Intervention de Jean Launay

Séance en hémicycle du 23 janvier 2014 à 15h00
Prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Launay :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la notion de PIB concentre les critiques depuis longtemps en matière de mesure de l’évolution du bien-être et de la croissance soutenable d’un pays. James Tobin, que nous apprécions par ailleurs pour l’idée de taxe des transactions financières qu’il a promue, a construit en 1972 un indicateur de bien-être économique durable. Il s’agissait d’une démarche expérimentale démontrant que les conventions comptables ne sont pas immuables et peuvent évoluer avec notre conception de la richesse. Plus tard, en 1990, le PNUD, cité par François de Rugy à l’instant, conférait aux trois dimensions qui entrent dans la construction de l’indice de développement humain une importance égale : le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat, l’espérance de vie et le niveau d’instruction.

En France, plusieurs chercheurs ont engagé au début des années 2000 des travaux sur la définition de la richesse, appelant de leurs voeux la définition de nouveaux indicateurs de richesse composites à même d’évaluer le bien-être humain. Tous ces travaux ont trouvé un débouché international dans le cadre de l’OCDE qui a promu en 2007 l’initiative « Mesurer et favoriser le progrès des sociétés » selon laquelle il est nécessaire de mesurer dans chaque pays le progrès des sociétés par-delà les indicateurs économiques habituels comme le PIB par habitant. Plus récemment encore et sur la base d’un tel constat d’insuffisance, la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi a remis en septembre 2009 un rapport sur la mesure du PIB, la qualité de vie, le développement durable et l’environnement. Il était d’autant plus d’actualité qu’entre le moment où la commission Stiglitz a engagé ses travaux et celui de leur achèvement, le contexte économique a radicalement changé.

Les excès de la crise financière ont démontré d’eux-mêmes la nécessité d’indicateurs statistiques nouveaux. En effet, comment considérer que les performances de croissance apparemment brillantes de l’économie mondiale entre 2004 et 2007 étaient obtenues au détriment de la croissance à venir ? Comment ne pas être d’accord avec le constat qu’elles tenaient en partie au mirage de profits reposant sur des prix dont la hausse était due à une bulle spéculative ? À tout le moins, l’euphorie suscitée par les performances économiques antérieures à la crise aurait été moindre si l’on avait été davantage conscient des limites de la mesure classique qu’est le PIB. Des outils de mesure intégrant des évaluations de la soutenabilité, comme l’endettement privé croissant, nous auraient donné une vision plus prudente des performances.

Il n’est donc pas étonnant que l’inclusion du développement durable dans les politiques publiques débouche sur la définition d’indicateurs de soutenabilité. Sans imiter le Bhoutan dont les lois incluent le concept de bonheur national brut, il me semble nécessaire – et cet avis est largement partagé sur les bancs du groupe SRC – de déplacer le centre de gravité de la mesure statistique. C’est la raison pour laquelle nous saluons le travail mené par notre collègue Serge Bardy dans le cadre d’un groupe ad hoc et les nombreuses auditions qu’il a menées pour faire avancer le sujet. C’est également la raison pour laquelle nous saluons les travaux pionniers menés dans plusieurs régions, en particulier en Midi-Pyrénées, qui ont permis d’élaborer un tableau de bord partagé de vingt-deux indicateurs de contexte de développement durable. De même, les agendas 21 mis en place dans les régions, en Midi-Pyrénées spécialement, ont été accompagnés d’indicateurs de suivi de l’action régionale en matière de développement durable.

C’est donc mécaniquement la raison pour laquelle nous saluons le texte présenté aujourd’hui par notre collègue Eva Sas et les membres du groupe écologiste. La présente proposition de loi s’appuie sur la partie la plus consensuelle du rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi et son exposé des motifs résume les trois principales critiques que l’on peut adresser au PIB – Eva Sas les a énumérées, je n’y reviens pas. En fin de compte, le PIB est un indicateur de court terme qui ne dit rien de la soutenabilité de notre modèle de développement. Soucieux de définir quatre indicateurs de développement complémentaire dans la rédaction initiale de la proposition de loi, nos collègues souhaitaient également les intégrer en utilisant la période budgétaire et les documents budgétaires. Ainsi, l’indice d’espérance de vie en bonne santé, l’indicateur de santé sociale, l’empreinte écologique et les émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre auraient été intégrés.

Le débat en commission a amené notre collègue rapporteure à amender la proposition initiale pour introduire une présentation globale des réformes prévues par le projet de loi de finances et les projets de loi de financement de la Sécurité sociale de l’année au regard d’indicateurs de richesse alternatifs au PIB afin de rendre compte de la qualité de vie et de la soutenabilité de notre modèle de croissance. Dès lors, l’exposé des motifs du projet de loi de finances intégrerait une telle présentation afin d’en assurer la lisibilité politique, le détail des indicateurs étant alors livré par le rapport économique, social et financier prévu par l’article 50 de la LOLF. Au fond, rien ne nous dérange dans la proposition de loi, hormis la forme, ce qui m’aurait amené à défendre une motion de renvoi en commission.

Votre proposition de loi, chère collègue Eva Sas, est organique et touche donc à la LOLF que le Gouvernement ne souhaite pas voir modifiée par touches successives et partielles. Depuis l’examen en commission, nos échanges et ceux que vous avez eus avec le Gouvernement vous ont permis de trouver une méthode et un calendrier nouveaux. Je m’en félicite, car les objectifs de fond sont partagés et méritent de trouver un aboutissement concret dans la lecture par l’opinion publique de nos politiques économiques et sociales.

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