Intervention de Sébastien Pietrasanta

Séance en hémicycle du 11 février 2014 à 15h00
Géolocalisation — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi relatif à la géolocalisation, adopté par le Sénat le 20 janvier 2014, puis par notre commission des lois le 28 janvier dernier.

La géolocalisation est une technique d’enquête de plus en plus utilisée par les services de police, de gendarmerie et des douanes, en complément de la filature traditionnelle. Elle leur permet de suivre en temps réel les déplacements d’un objet ou d’un véhicule utilisé par une personne suspectée d’avoir participé à la commission d’infractions graves.

Si nous examinons la manière dont ont évolué, au cours de ces dernières années, les techniques spéciales d’enquête, force est d’admettre que la technique de la géolocalisation a connu une croissance exponentielle. En 2011, on estimait à 4 600 le nombre des balises posées ; en 2012, ce nombre dépassait 5 500. Cela représente une croissance de près de 25 % en un an. Pour ce qui est de la géolocalisation des téléphones portables, nous sommes passés d’une fourchette de 1 000 à 3 000 utilisations en 2009 à 20 000 utilisations environ en 2013.

À la lumière de ces données, vous en conviendrez comme moi, la géolocalisation en temps réel est devenue, ces dernières années, un outil de travail indispensable au bon déroulement des investigations menées par nos forces de l’ordre.

Or, dans le même temps, le législateur n’a pas su faire évoluer le droit en conséquence et offrir aux services enquêteurs un cadre juridique clair et précis pour recourir à la géolocalisation en temps réel. Faute d’encadrement législatif du recours à cette technique spéciale d’enquête, la question de sa validité a été posée aux différents stades de la procédure pénale.

Une première réponse a été apportée dès 2010 par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a indiqué, dans un arrêt Uzun contre Allemagne, que la géolocalisation ne méconnaissait pas, en elle-même, le droit au respect de la vie privée, à condition cependant qu’elle respecte deux conditions : premièrement, elle ne peut être autorisée que pour des infractions particulièrement graves et uniquement si aucune autre mesure d’investigation, moins attentatoire à la liberté individuelle, n’est envisageable ; deuxièmement, elle doit être prévue par la loi, dans des termes suffisamment clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions l’autorité publique est habilitée à y recourir.

Plus récemment, la chambre criminelle de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la conformité de la géolocalisation en temps réel aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme pour la protection du droit au respect de la vie privée.

Dans deux arrêts du 22 octobre 2013, la Cour de cassation a invalidé les opérations de géolocalisation en temps réel menées sous le contrôle du parquet pour deux motifs : premièrement, les dispositions générales du code de procédure pénale relatives à la police judiciaire et au procureur de la République ne prévoyaient ni les circonstances ni les conditions dans lesquelles une mesure de surveillance judiciaire par géolocalisation pouvait être mise en place ; deuxièmement, la mesure en question était placée sous le seul contrôle du procureur de la République, lequel n’est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme donne à cette notion, en raison de ce qui serait son manque d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif et des parties.

À la suite de ces deux arrêts, le ministère de la justice a rédigé, en urgence, une dépêche demandant aux procureurs de la République de mettre fin à toutes les opérations de géolocalisation en temps réel menées par les forces de l’ordre dans le cadre des enquêtes, préliminaires ou de flagrance, conduites par le parquet.

L’objet même du projet de loi que nous examinons cet après-midi est de permettre la reprise rapide des opérations de géolocalisation en temps réel dans un cadre juridique rénové, conciliant le respect de la vie privée et les nécessités de l’enquête et définissant les modalités d’intervention respective des magistrats du paquet et du siège dans la conduite ces opérations.

Sans modifier l’équilibre de la législation existante sur les techniques spéciales d’enquête, ce projet de loi tend à lui apporter d’importantes améliorations et clarifications. Il comble ainsi un vide juridique en matière de géolocalisation, un vide déraisonnable parce qu’il fige aujourd’hui nombre de procédures en cours.

Je tiens, à cet égard, à saluer la rapidité avec laquelle le Gouvernement a cherché à répondre à l’insécurité juridique dans laquelle les arrêts de la Cour de cassation ont plongé nos services de police et de gendarmerie. Je voudrais également saluer ici la qualité du travail effectué par le rapporteur du texte au Sénat, M. Jean-Pierre Sueur, qui s’est efforcé de conforter et de préciser le dispositif sur plusieurs points. En définitive, le texte issu des travaux du Sénat reposait sur un équilibre globalement satisfaisant entre les nécessités de l’enquête et la protection de la vie privée.

