Intervention de Gérard Charasse

Séance en hémicycle du 20 février 2014 à 9h30
Non-intégration de la livraison dans le prix unique du livre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Charasse :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le livre n’est pas une marchandise comme les autres. Vecteur incontournable de la diffusion des idées, sa survie est bien évidemment essentielle et je veux, moi aussi, rappeler ici que c’est à l’unanimité que notre assemblée a voté, le 3 octobre dernier, en première lecture, la présente proposition de loi « tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition ».

Cette unanimité sur un tel sujet est un signe fort, dans notre démocratie qui traverse une crise qui nous préoccupe, nous, députés du groupe RRDP. L’année que nous venons de passer n’est pas sans rappeler une des périodes sombres de notre histoire. Je veux parler ici des années trente : nombre de livres étaient alors mis à l’index, brûlés car jugés subversifs ou contraires à une certaine morale des plus douteuses.

Aujourd’hui, des librairies et des bibliothèques sont assaillies et vidées méthodiquement par des groupuscules extrémistes, obscurantistes. Défendre le livre, c’est défendre notre démocratie et notre République. C’est défendre la pluralité et la diffusion des idées. Protéger la filière du livre dans sa diversité est un impératif absolu et je souhaite que nous puissions, à l’issue de nos débats d’aujourd’hui, rencontrer la même unanimité qu’en première lecture. Le groupe RRDP, en tout cas, compte bien oeuvrer dans cette direction.

Une remarque, cependant : il n’aura échappé à aucun d’entre nous que l’intitulé du texte dont nous débattons aujourd’hui a été sensiblement modifié. Le texte adopté en première lecture ne visait pas à habiliter le Gouvernement à modifier, par ordonnance, les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition.

Certes, les ordonnances sont un outil fort opportun pour permettre de légiférer plus vite que la procédure parlementaire habituelle ; mais elles ont l’inconvénient, non négligeable, de déposséder le Parlement de sa prérogative essentielle, qui est, précisément, de faire la loi.

L’accord-cadre du 21 mars 2013, entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition, sur le contrat d’édition dans le secteur du livre à l’ère numérique, est une avancée qui a été saluée par l’ensemble des acteurs du livre. Que cet accord apparaisse dans le texte de la proposition de loi est donc un point positif, dont le groupe RRDP se félicite. Néanmoins, le recours à l’ordonnance pour que cet accord-cadre soit transposé dans le code de la propriété intellectuelle nous a gênés, nous aussi.

II n’en demeure pas moins qu’il existe une situation d’urgence qu’il faut garder à l’esprit, et qui doit nous obliger, nous, représentants de la nation et garants de l’intérêt général et des libertés publiques : je veux parler ici de la situation plus que préoccupante dans laquelle se trouve le secteur du livre.

Plus précisément, la rentabilité moyenne des librairies indépendantes se situe entre 0,6 et 2 %, selon le Syndicat de la librairie française. En parallèle, on observe une explosion de la vente par internet de livres imprimés, passée de 3,2 % du marché du livre en 2003 à 17 % en 2012.

À l’heure des nouvelles pratiques de lecture et de l’essor du commerce électronique, soutenir le livre imprimé suppose de défendre, à la fois, le réseau des librairies et la vivacité du catalogue des éditeurs, dont dépend l’offre proposée aux lecteurs. La littérature ne peut pas se limiter à la vente de best-sellers et à la diffusion d’une pensée hégémonique. Il suffit d’ailleurs d’observer ce qui se passe chez nos voisins anglo-saxons pour constater les ravages d’une commercialisation libéralisée : un réseau complètement sinistré, les têtes de gondoles achetées par les grands distributeurs, dont l’unique objectif se résume à la vente de ces fameux best-sellers.

Soutenir la pluralité des éditeurs, c’est soutenir la création littéraire. Or, le support papier, qui est le plus fragile, est celui qu’il faut absolument protéger. Jusqu’à aujourd’hui, les sites internet de vente à distance de livres imprimés avaient la possibilité de cumuler deux avantages : une TVA réduite et la gratuité des frais de livraison. Avec ce texte, s’il est adopté, le cumul de ces deux avantages ne sera plus possible.

