Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 2 octobre 2013 à 15h00
Actualisation de la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 relative à la nouvelle-calédonie - diverses dispositions relatives aux outre-mer — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est la première fois, au cours de cette législature, que nous sommes saisis d’un texte qui traite de la réalité complexe de la Nouvelle-Calédonie. Comme M. le ministre et M. le rapporteur l’ont rappelé, les débats en commission des lois ont montré que ce texte recueillera – c’est en tout cas ce que nous souhaitons – l’assentiment de tous. Dès lors, cette brève intervention portera moins sur son contenu, aussi utile soit-il, que sur son objet.

Il est prévisible que nous aurons à examiner, au cours de cette législature, des évolutions nécessairement importantes pour ce territoire. Peut-être devrons-nous nous prononcer sur ce que le Premier ministre a appelé, lors de son discours à Nouméa, le 26 juillet dernier, « une solution consensuelle réunissant l’ensemble des forces calédoniennes » qui pourrait « entraîner une révision de la Constitution », car cette solution conduirait à poser au corps électoral une question différente de celle qui figure dans l’Accord de Nouméa et dans la loi organique. Vous avez d’ailleurs, monsieur le ministre, rappelé cette position lors de votre déplacement en Nouvelle-Calédonie qui s’est terminé hier.

Comme les uns et les autres l’ont déjà dit, vingt-cinq ans ont passé depuis les accords de Matignon, et quinze ans depuis l’Accord de Nouméa. Quelques mois nous séparent des prochaines élections qui mandateront le Congrès de Nouvelle-Calédonie pour organiser, avant 2018, la consultation prévue par l’Accord du 5 mai 2008. Il est donc logique que la commission des lois décide d’accorder une attention soutenue à l’avenir de ce territoire.

Si ce dernier a pris en main son destin, afin de définir un avenir partagé entre les différentes communautés, ce fut grâce à des décisions juridiques audacieuses. La Nouvelle-Calédonie est ainsi une collectivité d’outre-mer à statut constitutionnel particulier. Un titre de la Constitution, le treizième, lui est exclusivement consacré. Après avoir été abrogé en 1995, ce titre a été ressuscité trois ans plus tard par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998. Il comporte depuis lors deux articles tout à fait différents. Preuve de sa dimension dynamique, il s’intitule « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». Son contenu est exceptionnel : la révision n’a pas donné dans la demi-mesure !

Ainsi, la République n’a pas hésité à questionner ses fondements. La définition de la citoyenneté connaît en effet, sur le territoire, une définition restrictive. On peut ainsi considérer qu’il s’agit moins de dispositions constitutionnelles particulières que d’une autre Constitution, celle de la Nouvelle-Calédonie que le texte de 1958, bien accueillant, abrite dans son titre XIII. Aussi est-ce utile de bien comprendre la spécificité des mécanismes qui régissent les institutions calédoniennes. C’est l’un des objets de la mission que j’ai eu l’honneur de conduire au début du mois de septembre, avec René Dosière et de Dominique Bussereau, qui sont sans doutes les membres de la commission des lois qui connaissent le mieux la réalité complexe de la Nouvelle-Calédonie. D’ailleurs, nous présenterons très rapidement à l’Assemblée nationale nos observations.

Je vous livrerai d’ores et déjà quelques convictions personnelles. J’espère le faire avec la modestie qui convient à une histoire aussi lourde, et à des mémoires où se côtoient des ombres et des lumières. J’espère aussi le faire avec la distance que permet l’observation froide d’une réalité qui connaît le prix de l’unité et de la sagesse.

Les prochains défis de la Nouvelle-Calédonie seront économiques et sociaux. Hier, ils étaient avant tout institutionnels. La réponse fut la création, par les accords de Matignon et d’Oudinot, d’un axe horizontal suivant lequel le territoire fut structuré en trois provinces permettant de confier à chacun des espaces de contrôles et de gestion. Ces collectivités territoriales sont administrées par des assemblées élues au scrutin proportionnel. Les principes de collégialité et de proportionnalité organisent la composition et le fonctionnement du Gouvernement comme du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Puis les défis furent principalement politiques. L’accord de Matignon dessina alors un axe vertical suivant lequel la métropole transférait la plupart des compétences de gestion, ne prévoyant de conserver, après trois étapes de cinq années, que les compétences de souveraineté. Selon un processus graduel et irréversible, les institutions du territoire élargissent ainsi leur pouvoir législatif autonome, puisque le législateur national ne peut plus intervenir dans les domaines de compétence reconnus au législateur calédonien.

Il y a beaucoup à dire sur le rythme auquel ces transferts ont été effectués. Je regrette notamment que l’Assemblée nationale ne s’y soit pas intéressée de plus près. Mais si la situation n’est pas aussi idyllique que certains le disent, ce n’est pas, à mes yeux, dans ce domaine que s’accumulent les principaux nuages. Ces nuages jettent une ombre sur le domaine économique. La Nouvelle-Calédonie a connu ces dernières années une prospérité économique tout à fait exceptionnelle. Ses taux de croissance ont été soutenus, l’inflation a été contrôlée, la construction des usines et l’exploitation des ressources minières ont permis de procurer des emplois et des revenus à bien des familles.

Mais cette prospérité est fragile. Les prix élevés sont symptomatiques des dysfonctionnements d’une économie où subsistent des déséquilibres importants. Pour prendre un exemple, le niveau des inégalités est globalement très élevé. Or il est rare d’entendre des propositions pour résorber ces difficultés à venir – c’est en tout cas le sentiment que j’ai eu pendant les huit jours que nous avons passé en Nouvelle-Calédonie. Pour prendre un autre exemple, dans une conjoncture de baisse des prix du nickel et de l’impôt sur les sociétés minières, le territoire a besoin de nouvelles recettes fiscales.

Il faut à ce titre saluer l’engagement personnel du Haut-commissaire, qui a su permettre la signature du protocole d’accord sur la vie chère, signé le 27 mai 2013 après douze jours d’une grève dite « générale ». Le fait que le Haut-commissariat soit devenu le centre de la négociation est d’ailleurs en lui-même révélateur. En effet, cela ne marque pas tant le retour de l’État que l’effacement du Congrès et du Gouvernement.

Il faut en effet rappeler que l’État n’a plus de compétence économique ou sociale en Nouvelle-Calédonie. Curieusement, c’est pourtant l’État qui a su devenir à la fois extérieur et central sur cette question.

Pour autant, aussi précieux qu’ait été ce protocole, il n’engage aucune réforme structurelle dans les domaines économiques et sociaux. L’urgence est pourtant là.

Oui, l’avenir institutionnel passionne ce que Bachelard aurait appelé « les forces imaginantes ». Mais il est frappant de constater que cette passion immodérée de la spéculation institutionnelle inquiète, alors que sa légitime ambition est de rassurer. Cela paraît d’ailleurs inévitable car il n’existe plus de personnalités fédératrices, et les deux grands partenaires du passé ont laissé la place à des mosaïques politiques assez morcelées. Les élections provinciales vont peut-être éclaircir ce paysage – il faut le souhaiter.

Mais elles n’effaceront pas une autre évidence : parce qu’il est neutre, l’État devra être plus qu’un médiateur. Parce qu’il est garant d’un processus, l’État ne devra pas s’interdire de prendre des initiatives. Parce qu’il est cohérent, il appartiendra à l’État de fédérer le cycle qui s’ouvre.

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