Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 24 février 2014 à 16h00
Géolocalisation — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

…ainsi, en effet, que la présidente. Je tiens à saluer la qualité du travail qui a été produit dans le cadre de cette commission mixte paritaire, en particulier l’implication personnelle, politique et juridique forte du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, ainsi que celle du président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur, de même que le travail effectué par les deux rapporteurs, M. Pietrasanta et Jean-Pierre Sueur lui-même. Leur implication à tous a conduit à de beaux compromis, eu égard à quelques divergences et différences d’écriture que vous venez de rappeler, monsieur le rapporteur.

C’est un texte très attendu, nous le savons, puisque les deux arrêts rendus sur le sujet par la Cour de cassation ont créé un vide juridique – vide relatif il est vrai, puisque la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà signifié qu’il était nécessaire de légiférer afin de pouvoir recourir aux techniques de géolocalisation. Il est très attendu dans nos juridictions et par les services enquêteurs – police, gendarmerie, douanes et fonctionnaires fiscaux exerçant en tant qu’officiers de police judiciaire. Du fait de ces deux arrêts, des géolocalisations en cours dans le cadre de procédures pénales ont dû être interrompues, et le parquet devait ouvrir une information judiciaire pour des actes de géolocalisation indispensables à la procédure pénale, puisque seul le juge d’instruction pouvait les ordonner.

Aujourd’hui, nous avons un texte de loi qui, en raison de la qualité du travail fourni par la CMP, permettra d’établir un cadre juridique fixant à la fois les conditions et les limites dans lesquelles il pourra être recouru aux deux techniques de géolocalisation. C’est incontestablement un progrès pour les libertés individuelles.

Je ne reviendrai pas en détail, M. Le rapporteur vient de le faire, sur les points qui ont nécessité des discussions entre les deux chambres, mais je rappelle que le quantum de peine qui définit le seuil à partir duquel des actes de géolocalisation pourront être ordonnés a été sujet à discussion : vous êtes revenus au seuil de cinq années, avec un quantum requis de trois ans pour les atteintes aux personnes, y ajoutant les faits d’évasion et de recel de criminels. Je ne saurais trop vous exprimer la satisfaction du Gouvernement, étant donné que c’est la combinaison pour laquelle j’avais plaidée devant votre assemblée il y a quelques jours. Je pense que cette adaptation est la plus adéquate car elle permet à la fois de préserver les libertés individuelles en tenant compte des considérants de la Cour de cassation, laquelle estimait que la géolocalisation n’est pas une simple filature au moyen de techniques modernes mais bien une ingérence grave dans la vie privée, et de de préserver l’efficacité des enquêtes.

Par ailleurs, vous avez à nouveau travaillé sur le délai durant lequel l’autorisation du parquet restera valable. Le texte du Gouvernement avait prévu quinze jours ; le Sénat l’avait réduit à huit jours ; vous étiez revenus à quinze jours, ce que la commission mixte paritaire a validé. Le Gouvernement avait retenu cette durée sur la base de celle d’une enquête de flagrance prolongée parce que c’est la condition d’efficacité et d’opérationnalité des services de police judiciaire. Je rappelle que le parquet appartient à l’autorité judiciaire et qu’à ce titre, il veille à préserver les libertés individuelles, même si c’est dans un champ moins large que les juges du siège.

S’agissant de la possibilité pour les officiers de police judiciaire de décider en urgence d’une mesure de géolocalisation, vous aviez choisi le délai de vingt-quatre heures pour demander l’autorisation au parquet, tandis que le Sénat avait, lui, opté pour un délai de douze heures. La CMP a choisi de le maintenir à vingt-quatre heures. Étant donné que le procureur est avisé immédiatement, un tel délai pour autoriser ou non la mesure de géolocalisation me paraît tout à fait acceptable.

Il reste, vous en avez parlé, monsieur le rapporteur, le sujet sensible, délicat et complexe qu’est le dossier occulte. Nous savons qu’un tel dossier est souhaité par les forces de police judiciaire pour protéger les personnes qui apportent des informations à la justice, permettant ainsi d’élucider des affaires. Nous sommes tous soucieux de préserver l’intégrité physique de ces personnes et nous avons tous cherché à écrire le mieux possible la disposition qui vise à les protéger. Je rappelle que le Conseil d’État avait disjoint cette mesure du texte initial en demandant qu’elle soit davantage travaillée alors qu’elle était déjà très proche du dispositif existant pour le témoignage sous X. Le dispositif maintenu par la commission mixte paritaire en est plus éloigné. Il est inédit. La difficulté qu’il soulève aujourd’hui encore, et que j’avais signalée lors de la lecture devant l’Assemblée, est qu’il contient une liste non définie de pièces susceptibles d’être introduites dans le dossier occulte.

Cela présente une réelle difficulté : des pièces qui servent non seulement à la manifestation de la vérité mais aussi à l’appréciation de la régularité de la procédure pourront être contenues dans le dossier occulte et donc échapper au débat contradictoire, ce qui peut porter atteinte au principe du droit à un procès équitable et aux droits de la défense.

Cette liste n’étant pas définie, elle permettra d’inclure dans le dossier occulte des mesures telles que les poses de balises, les autorisations de pénétration dans un local d’habitation ou les prolongations d’autorisation de géolocalisation.

Pour ces raisons, il est prudent d’envisager une sécurisation totale de ce texte car non seulement les actes d’enquête doivent être conformes à la loi, mais, du fait de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, il importe que la loi soit strictement conforme à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette démarche de sécurisation étant justifiée, j’ai suggéré il y a quelques jours que le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat défèrent ces dispositions au Conseil constitutionnel, conformément à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution.

Le Gouvernement pourrait évidemment le faire aussi puisque ce même article prévoit que le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs peuvent déférer un texte de loi avant promulgation au Conseil constitutionnel.

Mais à ce stade et compte tenu du fait que la rédaction définitive du texte provient du Parlement, j’ai le sentiment que si le Gouvernement en prenait l’initiative ce serait, d’une certaine façon, une mauvaise manière. Il me semble donc souhaitable que les présidents des chambres du Parlement défèrent le texte.

L’article 61, alinéa 2, de la Constitution donne un mois au Conseil constitutionnel pour se prononcer, mais ce délai peut être ramené à huit jours en cas d’urgence. Puisque nous sommes dans le cadre d’une procédure accélérée, il serait logique que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer sous huit jours.

Compte tenu du rythme auquel nous avons étudié ce texte, nous restons dans des délais extrêmement raisonnables. La sécurisation juridique du texte me paraît mériter ces huit jours supplémentaires.

Il sortira du Conseil constitutionnel un texte consolidé qui garantira la sécurité des procédures pénales. C’est ce que nous devons aux citoyens français et aux enquêteurs de la police, de la gendarmerie, des services douaniers et fiscaux.

Dans un délai très contraint, parce que nous avions commencé à travailler en amont, nous nous retrouvons avec un texte de grande qualité, qui a été très sensiblement enrichi par le Sénat et l’Assemblée nationale. Nous aurons comblé un vide juridique dans un délai extraordinaire, absolument remarquable.

Je veux vous remercier très chaleureusement pour la mobilisation des deux chambres qui a permis d’aboutir à ce travail de qualité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion