Intervention de Lionel Tardy

Séance en hémicycle du 21 mai 2013 à 15h00
Autorisation de légiférer pour accélérer les projets de construction — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionel Tardy :

Or l'essentiel, à mes yeux, est là : dans les mesures qui seront effectivement applicables. Sur ce point, on peut affirmer que le Parlement est absent ; c'en est même affligeant !

Lorsque les ordonnances sont ratifiées, ce qui n'est pas toujours le cas – je pense à plusieurs ordonnances remontant à 2011 – cela se fait par amendements, lesquels, souvent, ne suscitent pas le moindre débat.

Ces dix dernières années, les ratifications d'ordonnances ayant pris la forme d'un projet de loi inscrit à l'ordre du jour doivent se compter sur les doigts d'une main.

Il arrive parfois que quelques amendements soient débattus lors de la ratification mais ils portent toujours sur des points très précis ; le reste de l'ordonnance n'est même pas examiné. Nous ratifions à l'aveugle, alors même qu'une partie substantielle de notre législation, notamment sur le plan technique, passe par ce biais.

La réforme constitutionnelle de 2008, qui a supprimé les ratifications implicites, n'a pas changé grand-chose à cet état de fait. Cela me dérange profondément, car il s'agit là d'un dessaisissement du Parlement.

Or, notre rôle dans le processus d'élaboration de la décision publique est important. L'examen par le Parlement représente l'étape publique de l'élaboration d'un texte. Même si, dans les faits, l'essentiel des décisions et des arbitrages est rendu en amont, la discussion parlementaire est irremplaçable, car publique. Ce moment où tout doit être mis sur la table en pleine lumière, avant validation définitive de la décision, est absolument nécessaire.

Le coeur de notre rôle au sein de la Ve République est là, mes chers collègues : obliger le Gouvernement à expliquer ses choix, à donner les tenants et les aboutissants tout en veillant à ce que les parlementaires, certes, mais aussi tous ceux qui veulent se saisir des textes, disposent du temps nécessaire pour les analyser et produire leurs observations.

Vu les moyens matériels dont nous disposons, il ne faut pas nous leurrer. Il nous est impossible, à moins d'être des experts, d'analyser les textes en profondeur. Nous pouvons détecter les points litigieux ou ceux qu'il faut creuser, mais d'autres que nous se chargent de l'analyse en profondeur et nous la transmettent, afin que nous l'utilisions dans le débat.

Cette phase est essentielle, car elle limite l'action du Gouvernement. Celui-ci évite d'aller aussi loin qu'il le voudrait car « cela va se voir » : cela ne passera pas, car c'est inacceptable, ou cela entraînera des demandes d'explications et attirera l'attention sur d'autres points. C'est un garde-fou, un rail de sécurité.

Le fait que la procédure existe et que les choses devront être mises en lumière influence profondément l'ensemble du processus décisionnaire. Démocratiquement, c'est vital ! Malheureusement, les ordonnances échappent trop souvent à ce processus de mise en lumière. Même si, globalement, elles ne semblent pas donner lieu à des dérapages majeurs, il n'est pas mauvais d'éliminer ce qui demeure, dans la fabrication de la loi, un angle mort.

L'un des aspects sur lesquels nous devons agir et où, justement, les ordonnances sont largement utilisées, est l'inflation normative. Depuis quelque temps, le Sénat se penche avec attention sur les normes et leur impact sur les collectivités locales. Cet impact est tout aussi important, sinon plus, sur les entreprises, chères à notre commission – mais, malheureusement, les sénateurs sont désignés par les élus locaux et non par les chefs d'entreprises, d'où un tropisme aisément compréhensible.

Reste que le problème de l'inflation des normes est bien réel. La plupart du temps, elles passent par des ordonnances. Certes, le droit de l'Union européenne a sa part de responsabilité mais, trop souvent, si ce n'est systématiquement, la France « surtranspose ». Elle ajoute des dispositions qui ne sont pas imposées par la directive et fait passer le tout en bloc.

J'ajoute que l'ordonnance est le véhicule parfait pour que l'administration ou, pire, les lobbies fassent passer sans réelle validation politique des mesures sectorielles qui n'auraient peut-être pas été adoptées si elles avaient fait l'objet de réunions interministérielles et d'un débat public au Parlement. En revanche, une fois la mesure adoptée, il est plus compliqué de revenir dessus.

Voici un exemple typique, contre lequel je me bats sans succès depuis 2009 : cette année-là, l'ordonnance 2009-901, relative à la partie législative du code du cinéma et de l'image animée, a été prise, créant en son article 3 un droit pour les sociétés de gestion de droits. Il est prévu, au détour d'une petite phrase anodine, que : « Les sociétés d'auteurs, d'éditeurs, de compositeurs ou de distributeurs peuvent recevoir de l'administration des impôts tous les renseignements relatifs aux recettes réalisées par les entreprises soumises à leur contrôle. » C'est-à-dire que la SACEM, la SACD et autres bénéficient d'un droit d'accès aux fichiers fiscaux pour vérifier les déclarations des commerçants soumis au paiement des droits.

Je suis tombé sur cette disposition par pur hasard. Malgré plusieurs amendements que j'ai déposés pour la supprimer ou, tout du moins, en débattre, elle existe toujours. Or il me semble contestable que des sociétés civiles, qui se disent de pur droit privé quand on évoque les salaires de leurs dirigeants, disposent de prérogatives de puissance publique pour exercer une activité privée.

On pourrait trouver des dizaines d'exemples tels que celui-là. La situation est donc loin d'être satisfaisante et nous en sommes les principaux responsables !

