Intervention de Olivier Dussopt

Séance en hémicycle du 11 octobre 2012 à 15h00
Obligation d'informer de la localisation des centres d'appels — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Dussopt :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous prie d'excuser mon collègue Pouria Amirshahi, qui est allé accueillir le Président de la République en visite à Dakar. Je le remplace au pied levé.

Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi vise avant tout à ouvrir un débat sur la délocalisation des services. Vous me pardonnerez donc de ne pas m'arrêter aux seuls centres d'appels, mais de replacer ce débat dans une vision un peu plus globale.

Il est entendu que nous ne parlons pas aujourd'hui d'implantations d'unités nouvelles de nos entreprises à l'étranger qui se font sans transfert d'activité, mais bien des délocalisations, c'est-à-dire d'emplois perdus en France et recréés dans d'autres pays.

Parmi ces délocalisations auxquelles nous sommes confrontés, je distinguerai trois zones ou trois catégories.

D'abord, nos débats européens le montrent, la France est confrontée à des délocalisations au sein même de l'Union européenne : des entreprises quittent notre territoire pour aller en Écosse ou en Pologne, car, au sein même de l'Union, les États membres, qui avaient pourtant décidé d'unir leurs destins économiques, pratiquent entre eux une concurrence sociale et fiscale destructrice. Face à cette dérive, nous devons réussir le pari d'une Europe solidaire, pour laquelle la France plaide à nouveau depuis le mois de mai dernier.

Deuxièmement, certaines entreprises installent leurs sites de production dans les pays émergents d'Amérique latine ou d'Asie, tentées par leur potentiel de consommateurs autant que par un prix du travail moins cher, souvent dû au dumping social. Dans ce domaine, c'est à nous de montrer que nous pouvons, à l'échelle européenne encore, déployer une stratégie de relocalisation et dire que, par des écluses tarifaires ciblées, l'Europe peut se protéger et protéger ses salariés. J'ajoute que de nombreux exemples montrent les limites des stratégies de délocalisations pures : limites en termes de qualité de production et de sécurité au travail ; limite aussi du fait du coût important des frais de transport de marchandises produites ailleurs, mais réimportées chez nous. C'est donc aussi un enjeu écologique et social.

Enfin, il y a l'enjeu méditerranéen, dont Pouria Amirshahi aurait parlé mieux que moi, avec sa connaissance et son implantation. Vous estimez vous-même à 60 000 le nombre d'emplois délocalisés, principalement au Maghreb. Il y a d'autres secteurs concernés, je pense en particulier au secteur automobile. Cette concurrence est d'autant plus nuisible qu'elle génère des rancoeurs des deux côtés de la Méditerranée et, tandis que l'Europe se crispe du fait de sa crise, le Maghreb se tourne vers d'autres partenaires, vivant au fond très mal qu'on lui fasse le procès de s'industrialiser et de se développer économiquement. Or, nos amis et partenaires du Maghreb en ont le droit et nous devons même les aider dans cette stratégie, car il en va aussi de notre intérêt. Je m'en explique. Si d'un côté le Maghreb éprouve un réel besoin de développer son appareil productif, les Français sont, eux, soucieux de préserver les emplois industriels et de services de l'Hexagone. Nous avons, dès lors, deux solutions : nous tourner le dos, ou nous tendre la main.

Je veux plaider ici pour une stratégie concertée de multi-localisation des emplois sur le pourtour méditerranéen et de développement partagé. Opposer emplois en France et emplois au Maghreb me paraît une erreur. Il faut rappeler qu'au lendemain de la chute du Mur de Berlin, la Hongrie, la Pologne, l'Allemagne et la République tchèque avaient réussi à créer une dynamique partagée d'intégration économique, comme nous, au lendemain des printemps arabes, nous devons nous allier avec nos amis du Sud.

La rive sud de la Méditerranée a besoin d'investissements et en même temps elle représente un débouché avec un fort potentiel pour nos entreprises. Il faut arriver à un partenariat intelligent, comme vient de le rappeler Pascale Got, permettant de partager les bénéfices au profit de nos deux économies. Cela est parfaitement possible et doit même constituer un axe central du projet méditerranéen.

Lors d'un récent déplacement au Maroc et en Algérie, la ministre Nicole Bricq et Pouria Amirshahi avaient d'ailleurs plaidé en faveur de la co-localisation avec nos partenaires méditerranéens, en disant qu'il faut impulser un nouvel élan permettant à nos entreprises de réussir là-bas et aux entreprises du Sud de réussir en France.

J'en reviens aux centres d'appels. Ils représentent un peu plus de 270 000 emplois avec, c'est vrai, un réel risque de délocalisation. C'est justement pourquoi il est nécessaire d'entrer dans une concertation sérieuse avec la rive sud de la Méditerranée. Nous pouvons envisager, comme l'a proposé le ministre du redressement productif, l'implantation de centres d'appel en France, en particulier dans des bassins d'emplois durement touchés par le chômage. Mais nous devons en même temps proposer un vrai partenariat industriel et économique aux pays d'Afrique, en particulier dans l'espace francophone.

Peut-on envisager de construire ensemble les industries modernes des énergies renouvelables ? La réponse est oui. Peut-on construire ensemble des filières industrielles et de services communs ? La réponse est encore oui. Peut-on créer des dispositifs de formation professionnelle et technologique communs ? La réponse est toujours oui, mais elle passe par l'instauration d'un dialogue permanent avec nos partenaires du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne sur les sujets commerciaux : le gouvernement de Jean-Marc Ayrault l'a d'ailleurs déjà engagée.

Vous comprendrez, monsieur le rapporteur, que nous jugions votre proposition de loi insatisfaisante. Nous la rejetterons, non parce qu'elle ouvrirait un faux débat ni parce qu'elle émane de l'opposition, mais parce qu'elle nous paraît à courte vue et qu'un certain nombre de considérations figurant dans son exposé des motifs nous semblent relever d'une mauvaise inspiration.

Mon collègue l'aurait dit mieux que moi, la Méditerranée, c'est aussi notre avenir ; le partenariat avec le Sud, c'est aussi notre avenir et nous devons enfin lui donner une véritable concrétisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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