Intervention de Sonia Lagarde

Séance en hémicycle du 25 avril 2013 à 15h00
Renforcement des droits des patients en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSonia Lagarde :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il vient parfois un moment où l'instinct de survie cède le pas au besoin d'apaisement. Au-delà de la sensibilité de chacun, des choix moraux, éthiques ou spirituels, la fin de vie est un moment particulier. Ce n'est pas le moment de la fin du combat, de la mort, mais ce n'est plus tout à fait celui de l'espoir et de la vie. Il s'agit simplement d'accorder une ultime attention au malade, de lui témoigner une ultime compassion, alors que l'on ne peut plus repousser la perspective de la mort.

Au-delà des grands principes de solidarité et d'égalité républicaine, ce sujet nous renvoie simplement à notre devoir d'humanité. Il nous renvoie d'abord à notre humaine condition. Dès l'instant de notre premier cri, elle nous assure d'une seule certitude : le moment de notre dernier souffle viendra, dont on ne sait ni le lieu, ni le jour.

Ce sujet reflète aussi les évolutions de notre société, le vieillissement, les longues maladies et les morts lentes : 70 % des décès ont lieu à l'hôpital, loin du domicile. Même les définitions classiques de la fin de la vie, telles que l'absence de battement de coeur ou l'absence de souffle, ne sont plus opératoires : elles ne constituent plus un cadre aux contours absolument définis. Même la définition biologique de la mort se perd dans une sorte de pénombre. Il n'est donc pas question ici d'opposer, comme dans La Rose et le Réséda, « celui qui croyait au ciel » et « celui qui n'y croyait pas » : il est question de respecter la vie.

Respecter la vie, c'est aussi respecter le fait que nous mourons au temps fixé par la vie elle-même. C'est protéger les patients de l'éventuel arbitraire du médecin en leur permettant, quand plus rien ne parvient à apaiser la douleur, de prévoir et de recourir à la sédation.

Plus profondément encore, ce qui se joue au coeur de ce débat, c'est notre idée de la dignité. La définition de la dignité n'est à la disposition de personne : nul ne peut se prévaloir d'en fixer les critères. Je suis convaincue qu'elle ne tient ni à une position sociale, ni à un état de conscience, ni à un état physique ou de santé : je la crois consubstantielle à l'être humain, à l'humanité. Quel que soit l'état d'une personne, de son corps auquel s'attache cette dignité, et quelle que soit par ailleurs l'image qu'elle a d'elle-même, elle doit être pleinement respectée, jusqu'au bout. Nous avons besoin d'une médecine qui s'attache autant au malade qu'à la maladie, qui ne se dérobe pas quand elle devient impuissante.

Nous avons tous en mémoire ce jeune homme, Vincent Humbert, bloqué sur son lit de douleur pendant trois ans, qui demanda à sa mère de lui ôter la vie. Cet acte – impensable pour une mère – devait ébranler les certitudes et aboutir à la loi de 2005, qui fit l'unanimité. À la suite du rapport Sicard, il s'agit aujourd'hui de préciser cette loi. La tragédie de ce jeune homme, c'est celle de la douleur extrême, de la souffrance insupportable. Il est significatif que la douleur extrême soit encore, ici ou là, inhumainement utilisée pour casser les plus nobles résistances.

Rien n'est donc plus important que de combattre la douleur extrême tout au long de la vie, jusqu'au bout de la vie, y compris lorsque les actes qui tendent à l'apaiser peuvent avoir pour conséquence de précipiter la fin d'une vie qui s'en va. Cette vie est souvent déjà partie, parce qu'elle a perdu tout son sens, parce que ce qui fait l'essence même de son humanité, le rapport à l'autre, ce seul lien qui permet encore le partage, s'est délité.

Quand l'on est prisonnier, enfermé dans la douleur, dans la souffrance, dans l'isolement ou dans une inconscience définitive, on ne peut plus rien partager, ou l'on ne peut partager qu'insuffisamment. Il faut alors entendre ceux qui, directement ou indirectement, demandent d'apaiser cette vie qui a perdu, dans le gouffre sans fond de la douleur, l'essentiel de sa dimension humaine.

Oui, il faut préciser la loi de 2005, parce que 30 % de nos concitoyens continuent à mourir dans la souffrance, sans traitement sédatif ou antalgique visant à la calmer. Oui, il faut préciser cette loi : si certains médecins appliquent les directives anticipées ou la sédation terminale telle qu'elle est prévue par cette proposition de loi, d'autres ne le font pas. Ils s'abstiennent d'y recourir par manque d'information ou de formation, et sans doute aussi, parfois, par conviction. On comprend bien la difficulté dans laquelle se retrouvent certains médecins qui utilisent des doses jugées suffisantes, parce qu'à la limite de la toxicité théorique, et des malades qui continuent à souffrir.

Nous comprenons bien, comme l'a dit le rapporteur, qu'il ne suffit plus, pour supprimer la douleur ou l'atténuer, de fixer la dose de morphine nécessaire en fonction des prescriptions du dictionnaire Vidal. Il s'agit en réalité de remédier à la souffrance morale et de faire disparaître l'angoisse, même si c'est au prix d'une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu'à l'endormissement ou l'anesthésie générale. Nous comprenons bien que la vocation d'un médecin est de sauver des vies, mais quand il n'y arrive plus, son devoir est de faire en sorte qu'elles se terminent sans souffrance et dans la dignité. Nous comprenons bien qu'au fond, une nouvelle relation se noue entre le praticien et le patient, une relation qui n'est plus mécanique, mais subjective.

Pour toutes ces raisons, et d'autres encore sans doute, la loi de 2005 relative aux droits des patients en fin de vie a été insuffisamment appliquée. Le mérite de cette proposition de loi est de faire en sorte qu'elle le soit autant que possible. Son mérite est aussi d'avoir conservé l'esprit de la loi de 2005, qui avait su ménager un écart entre l'éthique et le droit. C'est enfin d'avoir choisi une voie médiane, où la mort n'est plus une ennemie que l'on fuit par tous les moyens. Nous sommes entrés dans une culture nouvelle, celle des soins palliatifs. Il faut maintenant tracer un chemin, et préciser les contours de cette nouvelle culture. Ce travail se poursuivra sans doute encore longtemps.

En 2005, il fallait légiférer pour combler le vide juridique. De même, aujourd'hui, il faut légiférer pour préciser la loi. Cette précision sera à la fois libératrice et protectrice. En effet, la diversité des situations renvoie nos concitoyens à des interrogations sur la frontière, parfois incertaine, entre la légitimité et la légalité.

Cette proposition de loi compte deux articles. Le premier porte sur la sédation terminale, le second sur les directives anticipées. Ils sont importants : ils doivent permettre aux malades d'être effectivement accompagnés dignement jusqu'au bout de leur vie, de pouvoir choisir de terminer leur chemin chez eux s'ils le désirent, soignés et soulagés aussi bien qu'à l'hôpital, entourés de ceux qui les aiment et leur apportent affection et réconfort.

Cette évolution ouvre des possibilités profondément apaisantes pour ceux qui vivent des situations difficiles dans le domaine de l'intime. Elle est aussi un élément éthique et fédérateur dans le domaine sociétal, comme pour la vie politique. Dans ce même esprit d'apaisement et de liberté de conscience, et parce que nous touchons là à l'intime, le groupe UDI a souhaité laisser à chacun de ses membres leur liberté de vote. Pour ma part, je voterai pour ce texte.

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