Intervention de Jacques Moignard

Séance en hémicycle du 22 avril 2013 à 17h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises au mali débat et vote sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Moignard :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, c'est au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste que j'interviens dans le contexte constitutionnel qui prévoit qu'au-delà de quatre mois d'intervention des forces françaises, le Gouvernement soumet au Parlement l'autorisation de sa prolongation.

Début janvier, le Président du Mali, Dioncounda Traoré, lançait un appel au secours en alertant le Conseil de sécurité de l'ONU et en demandant l'aide militaire de la France. En effet, une offensive des groupes armés islamistes contrôlant déjà le nord du pays et venant de s'emparer de la ville de Konna, au centre du pays, menaçait de progresser vers le sud et d'atteindre la capitale, Bamako. Dès lors, la France, unanimement soutenue par le Conseil de sécurité de l'ONU, décidait d'intervenir militairement aux côtés de l'armée malienne et de la Mission internationale de soutien au Mali.

Cette décision était légitime et nécessaire.

Légitime, car le Mali est un pays ami de la France. Jusqu'au coup d'État militaire du 22 mars 2012, nos deux pays ont entretenu des relations étroites. Rappelons que 6 000 de nos ressortissants résident au Mali, que nous avons une langue en commun, des systèmes publics proches, et des relations économiques intenses. La France est le troisième fournisseur économique du pays, derrière le Sénégal et la Chine, avec plus de 120 filiales et sociétés majoritairement basées à Bamako.

Cette décision était également nécessaire car, à défaut, tout un pays aurait été pris en otage. En effet, laisser progresser des groupes terroristes vers le sud aurait menacé l'intégrité territoriale, et donc la souveraineté du pays. Aux mains de terroristes contrôlant tout son territoire, le Mali, entouré de sept États, serait devenu un danger pour toute la région sahélienne, pour l'Afrique occidentale, ainsi que pour l'Europe et le monde.

Quatre mois après le début de l'intervention, l'opération Serval a atteint, pour l'essentiel, les objectifs fixés par le Président de la République. Premièrement, l'agression terroriste est stoppée. Dans le cadre de la mission d'information sur l'opération Serval – une mission à laquelle je participe –, les auditions devant la commission de la défense qui ont eu lieu régulièrement depuis le mois de janvier dernier, des auditions précises, techniques et franches, nous ont permis de constater l'efficacité de la lutte quotidienne sur le terrain. Ainsi, dès les premières semaines, les colonnes de combattants descendant vers Sévaré, dernier verrou militaire avant Bamako, étaient annihilées et les villes de Tombouctou, Gao et Tessalit étaient reprises.

La sécurisation du pays, deuxième objectif présidentiel, a pu se mettre en place, le potentiel de combat des groupes terroristes étant grandement réduit. La prise de l'Adrar des Ifoghas, le sanctuaire d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, en témoigne. Elle aurait permis d'éliminer et de capturer des chefs terroristes, de détruire des dizaines d'ateliers de fabrication d'engins explosifs, de détruire également des moyens de communication modernes ainsi que plusieurs tonnes de munitions.

Les poches de résistance autour des villes de la boucle du Niger, de Léré à Ansongo en passant par Gao et Tombouctou, ont été nettoyées. Les réseaux djihadistes du Sahel, ainsi que leurs filières de commerce de la drogue – et, désormais, des otages – se sont ainsi trouvés très affaiblis. Le retour à l'intégrité territoriale du Mali est donc sur la bonne voie. Cette réussite, nous la devons à l'exceptionnelle qualité opérationnelle de nos forces armées, qui a impressionné jusqu'à la première puissance militaire mondiale.

Cette réussite, nous la devons à l'exceptionnelle qualité opérationnelle de nos forces armées, qui a impressionné jusqu'à la première puissance militaire mondiale. Fortes de 4 000 hommes, très bien préparées, nos troupes ont su réagir dans l'urgence, quelques heures seulement après la décision d'intervention du Président de la République. Pour éviter un enlisement tant redouté, elles ont su, par une guerre de mouvement habile, frapper rapidement et avec précision, démontrant, dans un pays immense, grand comme une fois et demie le nôtre, et dans des conditions climatiques extrêmes, toutes leurs qualités.

