Intervention de Rémy Rioux

Réunion du 28 mai 2013 à 8h45
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Rémy Rioux, directeur du cabinet de M Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Je ne me rappelle plus la date exacte. Probablement au moment de la démission de Jérôme Cahuzac. Il s'agit de procédures internes à l'administration fiscale.

Troisièmement, la demande d'entraide adressée aux autorités suisses marque une nouvelle étape dans la démarche pour connaître la vérité. C'est l'acte principal sur lequel le ministre est intervenu.

Là encore, il ne s'agissait pas de lancer une enquête parallèle mais de vérifier l'information produite par Mediapart et constamment réaffirmée dans ses articles depuis le 4 décembre : la détention, par Jérôme Cahuzac, d'un compte ouvert à l'UBS, en Suisse, et transféré à Singapour à l'occasion d'un déplacement à Genève au début de l'année 2010. C'est l'accusation précise qui a été plusieurs fois réaffirmée par cet organe de presse.

Pour pratiquer cette vérification, l'administration fiscale disposait d'un instrument juridique délicat à manier mais que le ministre a décidé d'utiliser, la convention passée en 1966 entre la France et la Suisse, qui a fait l'objet d'un avenant le 27 août 2009 puis d'un protocole additionnel et d'un échange de lettres le 11 février 2010. Il ne s'agissait nullement de tenter de « sauver le soldat Cahuzac » mais bien de contribuer à la manifestation de la vérité. Comme l'a dit le ministre devant la Commission des finances, l'affaire durait depuis longtemps et nous avions la possibilité de mettre en oeuvre cette procédure.

L'administration fiscale, que vous interrogerez, a préparé la demande avec le plus grand soin à partir de la fin de l'année 2012. Comme il l'a indiqué, le ministre est intervenu personnellement, par téléphone, auprès de son homologue suisse Mme Eveline Widmer-Schlumpf, trois jours avant l'envoi de la demande officielle par les services fiscaux le 24 janvier. Je n'ai pas assisté moi-même à cet entretien important. Nous voulions une réponse claire, quelle que soit sa nature, de la part des autorités suisses.

La préparation méticuleuse de cette requête et le signal politique donné par le ministre étaient pleinement justifiés. Contrairement à ce que certains ont pu écrire, il est très difficile d'obtenir de telles réponses. Au 15 avril 2013, les autorités françaises avaient formulé 426 demandes de renseignement au sujet des banques suisse. Nous n'avions reçu que 29 réponses, soit 6,5 % du total – les autres demandes étant jugées « non pertinentes » par nos collègues suisses –, et l'administration fiscale a jugé que 6 d'entre elles seulement étaient satisfaisantes. En outre, ces réponses sont produites après des délais très longs.

Bref, il est très difficile d'obtenir des informations précises dans le cadre des procédures d'entraide administrative qui lient nos deux pays.

Comme l'a également expliqué le ministre, les questions posées à l'administration fiscale suisse se fondaient sur les informations dont nous disposions à cette date. De ce fait, elles étaient les plus larges possible.

Dans leur objet d'abord : la DGFiP a interrogé les autorités suisses sur l'existence, la clôture et le transfert éventuels d'un compte dont Jérôme Cahuzac aurait été soit titulaire, soit ayant droit économique, ce qui incluait, le cas échéant, l'intervention d'intermédiaires.

Dans l'espace ensuite : la demande portait également, de façon explicite, sur l'éventualité d'un transfert du ou des comptes vers un autre pays et, le cas échéant, demandait d'indiquer quel était ce territoire de destination « afin de permettre la mise en oeuvre des dispositions d'assistance administrative qui lieraient la France avec ces États ou territoires ». Notre question incluait bien, ab initio, l'éventualité d'un transfert à Singapour ou ailleurs.

Dans le temps enfin, comme l'a reconnu notamment le président de la Commission des finances, M. Gilles Carrez : alors que nous ne pouvions, en droit, demander des informations ne remontant qu'au 1er janvier 2010, nous avons réclamé avec insistance que l'administration suisse aille jusqu'à 2006, date de prescription applicable à la fois, en France, aux deux impôts concernés dans ce dossier, l'impôt sur le revenu et l'impôt de solidarité sur la fortune. S'agissant de l'ISF, la date est plutôt 2007, mais nous avons essayé de remonter le plus loin possible.

