Intervention de Thierry Braillard

Séance en hémicycle du 4 février 2014 à 15h00
Renforcement de la lutte contre la contrefaçon — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard :

Nous avons trop souvent l’habitude de réduire la contrefaçon aux produits de luxe et aux sacs de marque – d’ailleurs plus ou moins bien imités. Pourtant, le problème, une fois considéré sous tous ses aspects, est bien plus vaste : la contrefaçon devient protéiforme. En effet, elle peut désormais porter atteinte aussi bien à la santé qu’à la sécurité des consommateurs, et non plus seulement aux droits de propriété industrielle de quelques entreprises.

Le législateur était intervenu par la loi du 29 octobre 2007, qui transposait une directive européenne relative au respect des droits de propriété intellectuelle et qui prévoyait des dispositions intéressantes et largement consensuelles : l’extension de la procédure de saisie de contrefaçons, la création d’un droit d’information pour contraindre les personnes en possession de marchandises contrefaites à révéler les origines de l’achat, la mise en place de mesures provisoires par le juge civil pour aider les victimes, ou encore la prise en compte de ce qu’ont pu rapporter au contrefacteur ses agissements délictueux. En effet, le droit français ne réparait jusqu’alors que le préjudice subi par la victime et rien d’autre que ce préjudice, puisqu’il ne s’inquiétait pas des profits qu’avait pu réaliser le contrefacteur. C’était donc un changement important, qui s’est produit voici bientôt sept ans.

Pourtant, en dépit de cette intervention législative, le phénomène de la contrefaçon s’est, en sept ans, totalement amplifié : il s’est internationalisé et diversifié, changeant en partie de nature grâce, surtout, au recours croissant à l’internet et au commerce électronique. Permettez-moi de vous donner quelques statistiques pour l’année 2013 : les Français ont effectué plus de 600 millions de transactions en ligne pour un montant total de plus de 50 milliards d’euros. L’offre de commerce électronique touche 138 000 sites actifs. Songez, chers collègues, que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 29 octobre 2007, le nombre de sites marchands de commerce en ligne a décuplé, et leur chiffre d’affaires sextuplé. En 2007, chaque acheteur effectuait en moyenne deux transactions par an ; il en effectue 18 aujourd’hui ! Les effets néfastes de la contrefaçon sur notre économie sont donc désormais bien connus. D’autres chiffres ont déjà été cités dans l’excellent rapport de M. Jean-Michel Clément. Pour ma part, je rappellerai que, selon le rapport de l’Union des fabricants, remis en 2010 au ministre de l’économie, la contrefaçon coûtait près de 100 milliards de dollars par an aux économies des pays industrialisés, dont près de 70 milliards de dollars en pertes fiscales, sans compter la destruction de 100 000 emplois pour la seule Europe. Bien entendu, la France est directement touchée par ce phénomène qui lui coûte chaque année 35 000 emplois et à cause duquel nos entreprises perdent près de six milliards d’euros de chiffre d’affaires, à quoi il faut ajouter les pertes en matière d’innovation induites par le non-investissement. Le seul secteur du luxe souffrirait ainsi de pertes représentant 4 % à 7 % de son chiffre d’affaires. Or, ce secteur comprend aussi les petites mains qui confectionnent les sacs et autres foulards – ce sont autant d’emplois.

Rappelons toutefois que la contrefaçon ne se réduit pas aux produits de luxe qui assurent la renommée de notre économie. Elle touche aussi des produits de consommation courante comme les jouets, les cosmétiques, les médicaments, les pièces automobiles ou encore les produits alimentaires. De ce fait, non seulement elle constitue une atteinte aux droits de propriété intellectuelle, mais elle peut aussi représenter un danger pour la santé du consommateur, trompé sur la qualité d’une marchandise et des normes afférentes.

Face à ce fléau, les entreprises ont bien du mal à faire face et les États eux-mêmes sont impuissants s’ils n’agissent pas de façon concertée. De ce point de vue, madame la ministre, je me félicite que l’accord européen relatif à une juridiction unifiée du brevet soit bientôt ratifié car, après de longues négociations, il constitue une nouvelle avancée dans la protection uniforme des brevets au niveau européen. D’ailleurs, si nous estimions tout à l’heure, lors du débat sur le texte précédent, que l’Europe n’agissait pas assez vite, en matière de contrefaçon elle travaille bien et, grâce à votre action, madame la ministre, les choses ont pu avancer. C’est au-delà des frontières de l’Europe que se posent les problèmes…

En effet, de puissants réseaux criminels se cachent bien souvent derrière les fabricants de produits contrefaits. N’oublions pas que la contrefaçon est également un moyen pour des groupes mafieux de diversifier leurs sources de revenus tout en s’exposant à des sanctions pénales plus faibles. L’importation ou la contrebande de marchandises contrefaites sont moins lourdement sanctionnées que le trafic de stupéfiants ; de ce fait, elles s’apparentent à une prime de moindre risque pour des bénéfices équivalents, voire supérieurs.

Aussi, la proposition de loi d’origine sénatoriale que nous discutons aujourd’hui tend à améliorer et à clarifier la loi du 29 octobre 2007 afin, comme l’ont indiqué d’autres orateurs, d’offrir une meilleure protection aux consommateurs et, comme le souligne notre rapporteur, de « conforter l’attractivité juridique de la France dans le domaine très concurrentiel de la propriété intellectuelle ».

Permettez-moi de rappeler brièvement les six principaux apports de ce texte. Tout d’abord, il renforce la spécialisation des tribunaux en matière de propriété intellectuelle, en précisant notamment la compétence du tribunal de grande instance de Paris en matière de brevets d’invention, particulièrement ceux qui sont le résultat de travaux accomplis par des salariés. Il y avait là un véritable problème, car certains chercheurs salariés sont les auteurs d’inventions qui ne sont pas rémunérées par l’employeur ; sur ce point, le vide juridique est désormais comblé.

Ensuite, ce texte vise à améliorer les dédommagements civils en matière de contrefaçon en intégrant la notion de « conséquences économiques négatives » de la partie lésée, ainsi que le préjudice moral causé et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.

D’autre part, il tend à actualiser et à harmoniser des procédures existantes dans les différents droits de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon ainsi, bien entendu, que le droit à l’information. Il est notamment instauré une procédure permettant au juge d’ordonner toutes mesures d’instruction permettant de collecter des preuves, même en l’absence de saisie-contrefaçon. Dans ce domaine, en effet, les preuves sont souvent essentielles.

De surcroît, le texte simplifie l’engagement de l’action pénale pour la partie lésée par une contrefaçon et vise à aggraver le quantum des peines encourues lorsque, comme le rappelle l’article 18, les marchandises contrefaites sont dangereuses pour la santé ou la sécurité de l’homme ou celles de l’animal.

Enfin, il aligne les divers délais de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon sur le délai de droit commun de cinq ans.

Toutefois, je regrette que ce texte n’ait pas été l’occasion d’aller plus loin sur la question, aujourd’hui essentielle, de la cybercontrefaçon. Il n’est plus à démontrer que l’explosion du commerce électronique sert aussi aux réseaux criminels à masquer leur activité au milieu d’un flux d’informations complexes à réguler.

L’actualité la plus contemporaine, madame la ministre, avec le détournement des données chez l’opérateur Orange, en est un exemple concret, qui doit nous conduire à élaborer un plan d’action encore plus sévère sur ce thème.

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