Intervention de Patrice Carvalho

Séance en hémicycle du 18 septembre 2013 à 15h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise se situe dans le prolongement de la loi dite « sécurisation de l’emploi » du 14 juin 2013, traduction législative de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, conclu entre le MEDEF et trois syndicats minoritaires.

L’article 19 de cette loi a créé un article nouveau dans le code du travail, qui impose aux entreprises rentables – qui pourtant décident de fermer des sites et de licencier –, de rechercher un repreneur. Il nous est donc proposé aujourd’hui de fixer le cadre juridique de cette disposition.

Une première remarque s’impose d’emblée : la proposition de loi part d’un postulat que je conteste, car, une fois de plus, il relève de l’impuissance et du renoncement : il part du principe que nous ne pouvons pas nous opposer à la fermeture d’un site rentable car nous violerions alors le droit à la propriété et la liberté d’entreprendre – n’est-ce pas, monsieur Furst ? –, ce qui nous vaudrait les foudres du Conseil constitutionnel.

Dès lors, cela veut dire que les législateurs de 1981 ont osé piétiner ces principes en nationalisant plusieurs grands groupes industriels et bancaires, sans que le Conseil constitutionnel, présidé par un baron du gaullisme, Roger Frey, n’ait réagi et censuré le vote du Parlement.

Cela veut dire également que toute nationalisation et même toute prise de participation publique sont désormais proscrites, alors même qu’au moins la seconde disposition a pu être envisagée, il n’y a pas si longtemps, pour des groupes industriels liquidateurs de sites et d’emplois.

En résumé, j’ai le sentiment que l’argutie constitutionnelle surgie soudainement dissimule – mal – l’absence de volonté politique d’affronter ces géants économiques, qui entendent imposer leurs intérêts financiers et ceux de leurs actionnaires à l’ensemble de la société.

Il y a pourtant urgence à mettre un coup d’arrêt à cette domination ravageuse. En dix ans, l’industrie française a perdu 750 000 emplois. Sa part dans la valeur ajoutée est passée de 18 % à 12,5 %. Et l’hémorragie se poursuit, voire s’amplifie. Environ 1 000 emplois disparaissent par jour. Le cynisme et l’arrogance des groupes qui licencient et des patrons voyous accompagnent la casse.

Chacun a en mémoire les conditions de la fermeture de Continental à Clairoix, dans ma circonscription. Le fabricant de pneumatiques a contraint les salariés à renoncer à la réduction du temps de travail et à se résoudre à un gel des salaires contre l’assurance d’une pérennité du site. L’encre de l’accord était à peine sèche que la fermeture était annoncée et que 1 120 salariés se retrouvaient sur le carreau. Je vous fais observer que c’est ce type d’accord que l’ANI favorise ! J’y reviendrai.

Aujourd’hui, le conseil des prud’hommes de Compiègne vient de rendre caducs les licenciements car il les juge sans fondement économique. Bravo ! Les salariés avaient donc raison, mais l’usine est fermée – elle a même été transférée à l’étranger : ils ne peuvent donc pas être réintégrés…

Ce dont nous avons besoin, ce ne sont pas de petits aménagements dont les groupes se jouent pour, au final, aboutir à leurs fins. Nous avons besoin d’un dispositif qui interdit les licenciements sans cause réelle et sérieuse. C’est ce que nous avions défendu dans une proposition de loi examinée dans l’une de nos niches parlementaires mais que la majorité a refusé de voter.

Je reviens à l’ANI. La loi du 14 juin 2013 est entrée en vigueur le 1er juillet dernier. Le groupe Hamelin, qui fabrique du papier, des cahiers et des classeurs, a attendu cette date afin de bénéficier des nouvelles dispositions et de fermer trois sites en France. Avec l’ANI, en l’absence de comité central d’entreprise, le plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas applicable au niveau du groupe, mais dans chaque entreprise concernée par les restructurations. Une aubaine pour Hamelin : le délai durant lequel le comité d’entreprise pourra donner son avis est limité à deux mois, quand le nombre de licenciements est inférieur à quatre-vingt-dix-neuf sur chaque site. C’est le cas pour l’usine Elba dans le Puy de Dôme. Et de ces deux mois, il faut retrancher les trois semaines de vacances durant lesquelles l’entreprise va fermer !

En outre, en supprimant la possibilité d’intervention du juge des référés pendant la procédure, la loi a désarmé les représentants des salariés en les privant de mesures provisoires et rapides destinées à sauvegarder leurs droits. Elle a en outre restreint à deux mois le délai dans lequel l’expert désigné par le comité d’entreprise peut produire un avis sur la validité du motif économique des licenciements.

Voilà comment Hamelin, qui emploie 4 200 salariés dans vingt et un pays, réalise autour de 700 millions d’euros de chiffre d’affaires et figure parmi les 500 premières fortunes de France, parvient à ses fins. La proposition de loi d’aujourd’hui, qui complète la loi de sécurisation de l’emploi, n’est pas de nature à arrêter ce gâchis.

Le dispositif concerne les entreprises et établissements d’au moins 1 000 salariés, ou appartenant à des groupes qui ont un tel effectif. Cela exclut d’ores et déjà un grand nombre d’entreprises et de groupes. Le rapport précise que le dispositif aura un impact sur 15 % des plans de sauvegarde de l’emploi et sur 30 % seulement des personnes touchées par ces PSE. Ne sont pas concernés non plus les établissements qui se trouvent en redressement ou liquidation judiciaire.

C’est ignorer la pratique courante de ces groupes, qui organisent la faillite d’une ou de plusieurs de leurs entreprises pour s’en débarrasser et échapper à un certain nombre d’obligations à l’égard du personnel.

Que se passera-t-il donc au terme de cette proposition de loi ? Les entreprises envisageant un projet de licenciements et la fermeture d’un site devront rechercher un repreneur et en informer le comité d’entreprise à l’ouverture de la procédure d’information et de consultation sur le projet de licenciement. Les projets de licenciements et de recherche d’un repreneur vont donc de pair, ce qui n’est guère rassurant pour les salariés.

Ensuite, les mots ont leur importance : l’entreprise doit « rechercher » un repreneur, non le trouver. Il y a donc une obligation de moyens, non de résultat. Vous pouvez compter sur le savoir-faire des grands groupes qui, flanqués d’une cohorte d’experts et de structures du type « cellules de reclassement » inutiles, censées retrouver un emploi aux salariés licenciés, se chargent de nous enfumer sur leurs prétendues recherches.

Et puis, imaginez Continental – entreprise qui a fermé – chercher à installer un concurrent à Clairoix, alors même que l’un de ses arguments en faveur de la fermeture de l’usine était la crise de l’automobile et la non-rentabilité du personnel… Si un repreneur est déniché, les raisons mêmes de la liquidation tombent d’elles-mêmes. Il n’y aurait donc plus alors aucune cause réelle et sérieuse aux licenciements et à la fermeture. Dès lors, pensez-vous vraiment que les groupes vont se plier de bonne grâce à la recherche d’un repreneur ? Cela relève de l’illusion, quand bien même se retrouvent dans ce processus l’État, les élus locaux et les salariés.

S’ouvre ensuite une phase juridictionnelle de vérification et de sanction. La procédure prévoit le recours au juge en cas de conflit entre l’employeur et les salariés. Ces derniers peuvent, par le biais du comité d’entreprise, saisir le tribunal de commerce au cas où l’employeur n’aurait pas donné suite à une offre considérée comme sérieuse.

Néanmoins, le tribunal de commerce, qui aura reconnu le manque de loyauté de l’employeur dans la recherche d’un repreneur, ne pourra pas imposer une offre sérieuse et crédible qui aurait été injustement repoussée. Au final, les salariés seront licenciés.

Quant aux sanctions, parlons-en ! Elles sont définies comme pouvant avoir un coût double de celui d’un plan de sauvegarde pour l’emploi, soit 27 000 euros, autrement dit l’équivalent de dix-neuf SMIC par emploi supprimé. Quelle plaisanterie ! Savez-vous combien Continental a dépensé pour fermer son usine de Clairoix dans l’Oise ? 50 millions d’euros, soit quarante SMIC nets et trente et un SMIC bruts par salarié. On est encore loin de ça !

Cela veut dire que si l’enfumage d’un groupe concerné dans ses recherches infructueuses d’un repreneur ne fonctionne pas, il préférera payer, son but n’en sera pas moins atteint.

Le second volet du texte a pour objet affiché de contrer les prises de contrôle d’entreprises par les groupes prédateurs.

Nul ne peut prétendre que ces dispositions soient inutiles. Mais sont-elles à la mesure de l’ampleur prise par la prédation financière et spéculative ? Évidemment non ! Nous avons besoin de lutter concrètement contre la financiarisation de l’économie et pour que l’argent se reconnecte à l’économie réelle. Ce que vous nous proposez là, c’est un sabre de bois face à une armée de blindés. C’est dérisoire !

Nous sommes évidemment prêts à favoriser tout ce qui permet, un tant soit peu, d’arrêter le ravage de la finance et de la casse industrielle. Mais mesurons bien que ce qui nous est proposé revient à vider l’océan à la petite cuillère – et il n’est même pas sûr que cette dernière ne fuie pas…

Nous nous déterminerons en fonction de l’évolution du débat pour notre vote final.

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