J'ajoute que l'administration fiscale a considéré qu'il n'était pas possible d'interroger la Suisse sur toutes ses banques, contrairement à ce que l'on a pu affirmer. Dans le cadre de notre convention avec ce pays, un protocole précise que toutes les informations de nature à identifier avec certitude la banque concernée doivent être transmises. Une question ouverte aurait très certainement été jugée non pertinente par les autorités suisses, entraînant une réponse soit négative, soit dilatoire. Nous voulions surtout éviter cette situation.

Le porte-parole du secrétariat d'État aux questions financières internationales de la Confédération helvétique a d'ailleurs déclaré, le 12 avril, qu'il est possible de formuler une demande sur plusieurs banques éventuelles mais pas sur toutes, car cela reviendrait à une « pêche aux renseignements » interdite par la convention.

Quant à savoir pourquoi l'administration fiscale n'a pas interrogé les autorités suisses sur l'hypothèse d'un compte chez Reyl et compagnie, la réponse est simple : cette hypothèse n'a commencé à se développer qu'au mois de février, après l'envoi de notre demande d'entraide et après la réponse des autorités suisses le 31 janvier. À la date de la requête, nous n'avions pas d'informations de nature à identifier une banque autre que l'UBS. L'administration fiscale a mentionné celle-ci parce que la convention l'exigeait et parce que c'était le seul établissement dont nous avions connaissance.

Je veux souligner l'exceptionnelle rapidité de la procédure. La réponse, je l'ai dit, nous a été adressée le 31 janvier. La DGFiP aura donc mis seulement sept jours pour l'obtenir, et ce moins de deux mois après la parution de l'article de Mediapart.

Tout au long de cette procédure, nous avons suivi les analyses de nos services, sans jamais chercher à les manipuler. J'en veux pour preuve que je n'ai pas contribué à la rédaction de la demande d'entraide préparée par les services compétents et que je n'ai pas vu physiquement la réponse des autorités suisses, remise dès le lendemain de sa réception à la police judiciaire par la direction générale des finances publiques.

Vous vous posez sans doute des questions sur l'épisode malheureux du Journal du dimanche du 9 février. Je m'en pose moi aussi, d'autant que mon nom a été évoqué ultérieurement comme une des sources possibles de cette information et que l'article cite « l'entourage du ministre de l'économie ». Je tiens à dire devant vous que je n'ai aucune responsabilité dans cette opération. Je n'ai évidemment pas commenté auprès de journalistes un document couvert par le secret fiscal et je partage la colère que le ministre a éprouvée à la lecture de cet article et dont il a fait part à la Commission des finances.

Après le départ de Jérôme Cahuzac le 19 mars, nous avons coopéré rapidement et pleinement avec le Parlement. Des courriers ont été adressés successivement aux présidents des deux Commissions des finances, avec copie aux rapporteurs généraux et, en annexe, toutes les pièces utiles que nous pouvions transmettre. Nous avons également rectifié les affirmations inexactes et les amalgames, notamment dans l'article de Valeurs actuelles dont j'ai fait état.

Pour conclure, je me permettrai de citer les propos de Pierre Moscovici devant la Commission des finances : « L'administration fiscale a fait tout ce qu'elle devait faire, tout ce qu'elle pouvait faire, avec diligence et rigueur. Nous avons à chaque étape trouvé le juste équilibre entre la confiance normale et nécessaire au sein d'une équipe gouvernementale et l'obligation de faire preuve d'un doute par principe, d'un doute méthodique pour contribuer à la recherche de la vérité face aux graves accusations, finalement justes, de Mediapart. À chaque étape, nous avons agi dans le respect des institutions de ce pays et conformément aux principes républicains qui les gouvernent. »

Une procédure judiciaire était engagée et des éléments de nature administrative pouvaient contribuer à la manifestation de la vérité. Ma conviction est que le ministre de l'économie a fait ce qu'il devait faire dans ce cadre.

Nous avons agi avec des moyens juridiques imparfaits. Tout le débat ultérieur sur l'échange automatique d'informations pour lutter contre la fraude fiscale, nous l'avons en quelque sorte expérimenté avec la procédure engagée au mois de janvier, qui est très délicate et complexe à manier si l'on veut obtenir une réponse. Fort heureusement, l'autorité judiciaire dispose de moyens tout autres.

Enfin, l'information que nous avons vérifiée était pour partie inexacte, ce qui explique la réponse que nous avons obtenue à l'issue de cette procédure.

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