Comme pour beaucoup de choses, nous avons les pouvoirs, nous avons les moyens, mais nous ne nous en saisissons pas ! Toutes les habilitations passent par un texte de loi : nous pouvons déposer des amendements et nous inscrire comme orateurs dans la discussion des articles.

Il en va de même pour les ratifications : nous pouvons présenter des amendements portant sur l'ensemble de l'ordonnance. Il ne tient qu'à nous, chers collègues, de le faire.

Encore faut-il avoir les moyens de travailler sur le texte de ces ordonnances, et c'est là que le bât blesse : individuellement, c'est une mission impossible.

Ce ne peut être que le résultat d'un travail collectif mené dans le cadre de la commission. Je m'adresse donc à vous, monsieur le président de la commission des affaires économiques, car c'est vous qui détenez la clé. De plus, je vous sais attentif aux pouvoirs du Parlement et peu disposé à laisser trop de place aux ordonnances.

Les outils existent déjà pour un contrôle parlementaire des ordonnances. L'essentiel, selon moi, est de contrôler le contenu de l'ordonnance, une fois promulguée.

Il se trouve que le Gouvernement est obligé de déposer systématiquement un projet de loi de ratification. Celui-ci n'est pourtant jamais inscrit à l'ordre du jour, l'ordonnance étant validée du seul fait du dépôt de ce texte, non de son adoption.

À partir du moment où le projet de loi est déposé, il est renvoyé à une commission. Il est alors tout à fait possible de désigner un rapporteur ! Celui-ci examinera l'ordonnance, procédera à des auditions et rendra un rapport qui pourra être examiné en commission. Nul besoin qu'un texte de loi soit formellement inscrit à l'ordre du jour de la séance publique pour qu'il soit examiné et adopté en commission.

Mais l'essentiel du problème vient du manque de temps. Qu'il s'agisse de la séance publique ou des réunions de commission, il existe une limite. Nous ne pouvons passer notre temps en commission et il y a tellement à faire : examen des projets de loi, auditions, examen des rapports d'information. Je conçois aisément qu'il reste peu de place pour les rapports sur les ordonnances.

Toutefois, ce n'est pas un problème si l'on adapte nos méthodes de travail, ce qui nécessite que l'ensemble des commissaires s'astreignent à une discipline.

L'important, à mes yeux, est qu'un rapport soit écrit sur chaque ordonnance afin de fournir aux parlementaires, mais aussi à l'ensemble des citoyens, une information sur le contenu de l'ordonnance ainsi qu'une analyse un tant soit peu politique et, surtout, indépendante du Gouvernement.

Actuellement, le rapport au Président de la République, annexé à l'ordonnance, constitue le seul dossier explicatif. Qu'il y ait un deuxième son de cloche ne me semble pas inutile au bon fonctionnement de notre démocratie.

Parfois, un débat sera nécessaire. Il ne sera pas systématique, notamment si le contenu de l'ordonnance, satisfaisant et consensuel, n'appelle pas de commentaires. S'ils le souhaitent, les groupes politiques ou certains commissaires pourront aussi s'exprimer sans qu'il soit utile pour autant d'organiser un débat, par le biais de simples contributions écrites annexées au rapport. Approuver le rapport sans débat par un vote en commission prend moins d'une minute, monsieur le président.

Sans doute cela alourdira-t-il quelque peu la charge de travail des administrateurs des commissions, mais ils en ont vu d'autres et ils sont tout à fait capables d'absorber cette charge supplémentaire (Sourires), d'autant qu'elle peut être répartie dans le temps. Les ordonnances entrant en vigueur dès leur publication, il n'y a aucune urgence à procéder à la ratification. Pendant les périodes de surchauffe, comme la commission des affaires économiques en a connu à l'automne dernier, on peut très bien laisser ces dossiers de côté et les reprendre quand l'agenda est plus calme.

L'existence d'un rapport, donc d'un texte de la commission, est nécessaire pour que le texte vienne en séance publique et que l'ordonnance soit ratifiée. Cela peut aller vite si le travail a été bien mené en amont et que le contenu de l'ordonnance ne fait pas problème. Il suffit d'utiliser la procédure simplifiée, qui existe dans notre règlement et qui sert surtout pour les ratifications de conventions internationales. Là encore, monsieur le président, cela prend moins d'une minute.

Ratifier les ordonnances est utile : cela leur donne un niveau législatif et joue sur le contentieux, notamment constitutionnel. Une ordonnance ratifiée peut faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité car elle est de niveau législatif, alors qu'une ordonnance non ratifiée est de niveau réglementaire.

On a déjà vu le Conseil constitutionnel prononcer des non-lieux à statuer sur des QPC dirigées contre un texte en apparence législatif, qui était en fait le résultat d'une ordonnance non encore ratifiée. Alors que le plaideur aurait pu gagner sur le fond et voir le cours de son procès changer, il a perdu pour un motif de pure forme, ce qui n'est pas satisfaisant et porte un préjudice réel.

Nous ne pouvons donc traiter à la légère la question de la ratification des ordonnances et laisser traîner les choses comme c'est le cas aujourd'hui.

Tel est, monsieur le président de la commission des affaires économiques, le message que je souhaitais vous adresser cet après-midi.

Quand on sait les utiliser, les ordonnances sont un outil utile, qui peut permettre d'aller vite, de désengorger le calendrier parlementaire et d'éviter des débats trop techniques dont les parlementaires se désintéressent, dégageant ainsi du temps pour d'autres activités.

Le Gouvernement a également tout à gagner à ce que davantage de textes passent par voie d'ordonnances sans que cela froisse les parlementaires ou nuise au bon fonctionnement démocratique de nos institutions.

Mes chers collègues, il ne nous reste plus qu'à nous mettre au travail. Je vous remercie.

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