Intervention de Eva Sas

Séance en hémicycle du 10 juillet 2012 à 15h00
Règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2011

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEva Sas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ce débat d'orientation s'inscrit dans un contexte budgétaire difficile pour la France et pour l'Europe. La situation de nos finances publiques est dégradée, cela a été longuement démontré aujourd'hui, et nous partageons vos inquiétudes sur ce point.

La dette française atteindra en fin d'année près de 90 % du PIB ; la charge de la dette est devenue le premier poste de dépenses de l'État ; le poids de nos engagements financiers nous contraint et obère les politiques publiques.

La situation de nos finances publiques est dégradée et elle pourrait se dégrader plus encore. Oui, monsieur le ministre, nous sommes conscients qu'un risque d'emballement de la dette existe. Même si les taux auxquels la France emprunte sont historiquement bas, nous ne pouvons ignorer la nécessité de prévenir une hausse sensible de ces taux qui affecterait le budget de la France et l'économie tout entière. Nous partageons donc, monsieur le ministre, votre souci de remettre la France sur une trajectoire de réduction des déficits publics.

Il faut néanmoins rappeler, chers collègues, que le déséquilibre des finances publiques n'est pas à l'origine de la crise que nous traversons. Il résulte principalement de deux éléments : une dégradation brutale de la conjoncture économique qui a grevé nos recettes fiscales ; une politique d'allégements fiscaux incessants pour les plus aisés et pour les grandes entreprises, qui a affaibli durablement les moyens de l'État.

De cette analyse nous tirons deux enseignements pour l'avenir : d'une part, le redressement de nos finances publiques ne se fera pas sans redressement de l'emploi et de l'activité ; d'autre part, pour retrouver l'équilibre structurel de nos finances publiques, nous devons rétablir nos marges de manoeuvre fiscales dans la justice et dans l'équité.

C'est pourquoi nous partageons, monsieur le ministre, les options que vous proposez dans ce premier collectif budgétaire. Oui, le redressement des comptes publics ne peut se faire sans justice fiscale, sans le rétablissement, en particulier, de la progressivité de l'impôt et sans une lutte constante contre l'évasion fiscale. En ce sens, nous sommes particulièrement satisfaits de voir que vous revenez sans délai sur trois réformes particulièrement inéquitables, conformément aux engagements que nous avons pris ensemble devant les Français : la baisse des taux de l'impôt sur la fortune, la baisse des droits de succession des contribuables les plus aisés, et les exonérations sur les heures supplémentaires.

Nous partageons vos premières options en matière fiscale et nous partageons aussi votre souci de l'efficacité de la dépense publique.

Nous apporterons d'ailleurs notre pierre à cet édifice en portant des propositions d'économies, pour mettre notre budget en cohérence avec l'ambition qu'a porté le Président de la République : « faire de la France la nation de l'excellence environnementale ». Dans cette logique, nous proposerons des économies sur toutes les dépenses fiscales et budgétaires qui, au lieu d'engager notre pays sur la transition vers un nouveau modèle de développement économe en ressources, subventionnent au contraire la dépendance énergétique.

Nous ne pourrons pas sortir durablement de cette crise sans prendre en compte l'épuisement des ressources qui en a été, au moins en partie, à l'origine. Toute relance, qu'elle soit libérale ou keynésienne, se heurtera inexorablement à l'augmentation immédiate du prix des matières premières, au premier rang desquelles l'énergie.

Faut-il rappeler qu'entre 2003 et 2008 le prix du baril du pétrole avait été multiplié par cinq, et que c'est l'une des causes de la crise que nous connaissons ? Faut-il rappeler que depuis 2009 le prix du baril augmente dès que les perspectives économiques s'améliorent, et vient stopper net toute reprise de l'activité ? Faut-il rappeler enfin que sur les 70 milliards d'euros déficit commercial en 2011, 62 milliards d'euros sont dus à la facture énergétique et donc principalement à l'importation d'hydrocarbures ?

C'est pourquoi nous proposerons, dans l'équité et la justice, de réaliser des économies budgétaires sur toutes les dépenses qui subventionnent cette dépendance énergétique, notamment l'exonération du kérosène sur les vols intérieurs qui coûte 1,3 milliard d'euros par an au budget de l'État. Cet amendement a été maintes et maintes fois discuté dans cette enceinte mais je crois qu'est venu le temps de sa mise en oeuvre.

Comment expliquer, en effet, que les Français les moins aisés doivent s'acquitter de la taxe intérieure sur les produits pétroliers chaque fois qu'ils font le plein alors que ceux qui prennent l'avion en sont exonérés, et ce alors même que cette taxation est possible puisqu'elle a été mise en place aux Pays-Bas ? Les écologistes sont des gens persévérants, monsieur le ministre, et nous ne doutons pas que cette iniquité soit prochainement corrigée.

