceux qui nous quittent le plus rapidement, nous en faisons des Français bien accomplis.

Vous vous interrogez fort justement sur l'impact du retour d'Afghanistan et sur la baisse du nombre des opérations extérieures. Je dois veiller à ne pas rendre la vie de ces jeunes soldats ou de ces jeunes cadres, qu'ils soient officiers ou sous-officiers, inintéressante ou répétitive. Certes, je suis moi aussi persuadé, madame la Présidente, que les organisations internationales ne vont pas tarder à demander à nouveau aux pays qui en ont la volonté et le courage de contribuer à assurer la stabilité ou le retour de la paix dans certaines parties du monde. Mais il est tout à fait légitime d'envisager le cas où le retrait de nos troupes d'Afghanistan entraînerait une « marée basse » dans nos opérations extérieures – soit moins de 5 000 hommes engagés dans de telles opérations. Sachez que depuis que j'ai pris mes fonctions, nous travaillons à toute une série d'initiatives destinées à profiter d'une éventuelle accalmie pour faire ce que nous n'avons pas pu faire en période de très fort engagement opérationnel – par exemple donner l'occasion à nos jeunes cadres, aux capitaines et à leurs subordonnés de former dans la durée leurs hommes et leurs équipes, pour les préparer aux engagements futurs.

À cet égard, je voudrais devant vous rendre hommage à l'ALAT qui, au cours des années passées, s'est entraînée seule et avec beaucoup d'application à combattre la nuit, à agir à partir de la mer, à préparer ses équipements et ses équipages. L'année dernière, elle a ainsi été capable en deux semaines, sans préavis, de s'engager en Libye et a obtenu des résultats qualifiés d'exceptionnels par l'ensemble des armées modernes. De fait, en une quarantaine de raids de nuit, nos équipages d'hélicoptères ont détruit plus de 600 objectifs libyens, soit près de la moitié de ce que l'ensemble des forces françaises a détruit au cours de l'opération Harmattan. Ils ont agi dans des conditions extraordinaires d'efficacité et de discrétion, sans perdre ni homme ni machine. Ce résultat n'est pas à mettre au compte de la seule Sainte-Clotilde, la patronne des hélicoptères et des équipages de l'ALAT : c'est le résultat d'un travail dans la durée. Nous pouvons dire la même chose de nos artilleurs et des soldats du génie qui ouvrent les routes en Afghanistan, relevant des engins explosifs improvisés (EEI) qui tuent tant de civils et de militaires.

S'il ne s'agit pas aujourd'hui de « désapprendre » l'Afghanistan, il y a en effet d'excellentes leçons à tirer de cet engagement, nous ne devons pas cependant nous préparer exclusivement à des opérations de ce type car la situation peut être totalement différente sur d'autres terrains.

Vous m'avez également interrogé sur l'hélicoptère NH90 Caïman, dont j'ai évidemment salué l'arrivée près de Valence à la fin de l'an dernier. Nous en aurons probablement un de plus au mois de juillet et deux ou trois autres à la fin de l'année. Mais il faudra encore un an pour obtenir la mise en service opérationnelle de cet hélicoptère, dans la mesure où il nous faut conduire toute une série de tests.

Les premiers résultats sont tout à fait remarquables. Nous avons attendu cet hélicoptère, dont certains de nos partenaires européens, notamment italiens, et nos camarades de la marine nationale sont déjà équipés. Pour faire une comparaison, le NH90 Caïman nous offrirait, en Afghanistan aujourd'hui, le double de capacité d'emport, même par température élevée.

C'est un hélicoptère plein de ressources. Le programme est bien parti, puisque le premier contrat représente deux tranches de 34 hélicoptères, soit 68, et que la cible totale théorique est de 133. Je suis vigilant sur ce programme qui est majeur pour l'armée de Terre et que nous devons protéger des habituelles tentations d'économies et de rationalisations.

Je reste confiant, malgré tout, car le calendrier de la mise en service du NH90 Caïman a permis de réaliser des économies très importantes sur les hélicoptères Puma et Cougar. De fait, la décrue des Puma est d'ores et déjà entamée. Vous le savez tous, les hélicoptères de transport ou de manoeuvre constituent un atout majeur au cours des opérations, qu'elles soient conventionnelles, spéciales, ou qu'elles visent à secourir les populations. À Draguignan, par exemple, des dizaines de personnes ont été sauvées d'une mort certaine et des centaines d'autres ont été secourues dans des circonstances très périlleuses. Ces outils, certes un peu chers par rapport au coût moyen des équipements de l'armée de terre, sont extrêmement importants.

En évoquant le chiffre de 70 000 hommes projetables en 2015, je n'ai pas cherché à provoquer chez vous de choc psychologique. Ce niveau était prévu dans le Livre blanc de 2008 et la loi de programmation militaire qui nous menait jusqu'à 2015. Ce format ne m'inspire pas de crainte car nous avons été associés à sa définition et notre armée a été précisément taillée et construite pour répondre au contrat opérationnel du Livre blanc de 2008. Si nous avons du mal aujourd'hui à assumer tous les contrats opérationnels, c'est du fait d'un problème de moyens : on a en effet « rogné » au fil des années dans les munitions, les stocks, dans les pièces de rechange, dans les crédits d'entretien programmé du matériel. Il ne faudrait pas qu'au nom de nouvelles économies ou de nouveaux renoncements, nous descendions en dessous de ce niveau. Si vous partez du principe que, sur ces 70 000 hommes, 10 000, 15 000 ou 20 000 sont engagés à l'extérieur du territoire et quelques milliers dans les missions permanentes, vous comprendrez aisément qu'on finira par ne plus pouvoir répondre simultanément aux opérations extérieures et à nos obligations sur le territoire national.

Sur le territoire national, nous savons répondre à l'objectif de 10 000 hommes, qui a été fixé par le Livre blanc. Je viens d'ailleurs de signer un plan d'action « territoire national pour l'armée de terre » qui vise précisément à recenser la totalité des capacités des régiments de l'armée de terre. Il s'agit, en partenariat avec tous les acteurs agissant sur le territoire national, de repérer les lacunes et d'essayer de faire porter l'effort dans les domaines où notre contribution serait la plus précieuse.

Je tiens une fois encore à vous rassurer : sous réserve que les moyens donnés à cette armée de terre, ramassée dans son format, soient réunis, je suis confiant sur notre capacité, à l'horizon 2015, à répondre tant aux missions qui nous seront fournies à l'extérieur du territoire national qu'aux besoins éventuels de notre pays sur le territoire national, dans la limite du raisonnable, bien sûr.

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