Les combats ont souvent été très violents. Les forces françaises ont eu affaire à des troupes bien entraînées et équipées, à des combattants aguerris et déterminés, agissant qui plus est sur un sol familier.

Dans le cadre de ces opérations difficiles, cinq de nos militaires sont tombés – monsieur le Premier ministre l'a rappelé tout à l'heure, et nous nous sommes levés pour leur rendre hommage – et plusieurs dizaines d'entre eux ont été blessés.

Malgré quelques faiblesses structurelles de notre défense, que cette intervention a révélées, en termes de ravitaillement en vol, de transport tactique de troupes, de matériel ou de renseignement, la France a montré qu'elle demeurait, militairement, une nation cadre. Par sa connaissance exceptionnelle de l'Afrique, elle reste la puissance de référence. Son siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU est de ce fait pleinement justifié.

Cependant, la France n'a pas vocation à rester indéfiniment au Mali. C'est la raison pour laquelle nous soutenons l'engagement du Président de la République de diminuer progressivement les effectifs de l'opération Serval, de 4 000 hommes actuellement à 2 000 en juillet et 1 000 en fin d'année.

Ce retrait progressif, déjà amorcé, doit être réalisé de façon pragmatique et en fonction de l'évolution de la situation, afin de continuer à sécuriser le territoire et d'éviter toute résurgence des groupes islamistes armés.

Ce désengagement progressif se justifie aussi par le fait que cette intervention présente un coût important pour le budget de la nation : il avoisine, il est bon de le rappeler, 200 millions d'euros depuis le début des opérations ; le surcoût budgété s'élève à 630 millions d'euros pour l'ensemble des opérations extérieures de l'année 2013.

À cet égard, on ne peut qu'être rassuré par la confirmation du Président de la République que le budget de la défense conservera en 2014 son niveau de 2013, tant il est vrai que notre défense ne doit pas souffrir d'une diminution de ses ressources. Il faut le dire : depuis la publication du précédent Livre blanc de la défense, en 2008, les menaces contre notre territoire, loin de diminuer, se sont au contraire rapprochées : le Sahel en est l'illustration.

La nouvelle loi de programmation militaire 2014-2019, prévue à l'automne, devra permettre de préserver, en maintenant l'effort budgétaire global, l'autonomie d'intervention de la France et sa capacité à conduire les opérations extérieures dans la durée. Cela est d'autant plus vrai que, dans ce conflit, la France a assumé presque seule l'effort militaire destiné à la défense d'intérêts en grande partie européens, y compris la protection consulaire des ressortissants de l'Union européenne présents au Mali ou résidant dans l'un des dix-sept États de la zone sahélienne. Cela méritait d'être souligné.

Certes, un consensus international s'est formé à propos de cette intervention, la France ayant su mobiliser tant la communauté internationale que les États africains et nos partenaires européens. De fait, plusieurs États de l'Union européenne – principalement le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique et le Danemark – ont apporté, dans un cadre bilatéral, une aide appréciable à l'opération conduite par la France, en particulier s'agissant du transport logistique.

Toutefois, l'intervention au Mali a confirmé la difficulté de la mise en oeuvre de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne. La mécanique européenne a montré trop d'inertie pour qu'il soit possible d'organiser dans les temps une opération militaire combinée.

Par son intervention, une force européenne de terrain aurait pu apposer la marque diplomatique et militaire de l'Union : au lieu de quoi, les États-Unis sont devenus notre principal partenaire, en termes financiers et opérationnels. Le Conseil européen, à venir, de décembre 2013, consacré à la défense, ne devra pas faire l'économie de ce sujet.

Ce désengagement de nos troupes doit néanmoins être conditionné à une présence accrue de la communauté internationale, car les forces africaines ne sont pas prêtes, il convient de le remarquer, à prendre seules la relève.

