Intervention de François Asensi

Séance en hémicycle du 11 décembre 2013 à 21h30
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Article 12

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Je viens d’entendre quelques inepties concernant la situation politique en Île-de-France où subsisterait une espèce de Yalta entre les gaullistes et les communistes qui camperaient sur leurs positions et ne voudraient pas faire évoluer la région parisienne. Ces propos sont ridiculement excessifs, mais je peux bien comprendre la colère de M. Le Guen. Prétendre de surcroît qu’on instrumentalise les électeurs est encore moins sérieux et tout aussi excessif mais je vais lui poser une question : pense-t-il que les électeurs communistes sont aussi instrumentalisés quand ils sont appelés à voter pour la liste commune formée avec Mme Hidalgo ? Je ne crois pas. Vous voyez bien qu’il n’est pas nécessaire de s’aventurer sur ce terrain mouvant.

La métropole du Grand Paris proposée à l’article 12 ne résoudra aucun des problèmes fondamentaux du quotidien des Franciliens, qu’il s’agisse de l’accès au logement, des défaillances des transports, de la montée du chômage, des inégalités fiscales et territoriales. Bien au contraire, je crains qu’elles ne s’aggravent. J’y reviendrai.

L’opposition à cette métropole autoritaire et ingouvernable n’a cessé de grandir en Île-de-France, même si vous restez sourde aux mises en garde, madame la ministre. Plusieurs centaines de maires, de présidents d’intercommunalité, d’élus locaux, de toutes sensibilités politiques, dénoncent une structure imposée par le haut, antidémocratique et impraticable. En septembre, 75 % des élus de Paris Métropole ont demandé que ce projet soit revu. Vous avez pourtant choisi de refuser toute concertation, tournant le dos aux propositions émises dans le cadre de Paris Métropole.

Madame la ministre, vous avez évoqué ce projet de métropole comme une bouffée d’air pour l’Ile-de-France. Je crains qu’il ne soit au contraire un corset qui éteindra la démocratie locale et paralysera le développement de la région capitale pendant plusieurs années.

Cette métropole conjuguera l’inefficacité à l’éloignement des lieux de prise de décision, en dépit des contrevérités invoquées pour justifier votre texte.

Première contrevérité : vous dites vouloir renforcer l’attractivité de l’Île-de-France, mais alors pourquoi briser ce qui marche ? Pourquoi liquider les intercommunalités constituées autour de Saint-Denis, de Roissy, d’Ivry, de Nanterre ou de Boulogne, qui figurent parmi les territoires les plus dynamiques de la région ? Les projets innovants et solidaires qu’elles portent se trouveront gelés. Où est l’attractivité lorsque vous créez de nouvelles frontières excluant des territoires aussi essentiels que les aéroports de Roissy Charles de Gaulle et d’Orly ? Enfin, où est l’incitation à la création de richesses quand un changement institutionnel permet à Paris d’annexer sa proche banlieue et de faire main basse sur son dynamisme économique ?

Deuxième contrevérité : vous dites vouloir lutter contre les égoïsmes locaux, mais aucune répartition des richesses n’est prévue entre les paradis fiscaux d’Île-de-France, qui existent, et les villes populaires. De même, les efforts de construction de logements ne sont pas partagés. Dans les années 1960, l’État a construit de gigantesques grands ensembles dans les villes populaires de l’est parisien et dans la grande couronne, imposant par exemple plus de 60 % de logements sociaux à La Courneuve ou à Stains. Demain, la métropole imposera de nouveaux quartiers dans certaines villes sans leur demander leur accord. À cet égard, permettez-moi de citer M. Alexis Bachelay, qui répondait à un entretien dans Le Parisien d’hier : il y a des villes qui n’ont pas de foncier, disait-il, et d’autres, comme Paris, ont de l’argent, alors que c’est l’inverse au Blanc-Mesnil ou à Sevran. « Nous proposons donc d’aider au financement des programmes immobiliers », poursuivait-il. Cette proposition est absolument scandaleuse ! M. Bachelay ne parle naturellement pas de logements dans les Hauts-de-Seine, mais dans des villes de Seine-Saint-Denis qui sont déjà stigmatisées, comme Sevran ou le Blanc-Mesnil !

Pourtant, cette logique est déjà à l’oeuvre. J’en veux pour preuve le cas de Tremblay-en-France, dont je suis le maire : le préfet de région veut imposer la construction de logements en fracturant le quartier du Vert-Galant, qui est essentiellement pavillonnaire. Il est évidemment hors de question que j’accepte cet oukase, car ce projet funeste déstructurerait le tissu urbain dans une ville qui abrite déjà le plus grand ensemble de Seine-Saint-Denis.

Troisième contrevérité : vous dites vouloir lutter contre l’émiettement institutionnel et améliorer la gouvernance, mais vous ajoutez une usine à gaz au millefeuille institutionnel actuel ! Certaines compétences dévolues aux EPCI seront reprises par la métropole, tandis que d’autres seront redescendues vers les communes dans une confusion inextricable. Le conseil métropolitain d’en haut décidera de tout sans rien connaître, alors que les conseils de territoire n’exerceront qu’un rôle formel, sans prérogatives ni budget propres, et seront en quelque sorte relégués au rang de mairie d’arrondissement. Les ententes entre communes pour gérer certaines compétences seront remises au goût du jour. Où est la simplification ?

Quatrième contrevérité : vous prétendez appuyer la métropole sur les communes et leurs maires pour conserver une gestion de proximité, mais les communes sont vidées de leurs compétences stratégiques et, à terme, elles dépériront ! Ce sera la fin des maires bâtisseurs élus sur des projets forts destinés à valoriser leur territoire. Votre métropole se construit bel et bien contre les communes, qui sont pourtant le socle de notre République.

Nous vous avons proposé une hausse de la péréquation entre les départements, parce qu’elle manque d’ambition. Nous avons défendu un projet de réforme fiscale, grande absente de ce projet. Nous avons proposé en loi de finances l’instauration d’un tarif unique dans les transports en Île-de-France, symbole fort d’une métropole solidaire, mais le Gouvernement et la majorité l’ont refusé au prétexte de la compétitivité des entreprises. Et que restera-t-il de la solidarité aujourd’hui assurée par les départements lorsque la métropole aura conduit à leur suppression ?

En raison de la concentration de ses pouvoirs, la métropole affaiblira la démocratie locale, à l’opposé du mouvement de décentralisation porté par la loi Defferre. Seule une poignée de grands notables conseillés par une armée de technocrates décidera autoritairement de l’avenir de la région parisienne. Les maires feront de la figuration, car ils seront noyés dans une assemblée de deux cents représentants qui se réuniront une fois, voire deux fois par an.

Ce texte bafoue le principe fondamental de libre administration des collectivités. En vidant les communes de leur substance et en créant un nouvel échelon, le conseil de territoire, sans pouvoir de décision propre et sans autonomie financière, il viole l’article 72 de notre Constitution. En remettant à des ordonnances certaines dispositions essentielles, il dessaisit le Parlement. La métropole asséchera le pluralisme politique en provoquant un renforcement sans précédent du bipartisme, et en franchissant un pas supplémentaire vers l’avènement d’un « État PS » concentrant tous les pouvoirs de la République. Ce mépris du pluralisme est déjà à l’oeuvre, puisque sur ce texte majeur, les élus du Front de gauche ne disposent que de quelques dizaines de minutes – raison pour laquelle je me hâte – pour faire entendre leur voix, alors que 1,5 million d’habitants de la région Île-de-France sont administrés par des élus de notre parti.

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