Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du 5 novembre 2013 à 16h20
Commission élargie : immigration, asile et intégration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Monsieur le ministre, nous nous accordons pour sortir des jeux de rôle artificiels, car dans le dialogue entre le ministre de l'intérieur que vous êtes et les députés d'opposition que nous sommes, il n'y a pas, d'un côté, un laxiste gauchiste et, de l'autre, des crypto-fascistes. Contrairement à ce que semblent penser votre collègue Cécile Duflot et une partie des députés censés appartenir à la majorité, vous êtes républicain, tout comme nous qui respectons l'État dans ses missions régaliennes et savons que l'ordre est la condition de la liberté. Nous sommes donc convaincus que la France doit réguler l'immigration de manière raisonnable et responsable, dans le respect des personnes.

C'est pourquoi notre désaccord ne porte pas sur les finalités de la politique d'immigration que vous cherchez à mener, mais sur la réalité de cette politique éclatée entre différents ministères – sans cap présidentiel clair.

J'évoquerai à cet égard trois sujets de préoccupation immédiate, qui sont autant de signaux d'alerte.

Tout d'abord, la lutte contre l'immigration irrégulière est entravée par des initiatives contradictoires. Lorsque les préfets, les policiers et les gendarmes reconduisent dans leur pays les personnes venues en France sans nous en demander l'autorisation, ils ne font rien que leur travail, qui consiste à faire appliquer la loi. Je regrette très vivement que de tels efforts ne soient pas soutenus par l'ensemble des autorités de la République. Lorsque le Premier ministre – dans l'hémicycle – puis le Président de la République – devant la France entière – expliquent que, dans l'affaire bien connue de tous, les policiers ont manqué de « discernement » en renvoyant au Kosovo des clandestins ayant fait l'objet de trois décisions de justice ordonnant leur reconduite à la frontière, policiers et gendarmes se sentent désavoués au sommet de l'État. On entend dire en ce moment même dans notre pays que la haute hiérarchie préfectorale n'est pas toujours particulièrement motivée pour lutter contre l'immigration irrégulière, tant elle craint d'être désavouée par l'Élysée. On murmure également que le préfet de police a déjà donné instruction orale aux préfets de l'agglomération parisienne de ne plus éloigner de parents de lycéens ou de collégiens. Si tel était le cas – mais sans doute le démentirez-vous –, cela constituerait un renoncement à lutter contre l'immigration clandestine, puisqu'il suffira de scolariser un mineur pour avoir le droit au séjour en France.

Ensuite, l'immigration régulière n'est pas suffisamment régulée. Il est clair qu'en ce domaine, vous avez cherché à envoyer des signaux symboliques à une partie de la majorité, tant sur la question des étudiants étrangers qu'en évoquant la possibilité d'instaurer un titre pluriannuel de séjour. Mais le véritable enjeu est ailleurs : qu'en est-il de la gestion des quelque 2,2 millions de visas – dont 1,9 million de visas de court séjour – et des 200 000 cartes de séjour qui sont délivrés chaque année ? Le Gouvernement souhaite-t-il faire augmenter ou diminuer ces chiffres ? Dans quelles proportions ? Pour quels pays ? Pour quelles voies d'immigration ? Pour que ces visas soient délivrés de manière intelligente, encore conviendrait-il d'entamer un véritable dialogue avec les pays d'origine des demandeurs et négocier avec ces États des traités subordonnant l'aide au développement qui leur est accordée aux efforts de régulation de l'immigration qu'ils fournissent. Cela paraît cependant difficile lorsque notre ministre du développement s'appelle Pascal Canfin et qu'il appartient à un parti écologiste hostile à toute politique de régulation de l'immigration. La cohérence en ce domaine ne nous saute donc guère aux yeux.

Troisième difficulté : il n'existe toujours aucune politique européenne d'immigration. Si un pacte a certes été négocié puis signé par les vingt-sept États membres de l'Union européenne il y a cinq ans, encore faudrait-il passer du pacte aux actes et l'on se croirait d'ailleurs parfois revenu au temps de la Société des nations car l'immigration en provenance des pays tiers n'est guère traitée à l'échelon européen. En outre, le budget de Frontex a diminué puisqu'il s'élevait à 115 millions d'euros en 2011 et qu'il n'est plus que de 85 millions en 2013. Il est également urgent de définir un véritable régime d'asile commun aux États membres, au-delà des directives procédurales et bureaucratiques, afin d'éviter que la France ne soit une destination privilégiée pour les demandeurs. Ce régime d'asile très intégré serait fondé sur une liste de pays d'origine sûrs commune aux cinq ou six pays qui concentrent 80 % des demandes d'asile. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous essayez de faire progresser ce dossier dans le cadre du conseil Justice et Affaires intérieures, mais sans doute le sujet doit-il être pris en main directement par les chefs d'État si l'on veut sortir du type de conclusions vaporeuses auquel a abouti le dernier Conseil européen, qui s'est contenté de remettre le traitement de la question à une prochaine réunion. Enfin, il conviendra aussi d'aborder sans tabou la question de l'immigration interne à l'Union européenne. Quel contrôle celle-ci exerce-t-elle aujourd'hui sur l'utilisation, par la Roumanie et la Bulgarie, des 17 milliards d'euros de fonds communautaires versés pour favoriser l'insertion des Roms dans les pays dont ils ont la nationalité ? Quel bilan faites-vous de l'application de la directive sur le détachement des travailleurs ? On recense aujourd'hui 140 000 travailleurs européens détachés en France, dont 70 000 dans le secteur du bâtiment, pour un coût du travail inférieur de 30 % à celui des ouvriers français !

Faute de traiter ces urgences, la politique d'immigration est condamnée à l'échec. C'est pourquoi le groupe UMP votera contre un budget qui n'en est que le reflet.

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