Lorsqu'on sait que le territoire malien, grand comme une fois et demie la France – je l'ai précédemment évoqué –, n'est protégé que par 3 000 soldats en passe d'être opérationnels, force est de reconnaître la faiblesse de ce dispositif militaire. Comme cela a été confirmé, la mission européenne de formation de l'armée malienne, dont l'effectif est majoritairement français, a commencé à former – sa tâche devant durer quinze mois –, quatre bataillons de 650 hommes, le premier devant être opérationnel dès septembre 2013.

La mission internationale de soutien au Mali, la Misma, créée par une résolution de l'ONU et placée sous commandement de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, a opéré dès le 17 janvier un déploiement rapide et s'est révélée un appui important, en particulier par la présence de soldats tchadiens aux côtés de nos forces armées.

Cependant, beaucoup de bataillons africains sont arrivés sans équipement et sont restés démunis. Les promesses financières des donateurs, censées y remédier, n'ont pas encore été honorées, hormis – comme je l'ai dit précédemment –, celles des États-Unis.

Ce problème de financement des forces africaines rend par conséquent urgente l'adoption prochaine d'une nouvelle résolution de l'ONU, qui permettra de transformer la Misma en une mission des Nations Unies de stabilisation du Mali. Ce mandat, pour être efficace, devra être robuste, et assumer la mission de contenir les groupes islamistes, de sécuriser les centres urbains dans les secteurs pacifiés, tout en assurant la protection des civils.

La tâche est immense : les trois-quarts des Maliens vivent sous le seuil de pauvreté – cela a été dit précédemment –, l'insécurité alimentaire menace deux millions d'entre eux, le pays compte 260 000 personnes déplacées en son sein et 170 000 Maliens sont réfugiés dans les États voisins.

En soutien de cette future opération de l'ONU, la France a prévu – nous approuvons cette décision –, de maintenir une force parallèle et permanente, basée au Mali, composée d'un millier d'hommes et équipée pour lutter en priorité contre le terrorisme.

La sécurité rétablie devra laisser place à la démocratie et au dialogue, dans un après-guerre qui doit être celui des Maliennes et des Maliens, au coeur d'un État libre et indépendant.

Ainsi, la feuille de route adoptée par le parlement malien, en janvier dernier, telle que prévue par les résolutions de l'ONU de 2012, est un signal fort de la part des autorités du pays, en même temps qu'une étape décisive et très attendue du processus politique, car elle réunit toutes les conditions d'un retour à la souveraineté du pays.

Axée d'abord sur le rétablissement de l'intégrité du territoire national, elle doit permettre, en particulier, la lutte contre l'impunité et la mise en place de discussions avec les représentants légitimes des populations du nord – élus locaux, membres de la société civile et groupes armés non terroristes reconnaissant l'intégrité territoriale du Mali. Seul, ce dialogue nord-sud permettra de préparer le retour de l'État malien dans la région nord. Seul ce dialogue garantira, à long terme, l'efficacité de la lutte contre le terrorisme.

Cette feuille de route prévoit également l'organisation d'élections présidentielles et législatives en juillet prochain, qui permettront de redonner un souffle démocratique, perdu depuis le coup d'État de mars 2012.

Néanmoins, compte tenu de leur proximité, le doute demeure : les conditions peuvent ne pas sembler mûres pour la tenue d'élections libres, crédibles et paisibles. Ce processus politique capital doit donc être soutenu et accompagné par la France, l'Union européenne et l'ONU, afin que le Mali ne renoue pas avec l'instabilité.

Mesdames et messieurs les députés, parce qu'au Mali, la France a su ne pas sombrer dans l'ingérence ni, grâce à sa réaction militaire, dans l'indifférence, il est nécessaire qu'elle puisse continuer l'action entreprise depuis quatre mois pour la paix, dans la durée, aux côtés de la communauté internationale. De fait, je confirme le soutien des députés du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

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