Intervention de Alain Zabulon

Réunion du 18 juin 2013 à 8h45
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Alain Zabulon, directeur de cabinet adjoint du Président de la République :

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, merci de m'avoir convié devant votre commission pour vous apporter les éclaircissements et les informations que vous attendez sur l'échange téléphonique que j'ai eu avec Michel Gonelle.

En ce samedi 15 décembre au matin, je suis à mon domicile lorsque le standard de la présidence de la République m'appelle pour me dire que Michel Gonelle, ancien maire de Villeneuve-sur-Lot, qui affirme bien me connaître, souhaite me parler. Je le fais aussitôt rappeler et prends la communication. Dans un premier temps, il me demande s'il nous est possible de nous rencontrer en ville. Je n'en avais malheureusement pas le temps, étant attendu à la Présidence où nous devions porter la main aux derniers préparatifs de l'arbre de Noël, événement important dans la vie de l'Élysée. Je pouvais en revanche prendre dix minutes ou un quart d'heure pour converser avec M. Gonelle et l'écouter, puisqu'il avait pris la peine de m'appeler. Il me dit alors que depuis les révélations de Mediapart sur le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, une dizaine de jours plus tôt, il fait l'objet d'une forte pression des journalistes qui l'accusent de détenir le fameux enregistrement par lequel « le scandale » arrive. Il me dit vivre très mal cette pression, n'être pour rien dans cette affaire et souhaiter se confier à moi. Et là suit un récit, une sorte de confession, où il m'indique que fin 2000, à la suite d'une conversation téléphonique avec Jérôme Cahuzac, dans laquelle celui-ci l'informe de la venue du ministre de l'intérieur pour l'inauguration du nouveau commissariat de Villeneuve-sur-Lot, le portable de Jérôme Cahuzac aurait malencontreusement rappelé le sien. C'est ainsi que s'est retrouvé sur sa messagerie un échange entre une personne présumée être Jérôme Cahuzac – c'est du moins ce qu'il affirme – et un tiers au sujet de ce fameux compte en Suisse.

« Bien, et alors ? », lui dis-je. Il m'indique qu'il a conservé cet enregistrement, l'a fait graver sur CD en deux exemplaires et l'a conservé pendant de nombreuses années dans un tiroir. Il me dit qu'il n'avait absolument pas l'intention de s'en servir contre Jérôme Cahuzac, avec qui ses relations sont désormais apaisées, qu'il est retiré de la vie politique et que ce ne pas là ses méthodes, ni des méthodes en général. Il a conservé ces deux exemplaires de l'enregistrement et fin 2006-début 2007, les a remis au magistrat Jean-Louis Bruguière, candidat à la députation en 2007 contre Jérôme Cahuzac. « Mais je pense qu'il ne s'en ait pas servi », ajoute-t-il aussitôt. J'écoute tout cela avec beaucoup d'attention. Il m'annonce aussi qu'il disposerait d'une lettre qu'il pourrait remettre si nécessaire au Président de la République et me demande en quelque sorte quels sont mes conseils, mes instructions.

À la fois je mesure l'importance des informations qui sont portées à ma connaissance et je m'interroge – j'y reviendrai dans quelques instants. Je ne prends pas de position sur-le-champ, ne lui dis pas « Faites ceci ou ne faites pas cela », mais : « Monsieur Gonelle, je vais d'abord référer en interne, dans ma maison, des informations que vous venez de porter à ma connaissance. Convenons que nous nous rappelons la semaine prochaine. »

Je me rends à la Présidence, comme il était prévu. Je vais voir le secrétaire général de la Présidence, Pierre-René Lemas, à qui je commence à expliquer ce que je viens d'entendre. Il me propose que nous allions voir ensemble le Président de la République. « Cela devrait évidemment l'intéresser au plus haut point. », dit-il Dans le bureau du Président, je rends alors compte en détail au Président et au secrétaire général de l'entretien que je viens d'avoir avec Michel Gonelle. Le Président est très attentif à ce que j'expose et me demande ce que j'en pense. À la fin de l'entretien, il me dit, et ce sans aucune hésitation : « Si vous avez un nouveau contact avec M. Gonelle, s'il doit vous rappeler ou si vous devez le rappeler, dites-lui que ces informations doivent être sans délai portées à la connaissance de la justice. » Il ne me donne aucune autre instruction que celle-ci, ajoutant : « Si ce fameux courrier arrive, nous le transmettrons à la justice, car c'est une affaire qui relève de la justice. »

Le week-end se passe. Le lundi 17 décembre au matin, après notre traditionnelle réunion d'agenda à 9 heures, je constate qu'entre-temps j'ai reçu quelques appels, dont l'un de Michel Gonelle. Je demande à ma secrétaire de me passer ces correspondants, dont Michel Gonelle. Et là se produit quelque chose que je vais détailler car j'ai vu que Michel Gonelle l'avait expliqué avec un luxe de détails dont certains pourraient éventuellement laisser penser à je ne sais quelle manoeuvre de ma part. Les choses sont très simples : au moment où ma secrétaire va me passer Michel Gonelle, dont elle a composé le numéro, je reçois en interne un appel du Palais. Je décroche, la conversation dure un peu, et je ne prends pas Michel Gonelle. Je rate l'appel. Ma secrétaire lui dit : « Je ne vais pas vous faire attendre. Entre-temps, M. Zabulon a pris une communication. Rappelez plus tard ou je vous rappellerai ». Bref, nous nous sommes ratés – j'imagine que ce genre de situation a déjà dû vous arriver.

