Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Séance en hémicycle du 23 janvier 2014 à 9h30
Encadrement de l'utilisation des produits phytosanitaires — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, a réalisé deux rapports de référence dans ce domaine : en 2009, celui sur « L’usage de la chlordécone et autres pesticides aux Antilles », co-signé par Mme Catherine Procaccia, sénateur, et moi-même ; et celui sur les perturbateurs endocriniens signé par M. Gilbert Barbier, sénateur.

La présente proposition de loi tendant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires est la bienvenue.

Mon rapport de 2009 mettait en évidence le problème sanitaire, à l’échelle mondiale, que représente la chlordécone en raison de sa diffusion lente dans les milieux naturels et de son transfert vers les produits de culture. Une recommandation de l’OPECTS soulignait la nécessité de prolonger le Plan santé et de conduire des études, en particulier sur la santé des enfants.

À la suite de la préconisation d’un changement d’alimentation aux Antilles après 2009, la chlordécone n’a plus été retrouvée dans les analyses du sang des bébés, ce qui est un point très positif.

Dans la même ligne, en 2011, le sénateur Gilbert Barbier recommandait de renoncer à l’usage de perturbateurs endocriniens dans les produits destinés aux bébés et aux femmes enceintes, mais également de poursuivre les recherches pour mieux cerner les risques. Trop longtemps, le recours aux pesticides a été massif, mal encadré, mené de façon trop peu précautionneuse et, en dernière analyse, excessif, de la part des agriculteurs, des collectivités territoriales ou des particuliers. L’OPECST insiste sur la nécessité de former des professionnels qui utilisent des produits phytosanitaires, notamment sur les risques sanitaires et environnementaux, sur les techniques de prévention des contaminations et sur la stratégie d’utilisation des pesticides, qui ne doivent être utilisés que lorsqu’ils apportent un bénéfice, et en réduisant le plus possible les doses d’emploi.

Le plan Écophyto 2018, lancé en 2008, va dans ce sens. Malheureusement, les résultats n’étaient pas au rendez-vous en 2013, ce qui a conduit le ministre de l’agriculture à envisager de nouvelles dispositions. En 2012, comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, l’excellent rapport rédigé par Nicole Bonnefoy, sénateur de la Charente, au nom d’une mission commune d’information sénatoriale sur l’impact des pesticides sur la santé, a montré que ces produits étaient encore utilisés sans réflexion et précautions suffisantes.

Il faut donc faire entrer dans la réalité les préconisations émises par la mission commune d’information. C’est dans cet esprit que le Sénat a adopté, en novembre 2013, cette proposition de loi visant à interdire aux personnes publiques l’utilisation des pesticides pour l’entretien des espaces verts, forêts et promenades, et à prohiber la commercialisation et l’utilisation des pesticides pour un usage non professionnel. Le Gouvernement prône d’ailleurs, depuis 2013, la suppression de l’utilisation des produits phytosanitaires en ville. Il est à noter que, depuis 2009 déjà, plus de 60 % des villes de plus de 50 000 habitants poursuivent l’objectif zéro phyto. Quant aux particuliers, il est prudent de les amener à comprendre que les pesticides sont des produits réellement dangereux, avant d’être des produits familiers, et qu’il faut porter des équipements de protection individuelle lors de leur épandage.

Faut-il rappeler que cela ne suffira pas à effacer d’un coup les effets des épandages passés ? Je reprendrai l’exemple sur lequel j’ai travaillé, celui de la chlordécone. Ce polluant organique extrêmement persistant, un organochloré, qu’un journal du soir avait qualifié de « monstre chimique » il y a quelques années, demeure entre 100 et 500 ans dans les sols. Il a contaminé par ruissellement les rivières et le littoral de la Guadeloupe et de la Martinique, où 200 tonnes de chlordécone ont été utilisées. Nous avons montré que 1 500 tonnes de ce produit ont été répandues dans l’ex-Allemagne de l’Est et en Pologne, sans que personne ne s’en soucie aujourd’hui, et aucune étude d’ensemble n’a été faite pour déterminer les zones où il a été utilisé.

Même si l’utilisation des pesticides s’est réduite, certains d’entre eux vont perdurer des dizaines d’années dans notre environnement. Il faut donc prendre ce problème à bras-le-corps, pour les détruire ou les réduire.

Je me permettrai donc de vous suggérer, monsieur le ministre, d’accentuer et de promouvoir des recherches sur la mise au point de méthodes peu coûteuses permettant de détecter et d’analyser les produits phytosanitaires qui ont été utilisés par le passé. La France doit soutenir la recherche sur l’environnement, ce qu’elle ne fait pas assez, car cela n’est pas prévu par la LOLF. Il faut notamment soutenir la recherche sur la remédiation des milieux naturels. Vous avez parlé du Gers, mais la France dispose aussi, en Lorraine, d’une plateforme européenne, la plus belle qui existe sur la décontamination des sols. Elle porte pour l’instant sur les polluants industriels et nous devons l’élargir aux polluants phytosanitaires. Plusieurs équipes de recherche sont regroupées dans un groupement d’intérêt scientifique sur les friches industrielles. Les connaissances acquises pourraient être transposées aux cas spécifiques des phytosanitaires piégés dans les sols ou dans l’eau.

Il est possible de réduire fortement l’usage des pesticides, voire dans certains cas de s’en passer totalement. C’est ce que le Sénat indique dans cette proposition de loi. Elle va dans le bon sens et je lui apporte donc mon soutien, au nom de l’OPECST.

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