Plus globalement, monsieur le ministre, l'ensemble des subventions et exonérations nocives à l'environnement est évalué par les associations environnementales à 33 milliards d'euros. Les travaux du Centre d'analyse stratégique, du ministère du budget et ceux de la commission des finances du Sénat sont convergents et soulignent l'incohérence de la politique fiscale et budgétaire en matière environnementale. À l'heure où nous opérons un redressement de nos finances publiques, il serait impensable que nous continuions d'une main à subventionner les comportements polluants et de l'autre à investir, par exemple, dans le grand plan d'isolation thermique des bâtiments.

Comme vous, nous sommes soucieux d'une gestion attentive et efficace des deniers de l'État. Comme vous, monsieur le ministre, nous sommes soucieux de remettre la France sur une trajectoire de rééquilibrage des comptes publics.

Faut-il pour autant adopter des objectifs rigides et intangibles au risque de provoquer un recul de l'activité et de l'emploi ? J'en viens à la question essentielle que nous souhaitons soulever : un ajustement budgétaire trop brutal ne serait-il pas fatal à notre économie et à la situation sociale de nos concitoyens ?

Notre économie est dans une situation de fragilité exceptionnelle. En mai, pour la première fois depuis 1999, le nombre de demandeurs d'emploi sans activité a franchi la barre des 2,9 millions. En 2012, le pouvoir d'achat devrait baisser de 1,2 %, soit le plus fort recul depuis 1984. Le taux de chômage pourrait encore progresser et toucher 10,5 % de nos concitoyens début 2013. Les restrictions budgétaires trop rigides ne risquent-elles pas de conduire notre économie si fragile à une situation de rupture ?

Les travaux de nombreux économistes tels que Paul Krugman, Lawrence Summers, Éric Heyer et Xavier Timbeau convergent pour montrer que l'impact économique des mesures budgétaires, ce qu'on appelle l'effet multiplicateur, est d'autant plus grand que la situation sociale est dégradée. Cela nous conduirait nous seulement à une récession sans précédent mais également à un repli de nos recettes fiscales qui nous éloignerait de fait de nos objectifs mêmes de réduction des déficits. L'effort à fournir aujourd'hui est donc plus important que celui que nous aurions à fournir demain dans une situation plus stable. Dans cette période exceptionnelle, l'État ne doit-il pas jouer son rôle de stabilisateur plutôt que d'aggraver la crise par des coupes drastiques dans ses dépenses ?

Vous proposez, monsieur le ministre, une réduction de 15 % en trois ans des dépenses de fonctionnement et d'intervention discrétionnaires de l'État. Comment préserver dans ce cadre les dépenses essentielles à la vie de nos concitoyens d'aujourd'hui et à la préparation de la France de demain ?

Je pense notamment à l'hôpital qui souffre d'un manque de moyens criant. Je pense également au secteur associatif qui est en grande difficulté puisqu'il a connu en 2011, pour la première fois, des destructions d'emploi. Je pense enfin aux investissements nécessaires dans les économies d'énergie, les transports collectifs et les énergies renouvelables. Ils sont essentiels pour briser notre dépendance au pétrole mais aussi pour libérer le pouvoir d'achat de nos concitoyens qui paient de plus en plus cher leur essence, et pour leur permettre aussi, tout simplement, d'effectuer leurs trajets quotidiens dans des conditions décentes.

Vous nous dites qu'il faut faire revenir la confiance et vous avez raison. Mais c'est la confiance dans les perspectives d'activité et d'emploi que nous devons rétablir. Les agences de notation elles-mêmes doutent de la capacité des politiques d'austérité à résoudre la crise et dénoncent un programme de réformes qui « risque d'aller à l'encontre du but recherché, à mesure que la demande intérieure diminue en écho aux inquiétudes croissantes des consommateurs en matière de sécurité de l'emploi et de pouvoir d'achat, entraînant l'érosion des recettes fiscales ».

Monsieur le ministre, nous comprenons que vous redoutiez que le poids de la dette n'entraîne une augmentation des taux d'intérêt, un alourdissement de la charge de la dette et une spirale négative qui obère nos capacités à mettre en oeuvre des politiques publiques.

N'existe-t-il pas un risque plus redoutable encore : celui de l'effondrement de notre activité, d'un accroissement sensible du chômage lié aux restrictions budgétaires dont résulterait un affaiblissement durable de notre économie ? Les marchés eux-mêmes ne comprennent-ils pas que le risque le plus important pour notre dette n'est pas tant un prétendu laxisme budgétaire que la récession économique qui affaiblirait durablement nos recettes fiscales et notre capacité à réduire les déficits ?

Ne pas s'inscrire dans une trajectoire de réduction des déficits publics pourrait peut-être nous conduire, dans les conditions actuelles, à un emballement de la dette. Les réduire trop brutalement nous conduit, sans doute plus sûrement encore, à l'effondrement social.

Monsieur le ministre, chers collègues, nous vous l'avons dit, les écologistes ne sous-estiment pas l'effort que la France doit faire pour redresser ses comptes publics, mais ils savent que les Français nous jugeront aussi, et peut-être surtout, à nos résultats sur l'emploi. Ce n'est donc pas au laxisme que les écologistes vous invitent mais bien au contraire à la raison. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs des groupes SRC, RRDP et GDR.)

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