Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 9 avril 2014 à 15h00
Exil des forces vives de france — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’instar de M. Olivier Falorni, je vais dire tout le mal que je pense de la formulation de cette proposition de résolution présentée aujourd’hui par nos collègues de l’UMP.

Depuis deux ans, nous entendons constamment un discours stigmatisant la France et tendant à faire croire, à tort, que nos compatriotes fuient par millions un pays qui aurait perdu son attractivité. D’une part, c’est se montrer d’une très grande mauvaise foi quant aux atouts et aux faiblesses de nos pays, notamment en matière d’attractivité. D’autre part, c’est se montrer très ignorant des réalités de l’expatriation et des facteurs qui expliquent l’accroissement de la mobilité, à l’heure de la mondialisation.

C’est d’ailleurs paradoxal : les Français de l’étranger vous semblent, chers collègues, totalement inconnus, alors même que nous comptons – et ce, depuis longtemps – douze sénateurs pour nous représenter, et que votre majorité a rendu possible leur représentation à l’Assemblée nationale, avec la création de onze sièges de députés.

Mais, à regarder de plus près, il est vrai que ce n’est pas si surprenant. Pour l’essentiel, vous avez choisi, pour représenter ces Français de l’étranger, des personnes sans aucune expérience de la mobilité internationale et de l’expatriation. Sans doute vivent-ils leur mandat, loin de Paris et des ministères qu’ils ont pu occuper, comme une forme d’exil.

Sur un sujet plus grave, l’utilisation du terme « exil » pour évoquer la question de la mobilité internationale et des évolutions que connaît la société française dans ce domaine est polémique, déplacée et outrancière. Je vous le dis très franchement : moi qui ai été exilé avec ma famille, qui ai bénéficié du statut protecteur garanti par la convention de Genève jusqu’à ma naturalisation et qui, des années plus tard, ai été un Français expatrié en Colombie, je peux dire qu’il faut faire attention lorsqu’on joue sur les mots : comparer les deux réalités, c’est une erreur, et même une faute. Je regrette donc la formulation que vous avez choisie.

Les questions de mobilité sont passionnantes. Elles dessinent de nouvelles réalités, à l’heure de la mondialisation : de nouveaux brassages, des métissages, une France multiculturelle, une forme de vie nouvelle, faite de nomadisme. C’est sans doute une réalité difficile à appréhender pour les promoteurs du débat sur l’identité nationale.

Des études ont déjà été menées sur la réalité de l’expatriation, et vous en avez cité une : celle de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France, dont le rapport est disponible depuis le mois dernier. Les interrogations de l’étude sont similaires à celles que vous avez suggérées, sans la formulation polémique : est-ce que la mobilité et l’expatriation de nos compatriotes tiennent à un mouvement de fond lié à la mondialisation, notamment aux nouveaux parcours professionnels des jeunes générations, ou est-ce une situation spécifiquement française, liée à des décisions politiques, à une fiscalité nationale décourageante et sombre pour notre avenir ?

Les conclusions de cette étude, que je ne partage pas toutes, sont néanmoins éclairantes, et vous feriez bien d’en tenir compte dans les travaux que la commission d’enquête aura à effectuer.

Nous assistons à un changement en matière de mobilité dans notre pays. En croissance de 3 à 4 % depuis une dizaine d’années – et cela n’a pas commencé le 6 mai 2012 –, l’expatriation concerne à ce jour entre 1,5 million et 2 millions de Français, ce qui place la France – vous devriez le rappeler – très loin derrière le Royaume-Uni, qui compte 4,6 millions ressortissants expatriés. L’Allemagne en compte 4,2 millions et l’Italie 3,6 millions.

En dix ans, entre 2003 et 2013, s’opère un mouvement en ciseaux : parallèlement à l’accroissement des Français choisissant l’expatriation, on constate une diminution des Français envoyés à l’étranger par leur entreprise, l’administration ou une ONG sous des statuts d’expatriés ou en détachement : le pourcentage est tombé de 36 % à 19 %. Parallèlement, le nombre de Français travaillant sous contrat local a augmenté de 47 % à 50 %, tout comme le nombre de créateurs d’entreprise, qui est passé de 10 % à 18 %, deux situations qui indiquent un fort attachement au pays.

C’est l’effet conjugué de la mondialisation et du fait que nombre de compatriotes, surtout les mieux préparés et les plus diplômés, se projettent dans un espace plus vaste que celui des frontières nationales. C’est également l’effet de ce que l’on peut appeler la « génération Erasmus », ces étudiants qui ont eu la chance de faire une année de formation à l’étranger en échange universitaire : 180 000 jeunes participent chaque année à ces échanges.

Contrairement à ce que vous prétendez ou suggérez, nous constatons que le déterminant de l’expatriation n’est pas économique ou fiscal. Le rapport d’activité de la direction des Français à l’étranger du ministère des affaires étrangères l’indique bien : 18 % seulement de nos compatriotes sondés expliquent leur expatriation par ces éléments, alors même qu’un tiers indique vouloir s’expatrier en raison du désir d’enrichissement culturel.

Je ne souhaite pas continuer plus longtemps à donner des éléments qui contredisent l’esprit de votre proposition. Je voudrais dire simplement que, loin du tableau déprimant de l’expatriation, nos compatriotes installés à l’étranger n’ont pas fui le pays. Ils gardent avec notre pays un lien très fort. D’ailleurs, le succès de nos établissements conventionnés avec l’agence pour l’enseignement français à l’étranger en est la meilleure preuve.

Ces Français-là reviennent souvent en France. Ils sont d’ailleurs nos meilleurs ambassadeurs, à l’heure de la diplomatie économique. C’est pourquoi, le Gouvernement a décidé d’accompagner ce mouvement, qui est un atout à l’heure de la mondialisation, en élargissant, par exemple, le dispositif Erasmus aux jeunes formés dans les filières technologiques et professionnelles, et en permettant aussi une augmentation des volontariats internationaux en entreprise de 25 %. Par ailleurs, le Gouvernement doit aussi travailler à améliorer les conditions d’accueil de nos compatriotes expatriés qui décident de revenir en France.

Sachez enfin que la France demeure attractive, et non pas seulement pour les touristes : elle est aussi le troisième pays d’accueil pour les étudiants étrangers, même si la circulaire Guéant nous a fait beaucoup de mal.

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