Je n'ai donc pas M. Gonelle au téléphone en cette matinée du 17 décembre. Le reste de ma journée de travail s'enchaîne, entre réunions et rendez-vous. Je me dis que vraisemblablement M. Gonelle, qui cherche à me joindre, qui attend de ma part une position, une réponse, des instructions, ne manquera pas de me rappeler. Il ne m'a jamais rappelé.

En ce lundi 17 décembre, je me pose quand même des questions. Tout cela s'est décanté dans mon esprit. L'entretien date du samedi. J'ai immédiatement informé le Président de la République. Je précise que le samedi 15, j'ai également passé un coup de fil à Jérôme Cahuzac, auquel j'ai fait part de cet entretien avec Michel Gonelle. Pourquoi l'ai-je fait ? À la mi-décembre – les informations livrées par Mediapart sont toutes récentes –, la majorité des commentateurs et des observateurs donnent crédit à Jérôme Cahuzac de sa bonne foi. On en accorde peu à l'époque aux affirmations de Mediapart. J'ai considéré loyal, en tant que collaborateur du Président de la République, d'informer Jérôme Cahuzac de la teneur de cet échange. Il m'a écouté, notre conversation a été brève – il était, je crois, en rendez-vous ou occupé. Il m'a remercié de ces informations. Il n'avait pas l'air plus surpris que cela. Je me disais déjà à ce moment qu'il était probable que de toute façon, la teneur de cet échange ne reste pas très longtemps confidentielle. La suite l'a d'ailleurs prouvé.

Après cet appel raté du 17 décembre, dès le milieu de la semaine, on commence à parler dans la presse de cet échange avec Michel Gonelle. Je n'ai pas retrouvé précisément d'articles mais en tout cas, le vendredi 21 décembre, tout l'entretien se retrouve dans les journaux. Durant cette semaine du 17 décembre, au fur et à mesure que je réfléchis aux déclarations qui m'ont été faites, je me pose deux ou trois questions. Lesquelles ?

Tout d'abord, je vous le dis très franchement, je m'interroge sur la crédibilité qu'il convient d'apporter à ce récit. En effet, ce qui m'a été exposé le 15 décembre est contraire à ce que Michel Gonelle a affirmé quelques jours plus tôt, et dont je vous donne lecture – je crois qu'il s'agit d'un article de Sud-Ouest, daté du 9 ou 10 décembre. On y cite le nom de Michel Gonelle, ex-maire de Villeneuve-sur-Lot, comme étant le détenteur du fameux enregistrement. « Je n'ai absolument rien à voir avec cette affaire. C'est une plaisanterie. J'aurais gardé un enregistrement pendant douze ans dans un carton sans m'en servir avant ? Puis mes relations avec Jérôme Cahuzac sont très sereines, indique Me Gonelle, qui voit plutôt dans ces soupçons envers sa personne une manoeuvre de communication ou de diversion. » Il va plus loin – je cite toujours : « La thèse d'une origine lot-et-garonnaise de cet enregistrement est une manière habile de brouiller les pistes. C'est une grande manipulation. » Je m'interroge : quand Michel Gonelle dit-il la vérité ? Le 10 décembre, lorsqu'il nie être en quoi que ce soit responsable de cette affaire ? Le 15 décembre, lors de sa « confession » téléphonique auprès de moi ?

Je suis également perplexe que Michel Gonelle ait conservé cet enregistrement, l'ait gravé sur CD, tout en disant n'avoir pas eu l'intention de s'en servir, enfin l'ait communiqué à un tiers – qui n'était pas n'importe qui –, Jean-Louis Bruguière, candidat à la députation.

Enfin, Michel Gonelle, que j'ai connu et côtoyé pendant les deux ans et demi où j'ai été sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot, est un avocat, un homme de loi. Ancien député et ancien maire, il connaît le droit. Pourquoi juge-t-il utile de passer par la présidence de la République plutôt que par la justice pour contribuer à la manifestation de la vérité ? On aurait pu imaginer que face à la pression médiatique, il s'exprime publiquement et explique au cours d'une conférence de presse quel avait été son rôle dans cette affaire, ce qui aurait contribué de manière spontanée et transparente à la manifestation de la vérité.

Je me demande enfin s'il n'y a pas eu là – je pèse mes mots – une forme d'instrumentalisation pour faire connaître, par présidence de la République interposée, le rôle qui a été le sien. Telle est mon analyse en cette semaine du 17 décembre. Lorsque je découvre l'intégralité de nos échanges dans la presse, en particulier dans Mediapart, je me dis que l'affaire prend une autre dimension. Et je n'aurai plus jamais aucun autre contact avec Michel Gonelle.

J'en suis arrivé à la conclusion que l'on a peut-être instrumentalisé la présidence de la République en y produisant un témoignage qui, à l'évidence, aurait dû être porté à la connaissance de la justice, et depuis longtemps, puisque, je le rappelle, l'enregistrement date de 2000. On l'a utilisée pour révéler le rôle de Michel Gonelle en cette affaire. L'attitude constante de la Présidence a été de considérer qu'il appartenait à la justice, et à elle seule, de démêler les fils de la vérité.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les éléments factuels que j'ai cru utile de porter à votre connaissance et que j'ai complétés de quelques éléments d'analyse. Je suis bien entendu maintenant prêt à répondre à vos questions.

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