Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 22 janvier 2014 à 15h00
Ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

On nous dit encore qu’il est dans l’ordre naturel des choses qu’un pays recoure à une langue unique, que telle est la condition nécessaire de sa cohésion.

La vérité est que l’on compte en moyenne, sur la planète, trente-cinq langues par État, et qu’un grand nombre de nations, y compris parmi nos voisins les plus proches, sont officiellement multilingues.

C’est notamment le cas du Canada, de la Finlande, de la Suisse, du Luxembourg.

D’autres, comme l’Espagne ou les Pays-Bas, bien que disposant d’une langue commune, octroient un statut de co-officialité à leurs langues minoritaires dans les régions où elles sont en usage.

Dans l’ensemble des pays du nord de l’Europe et au Royaume-Uni, les langues régionales bénéficient d’un système de protection juridique extrêmement avantageux.

Je vous invite à réfléchir à ce qu’il adviendrait du français partout où il se trouve en position minoritaire si les pays où il est ainsi pratiqué se mettaient subitement à adopter notre modèle linguistique, « un État, une langue ».

On nous dit que de nombreux pays européens ont refusé de ratifier la charte et que la France n’est nullement isolée en la matière.

La vérité est que cette convention s’applique déjà dans vingt-cinq États membres du Conseil de l’Europe.

Ne l’ont pas ratifiée à ce jour, pour l’essentiel, soit de très petits pays peu concernés par l’enjeu – Monaco ou Andorre –, soit d’anciens satellites du bloc soviétique.

Il est vrai que l’Italie et la Belgique manquent à l’appel. Au demeurant, l’Italie dispose d’un arsenal législatif extrêmement protecteur pour les langues parlées sur son sol, qui va bien au-delà des prescriptions les plus maximalistes de la Charte. En revanche, les raisons qui conduisent la Belgique à demeurer à l’écart du processus d’adhésion méritent d’être dites : les Wallons réclament à cor et à cri l’entrée en vigueur de la Charte depuis 1992, mais les Flamands s’y opposent fermement au motif qu’elle les contraindrait à prendre des mesures en faveur de l’usage de la langue française sur leur propre territoire, ce dont ils ne veulent à aucun prix. Chacun comprendra l’ironie de la situation : dans cet hémicycle, certains de nos collègues ne veulent pas de la Charte parce qu’elle menacerait la suprématie du français, tandis qu’en Belgique on la rejette parce qu’elle en favoriserait au contraire la pratique. Telles sont les incohérences profondes qui naissent lorsque l’on se laisse aller à instrumentaliser les langues à des fins hégémoniques.

Pour le reste, il n’y a que peu d’États membres du Conseil de l’Europe qui rejettent la Charte au nom d’une opposition de principe : la Russie, la Turquie et la Grèce.

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