Lors de l’examen de ce projet de loi, notre commission des lois a cependant souhaité renforcer ce dispositif d’ensemble, en adressant à cette fin un message de confiance à l’égard, tout d’abord, des services enquêteurs. Sous le contrôle d’un magistrat, ils sauront mettre en oeuvre avec discernement et responsabilité les mesures de géolocalisation. Leurs décisions ne pourront être prises que pour les nécessités de l’enquête, avec toutes les garanties procédurales qui s’y attachent.

Forte de cette confiance, notre commission des lois a fait le choix de ramener à trois ans au moins, toutes infractions confondues, la durée minimale de prison encourue pour permettre le recours aux opérations de géolocalisation. Le compromis issu du Sénat n’était pas suffisamment satisfaisant : il reposait sur une définition trop restrictive – presque craintive – du champ d’application de la géolocalisation, en excluant les délits d’évasion et de vol simple.

Prenons l’exemple, déjà évoqué par Mme la ministre, d’un véhicule de luxe volé puis retrouvé dans un parking. Les forces de l’ordre sont alors en présence d’un simple vol, mais peuvent, de manière légitime, soupçonner que ce même véhicule servira par la suite à commettre d’autres infractions, comme le trafic de stupéfiants, avec les « go fast ». Certes, il s’agira d’un vol simple, mais les services d’investigation auront pourtant besoin, afin de mener à bien leurs missions, de recourir à une mesure complémentaire de géolocalisation en temps réel.

De la même manière, nous avons porté, en commission, à quinze jours – au lieu de huit – la durée initiale pendant laquelle une opération de géolocalisation peut être autorisée par le procureur de la République, avant d’être ensuite soumise à une décision du juge des libertés et de la détention ; 80 % des opérations de géolocalisation demandées par les services enquêteurs s’effectuent dans la limite de quinze jours instituée par le présent projet de loi. Il y a donc une vraie cohérence à prévoir, au plan opérationnel, un tel délai.

C’est avec la même confiance dans nos services enquêteurs que je vous proposerai, au cours de la discussion, d’adopter un amendement portant de douze à vingt heures le délai maximal au cours duquel l’autorisation écrite du magistrat doit intervenir en cas de pose d’une balise en urgence par un officier de police judiciaire.

Ce message de confiance s’adresse également aux magistrats. Le Sénat leur avait reconnu la faculté, en matière de criminalité organisée, de disjoindre du dossier de la procédure les circonstances de la pose d’une balise – lieu, date, heure – et ce, dans le souci louable de protéger les témoins ou informateurs des services d’enquête. De fait, l’obligation de verser au dossier toutes ces circonstances aurait, dans certains cas, fait courir un risque grave à ces personnes.

Sur l’initiative de son président, M. Jean-Jacques Urvoas, la commission a préféré laisser à l’appréciation du juge des libertés et de la détention le soin de décider quelles informations relatives aux circonstances précises de l’installation ou du retrait d’une balise peuvent ne pas apparaître dans la procédure, dès lors qu’elles ne sont pas strictement nécessaires à la manifestation de la vérité.

Là encore, en reconnaissant au magistrat garant des libertés individuelles un large et nécessaire pouvoir d’appréciation, la commission a voulu lui témoigner sa confiance en sa capacité à rechercher et constater les infractions, sans que soit pour autant mise en danger la vie ou l’intégrité physique des personnes – informateurs, témoins ou simples citoyens – qui apportent leur concours aux forces de sécurité dans leurs missions.

C’est d’ailleurs dans le même esprit que le président Urvoas et moi-même vous proposerons, tout à l’heure, un amendement destiné à conforter davantage encore la rédaction de ces dispositions.

Enfin, nous adressons un message de confiance aux justiciables. En commission, nous avons décidé d’étendre cette protection qu’est la possibilité de garder secrètes ces informations aux membres de la famille ainsi qu’aux proches des personnes aidant la police ou la gendarmerie pour la pose d’une balise. Nous tous, ici, savons que la criminalité organisée n’hésite pas à se livrer à des représailles à l’encontre de l’environnement familial de ces personnes et à formuler des menaces qui constituent autant de moyens de pression nuisant à la manifestation de la vérité.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, notre assemblée est aujourd’hui saisie d’un texte important et particulièrement attendu. Je vous invite donc à adopter ce projet de loi et à adresser, comme nous l’avons déjà fait en commission, un message de confiance tant aux magistrats qu’aux services de police, de gendarmerie et des douanes, qui se trouvent aujourd’hui bien démunis pour recourir à la géolocalisation en temps réel et mener à bien leurs investigations.

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