Il ne s’agit pas tant de favoriser les librairies indépendantes que de rétablir une équité dans leurs pratiques commerciales par rapport à celles pratiquées par les sites internet. Ce rééquilibrage est nécessaire, mais accuser le numérique de précipiter dans la crise l’édition papier et le réseau des librairies indépendantes nous semble un raccourci un peu rapide.

Entre 1990 et 2011, la part des livres dans la consommation des biens culturels des ménages est passée de 10,8 % à 8 %. En 2012, lorsque la TVA sur le livre est passée de 5,5 % à 7 %, les prix des livres ont augmenté en moyenne de 2,9 %. On a alors pu constater une baisse de 4,5 % du volume des livres vendus, alors même que, dans le même temps, la vente des livres de poche – moins chers – se maintenait. La question du pouvoir d’achat n’est

donc pas étrangère à la baisse des ventes des éditions papier. Certes, le pouvoir d’achat n’est pas l’unique cause de la baisse des ventes des éditions papier en librairie, mais la question du coût des livres n’est pas à négliger.

Enfin, il est bon de souligner que l’adoption de la présente proposition de loi, trente ans après la loi Lang, n’entraînera pas une augmentation du prix du livre. Il s’agit de réguler un marché qui était faussé.

Autre point, sur lequel je souhaite insister, plus large, et qui n’est pas abordé dans la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui : la lecture. Avec la multiplication des écrans de télévision et d’ordinateur, avec la possibilité de voir et revoir des émissions audiovisuelles en replay ou en streaming, il est indéniable que la lecture recule.

Des efforts conséquents doivent être déployés en direction des établissements scolaires. À cet égard, la réforme des rythmes scolaires doit être une chance à saisir pour engager cette dynamique nécessaire. L’État et les collectivités territoriales ont ici un rôle fondamental à jouer pour encourager les territoires à tisser des liens entre les écoles et les bibliothèques.

Mais revenons-en à la vente par internet de livres imprimés. La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui est surnommée « loi anti-Amazon ». C’est un peu excessif. Certes, le géant américain a des pratiques commerciales peu louables. Les conditions de travail de ses employés sont peu conformes aux règles françaises en matière de droit du travail et, qui plus est, le géant américain prend certaines libertés en matière fiscale.

Cette entreprise détient en effet 70 % des parts du marché de la vente en ligne en France de livres imprimés, mais pratique une politique d’optimisation fiscale systématique, qui a pour effet de minimiser son taux d’imposition. Face à ce mastodonte de la vente en ligne de livres imprimés, on peut comprendre la défiance que peuvent avoir à son endroit les petites librairies de quartier.

Cependant, il ne faut pas non plus refuser le progrès des nouvelles technologies. Elles existent et, plutôt que de les combattre, il s’agit aussi de trouver des solutions appropriées pour vivre avec – pour bien vivre avec, dirais-je même. La vente par internet de livres imprimés est une avancée technologique, mais elle doit aussi pouvoir représenter une avancée pour nos concitoyens.

Si l’on y réfléchit bien, c’est déjà le cas. La vente par internet de livres imprimés est aussi un outil indéniable qui permet de démocratiser encore plus l’offre de lecture, notamment dans les territoires ruraux ou de montagne, souvent éloignés des librairies auxquelles nous pouvons avoir accès dans les zones urbaines. En d’autres termes, la vente de livres imprimés par internet est aussi un moteur, un outil en faveur d’une égalité d’accès à la lecture et aux catalogues des éditeurs.

Aplanir les conditions de vente des livres imprimés par internet et les rendre plus équitables au regard des conditions commerciales applicables dans les librairies indépendantes est, en réalité, une mesure simple et des plus normales. La proposition de loi ne fait que réguler une situation qui faussait les règles normales de la concurrence. II s’agit d’instaurer un équilibre et d’apporter plus de sécurité juridique et commerciale. Pour toutes ces raisons, le groupe RRDP soutiendra ce texte.

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