Intervention de Laurent Collet-Billon

Réunion du 2 octobre 2013 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement :

Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui pour vous présenter ma perception du projet de loi de programmation militaire actuellement en cours de discussion, dont le projet de loi de finances pour 2014 constitue la première annuité.

Cette LPM traduit le maintien de nos ambitions stratégiques, en cohérence avec les orientations du Livre blanc, sur les trois missions fondamentales de dissuasion, dans ses deux composantes complémentaires, de protection du territoire et des populations, et d'intervention sur les théâtres extérieurs.

Malgré un contexte budgétaire contraint, marqué par l'impératif de redressement des finances publiques, le Président de la République a ainsi choisi de maintenir un effort de défense significatif, afin de donner à la France les moyens de mettre en oeuvre un modèle d'armées ambitieux à l'horizon 2025.

Un exercice difficile, visant à conjuguer souveraineté stratégique et souveraineté budgétaire, a été demandé à la mission « Défense ».

Un autre paramètre aura occupé une place majeure, celui de la préservation de notre outil industriel. Il s'agissait d'un impératif pour le Président de la République, personnellement, et pour le ministre de la Défense.

Il a ainsi fallu trouver un équilibre financier en dépit de fortes contraintes, alors que la trajectoire de besoin financier pour les équipements conventionnels prévoyait auparavant une importante croissance, avec une hausse des crédits d'équipement d'environ un milliard d'euros par an entre 2015 et 2020 – en raison de la poursuite du renouvellement des capacités engagé avec la LPM précédente, de nombreux grands programmes étant en cours de réalisation – et que les besoins financiers de la dissuasion – dans la perspective du renouvellement des deux composantes en 2030 et de l'entretien programmé des matériels – sont en croissance, ce qui met sous pression les ressources disponibles pour le reste de nos actions.

Nous avons défini neuf secteurs industriels. Pour chacun d'entre eux, il a fallu trouver le juste équilibre entre développement et production, de façon à concilier les impératifs de viabilité de l'activité industrielle avec les contraintes calendaires d'équipement en capacités militaires.

Je considère que le travail d'élaboration de ce projet de loi de programmation militaire a conduit à un résultat équilibré. Nous aurions certainement préféré que ce soit un peu plus confortable, mais la situation est ce qu'elle est.

Pour le programme 146 « Équipements des forces », qui est le principal programme suivi par la DGA, les ressources prévues pour les grandes opérations d'armement classique, pour les autres opérations d'armement et pour la dissuasion s'élèvent à environ 10 milliards d'euros par an, soit 59,5 milliards d'euros sur la période, se répartissant en 34 milliards d'euros pour les programmes à effet majeur (PEM), 7,1 milliards d'euros pour les autres opérations d'armement (AOA) et 18,4 milliards d'euros pour la dissuasion.

Il s'agit d'un retrait sensible – de l'ordre de 30 % au total, avec 41 % pour les PEM, 18 % pour les AOA et 11 % pour la dissuasion – par rapport à la programmation précédente, devenue insoutenable budgétairement et qui prévoyait une augmentation des ressources d'un milliard d'euros par an en moyenne. Je souligne que pour les AOA cela résulte d'un arbitrage collectif rendu avec le chef d'état-major des armées (CEMA) et les différents chefs d'état-major. En effet, un maintien des AOA à un niveau plus élevé aurait donné plus de fluidité, ces opérations contribuant notamment à la cohérence et au maintien de l'interopérabilité.

Cette évolution s'avère stable, en euros courants, par rapport à la loi de finances pour 2013, ce qui représente tout de même une érosion du pouvoir d'achat égale à l'inflation.

Une part significative de ces ressources – 5,5 milliards d'euros courants, soit 9 % – doivent provenir de ressources exceptionnelles, principalement en début de période : 1,5 milliard d'euros en 2014 et 1,6 milliard en 2015.

Sous l'hypothèse des ressources prévues, le report de charges du programme 146 sera stabilisé durant la nouvelle LPM à son niveau de fin 2013, prévu à environ deux milliards d'euros, les ressources escomptées ne permettant pas de le résorber. Ce report de charges représente environ 20 % des 10 milliards d'euros de ressources annuelles, ce qui constitue une part significative. La fin de gestion de l'année 2013 sera déterminante pour la bonne exécution de la LPM et il n'existe pas de marges pour faire face à des aléas.

Les études amont font l'objet d'un effort particulier – avec un flux moyen de 0,73 milliard d'euros courants par an entre 2014 et 2019 – qui constitue l'un des marqueurs de cette LPM pour l'armement.

La recherche et technologie (R&T) a été une priorité pour le ministre de la Défense dès le début des travaux d'élaboration de la LPM sur laquelle il n'a jamais varié de position.

Ce maintien de notre investissement en recherche et technologie (R&T) est absolument critique pour le maintien de la compétitivité de nos entreprises et leur capacité à répondre aux besoins futurs de nos armées et à proposer des matériels à exporter.

Ces crédits bénéficieront à la poursuite de la préparation du renouvellement des deux composantes de la dissuasion : mise en service du futur moyen océanique de dissuasion (FMOD) en 2030 ; renouvellement incrémental des missiles balistiques ; fabrication à l'horizon 2030 du successeur du missile air-sol moyenne portée améliorée (ASMPA). Ils serviront également à la montée en puissance de la coopération franco-britannique dans le domaine de l'aéronautique de combat – FCAS DP – et des missiles ; au développement des travaux sur la cyberdéfense, qui sera, à n'en pas douter, l'un des enjeux des années à venir ; à l'augmentation de l'effort d'innovation, par le soutien des PME et PMI grâce aux dispositifs du régime d'appui aux PME pour l'innovation duale (RAPID) – qui sera pérennisé et renforcé pour atteindre progressivement 50 millions d'euros annuels – et grâce à l'accompagnement spécifique des travaux de recherches et d'innovation défense (ASTRID), porté avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche pour les projets de recherche animés par des laboratoires académiques et des PME ; au maintien de l'excellence des compétences industrielles dans les autres domaines, même s'il est possible que toutes ne puissent être maintenues durablement à leur niveau actuel.

Parfois, les études amont constituent un palliatif pour fournir des crédits là où il manquerait pendant un temps de l'activité de développement sur les PEM. Cela n'est pas nouveau : on pratique ainsi depuis longtemps pour soutenir la viabilité de secteurs critiques.

L'impact économique et social de l'industrie de défense, fournisseur d'emplois hautement qualifiés et non délocalisables, aura été reconnu tout au long des débats. Les modèles de rupture qui auraient pu sacrifier un secteur ont ainsi été écartés. Les 10 milliards d'euros que la DGA injectera chaque année dans l'industrie de défense devront permettre de maintenir à terme les compétences indispensables à notre autonomie stratégique.

La LPM préserve globalement les neuf grands secteurs industriels : dans le renseignement et la surveillance – sur lesquels nous mettons particulièrement l'accent –, ce sont près de 4,9 milliards d'euros qui sont prévus sur la période, avec un effort particulier pour l'espace qui recevra 2,4 milliards d'euros ; 4,6 milliards d'euros seront alloués à l'aéronautique de combat pour la poursuite de l'amélioration du Rafale et de ses livraisons ; les sous-marins disposeront également de 4,6 milliards d'euros avec la poursuite du programme Barracuda, la transformation des bâtiments actuels pour le passage du M45 au M51 et la préparation du FMOD ; 4,2 milliards d'euros seront attribués aux navires armés de surface avec la poursuite des livraisons FREMM ; 3,9 milliards d'euros seront accordés à l'aéronautique de transport et de ravitaillement pour, notamment, la poursuite des livraisons des A400M et la commande d'avions ravitailleurs MRTT l'année prochaine ; 3,7 milliards d'euros serviront à financer les hélicoptères avec la poursuite des livraisons des programmes Tigre et NH90 ; le domaine des communications et des réseaux percevra 3,2 milliards d'euros pour la poursuite de CONTACT, radio tactique de nouvelle génération, et le lancement de COMSAT NG, successeur de Syracuse III ; 2,7 milliards d'euros seront consacrés aux missiles, dont la filière sera maintenue avec une trame de programmes nouveaux comme le missile moyenne portée (MMP) – successeur du missile d'infanterie léger anti-char (MILAN) – ou le missile anti-navire léger (ANL), développé en coopération avec les Britanniques ; enfin 2,5 milliards d'euros alimenteront le secteur terrestre, qui verra le lancement de Scorpion à la fin de l'année prochaine.

Bien entendu, des ajustements sur l'outil industriel seront nécessaires.

L'impact sera ainsi limité sur les investissements du programme 146 et minimisé par rapport à ce qu'il aurait pu être dans le contexte budgétaire difficile que nous traversons et dans certains modèles de rupture qui ont été envisagés.

Il faudra redoubler d'efforts pour conquérir de nouveaux marchés à l'export afin d'assurer des plans de charge plus confortables.

Afin de dégager des marges de manoeuvre pour lancer de nouveaux programmes et répondre aux besoins capacitaires, les calendriers de livraison des nouveaux matériels – avion de transport A400M, hélicoptères NH90 et Tigre, avion de combat Rafale, frégates multimissions (FREMM), sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda – sont en cours de renégociation et seront aménagés pour permettre la poursuite du renouvellement des capacités initié par la précédente loi de programmation.

Les conditions de réalisation de certains programmes ont déjà fait l'objet d'un accord avec les industriels. Ainsi, concernant le programme Barracuda, le calendrier de livraison des sous-marins a été étiré au maximum, tout en préservant la base industrielle et technologique de défense. Un sous-marin sera livré toutes les deux années et demie en moyenne. Quant au NH90, un engagement industriel sur l'étalement a été obtenu au moment de la contractualisation des trente-quatre hélicoptères TTH en mai dernier. Pour les autres, l'ajustement des calendriers de production est en cours de discussion afin de garantir la viabilité de l'activité industrielle, sans obérer la tenue des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc et en respectant la trajectoire financière dressée par la LPM. L'équilibre de cette dernière repose en partie sur ces renégociations. Ces discussions ne sont pas faciles, car il s'agit de sujets complexes, parfois liés entre eux, mais j'ai confiance dans la compétence et l'implication de mes équipes comme dans le réalisme et la responsabilité de nos partenaires industriels. Elles aboutiront, je l'espère, avant la fin de l'année, car leurs résultats conditionnent l'exécution du budget dès 2014.

Parallèlement à ces renégociations de contrats, nous poursuivons un effort particulier sur le soutien aux exportations.

Le projet de LPM prévoit la livraison de vingt-six avions Rafale sur la période, avec l'hypothèse de contrats à l'exportation permettant de maintenir le rythme de production. Par ailleurs, les dix Rafale marine verront leur système d'armes rénové au dernier standard fonctionnel.

Le projet prévoit également que l'intégration de nouvelles capacités – missiles air-air longue distance MIDEMETEOR et systèmes de désignation à grande distance PDL-NG – sera réalisée dans le cadre du développement d'un nouveau standard et concernera l'ensemble de la flotte Rafale air et marine déjà livrée. Pour mémoire, le Livre blanc a fixé la cible à 225 avions de combat.

Le premier A400M a été livré en août dernier, le deuxième est attendu d'ici à fin 2013 et quatre autres sont prévus en 2014. Le projet de LPM prévoit la livraison de quinze A400M d'ici à 2019. Cela permettra de poursuivre le retrait déjà engagé de la flotte Transall C-160, dont la durée de vie a été prolongée par quelques modifications en cours d'application par les ateliers industriels de l'aéronautique (AIA). À terme, le Livre blanc a fixé la cible globale à cinquante avions de transport tactique.

Le projet de LPM prévoit un étalement du rythme de livraison des FREMM : six frégates en version anti-sous-marine seront livrées d'ici à 2019, les deux suivantes possédant une capacité de défense aérienne.

Une décision devra être prise en 2016 sur les modalités de rejointe du format du Livre blanc de quinze frégates de premier rang. Aujourd'hui prématuré, ce choix devra porter sur la réalisation des trois dernières frégates du programme FREMM, le programme de rénovation des frégates La Fayette (FLF) et un nouveau programme de frégate de taille intermédiaire (FTI) en intégrant l'actualisation du besoin militaire et la situation de l'industrie sur le marché de l'export des frégates de premier rang.

La période de la LPM sera marquée par la fin des livraisons des 630 véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) en 2015, dont quatre-vingt-quinze disposeront d'un niveau de protection adapté aux théâtres d'opérations les plus exigeants. Ce programme fait l'objet de nombreux prospects export et la fin des livraisons confirme la nécessité de lancer le programme Scorpion dans la continuité.

Je rappelle que le lancement des nouveaux programmes a été retardé dans l'attente du Livre blanc de 2013 et de cette nouvelle LPM, afin de ne pas en préempter les choix. Une vingtaine de programmes nouveaux seront lancés d'ici à 2019.

Dans l'aviation de combat, un nouveau standard F3R sera déployé pour le Rafale : il contribuera au maintien de l'activité des bureaux d'études, en lien avec les négociations sur l'étalement de la production des avions de la quatrième tranche de production.

Dans le domaine terrestre, le lancement du programme Scorpion, essentiel au maintien des compétences de l'industrie terrestre, est prévu en fin d'année prochaine ; il s'agit du programme majeur pour la modernisation des matériels de l'armée de terre, qui comprend trois volets : le véhicule blindé multirôles (VBMR), successeur du véhicule de l'avant blindé (VAB) ; l'engin blindé de reconnaissance au combat (EBRC), qui remplacera l'AMX 10RC et qui constitue le moyen blindé d'intervention ; enfin, les systèmes d'interconnexion de tous les pions tactiques de l'armée de terre qui, même s'ils sont moins visibles, sont fondamentaux pour l'efficacité globale de l'armée de terre et lui permettront de changer de siècle.

Le programme d'avions ravitailleurs MRTT sera lancé pour préparer le remplacement de C-135 vieillissants. C'est un programme essentiel, en particulier pour la dissuasion. Il y a différentes initiatives européennes dans le domaine du ravitaillement en vol, mais il est nécessaire pour la France de prendre en compte les particularités de la dissuasion.

Dans le renseignement, plusieurs programmes nouveaux seront développés : les drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE), le système de drones tactiques (SDT) et la capacité de renseignement d'origine électromagnétique spatiale (CERES).

Le domaine spatial, outre CERES, connaîtra le lancement du programme COMSAT NG, successeur du système de télécommunications militaires par satellites Syracuse III. Pour le domaine naval, les principaux nouveaux programmes prévus au cours de la LPM sont les bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH), la rénovation des frégates de type La Fayette, le système de lutte anti-sous-marine (SLAMF), qui viendra compenser le vieillissement de nos chasseurs de mines tripartites, et les navires logistiques FLOTLOG.

Enfin, plusieurs programmes de missiles seront lancés : l'ANL prévu dès cette année, comme le MMP, et plus tard, la rénovation des missiles du système de croisière conventionnel autonome à longue portée (SCALP) et le successeur du missile d'interception, de combat et d'autodéfense (MICA). Ces programmes sont indispensables au maintien des compétences de la filière.

Plusieurs de ces nouveaux programmes seront réalisés dans le cadre d'une coopération européenne, en particulier avec notre partenaire britannique : c'est notamment le cas du SLAMF et de l'ANL. Naturellement, pour les autres programmes, nous continuerons à étudier les collaborations possibles, en particulier avec le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Pologne, l'Italie et l'Espagne, la situation financière des autres pays étant moins favorable.

Concernant les dépenses de personnel, une économie de l'ordre de 4,5 milliards d'euros sur la période est demandée au titre de la déflation et des mesures de « dépyramidage ».

J'ai souligné à mes autorités que cette LPM n'induisait aucun abandon de capacité technique ou industrielle et qu'il était donc impossible d'abandonner le moindre secteur de la DGA. Dans le cas contraire, il faudrait accepter que l'on ne suive plus certains secteurs et qu'on laisse l'industriel faire ; ce n'est pas ma conception. Dans ces conditions, et alors que la DGA a déjà atteint un format optimisé et resserré, qu'a concrétisé une baisse des effectifs de près de 20 % depuis 2008, la part de la DGA dans les déflations prévues par la LPM entre 2014 et 2019 sera recherchée sans abandon de capacités.

Nous contribuerons néanmoins à l'effort collectif : ainsi, entre 2013 et 2019, la baisse des ressources allouées à la DGA sera de 10,1 % en fonctionnement et de 7 % si l'on prend en compte l'investissement, mais en absorbant dans cette enveloppe les 50 millions d'euros d'investissements liés à la cyberdéfense. Je suis attentif au maintien des capacités d'essais des centres, en particulier pour les essais de missiles et pour Bruz en raison de la montée en puissance de la cyberdéfense. Dans ce domaine, qui nécessite des moyens modestes, nous réussissons à recruter très facilement des candidats de très bon niveau, qui sont ravis de se mettre au service de l'État mais qu'il faut accompagner.

Enfin, sur la question du dépyramidage des officiers, il faut relever que les cadres de la DGA ne constituent pas une pyramide d'encadrement au sens militaire, mais bien un ensemble de compétences techniques et managériales adapté aux missions confiées aujourd'hui à la DGA. La DGA regroupe environ 5 000 ingénieurs, dont environ 1 500 possèdent le statut d'officier. Ils sont âgés de trente-cinq à cinquante-cinq ans et disposent de compétences affirmées : c'est une vue de l'esprit de penser qu'il serait possible de les supprimer en gardant le même niveau de compétences techniques et managériales

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