Intervention de Édouard Fritch

Séance en hémicycle du 15 avril 2014 à 21h30
Modernisation et simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉdouard Fritch :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous abordons ce soir l’examen d’un texte dont notre assemblée est coutumière : d’importantes entreprises de simplification ont été menées sous la précédente législature et, rappelons-le, ce projet de loi constitue le quatrième texte de simplification par voie d’ordonnance que notre assemblée est appelée à connaître au cours de la présente législature.

Sans conteste, toute initiative qui vise à simplifier notre arsenal juridique a vocation à nous rassembler, tous autant que nous sommes. Face à l’inflation législative qui s’est emparée de nos assemblées ces dernières années, face à une complexification croissante du droit, nul ne peut mettre en cause la nécessité de restaurer, au nom des principes d’accessibilité et d’intelligibilité du droit, la qualité et la lisibilité de notre norme juridique car lorsque la loi de la République devient l’affaire des seuls spécialistes, c’est bien la crédibilité de la norme juridique elle-même qui est en cause. Au-delà, c’est le sentiment de proximité du citoyen envers l’État et la confiance que celui-ci place dans les pouvoirs publics qui s’en trouvent affectés.

Il est donc de notre devoir de législateur de prendre une part active et directe à la dynamique de simplification, de modernisation et d’amélioration de la qualité de notre droit.

Ainsi, c’est avec conviction, mes chers collègues, que les députés du groupe UDI adhèrent à cette volonté de simplifier, de moderniser le droit et les procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. C’est là du reste une exigence à même de tous nous rassembler.

On peut néanmoins regretter, à nouveau, la portée très large et assez vague de ce texte.

Mais permettez-moi d’en profiter pour vous parler du volet foncier en Polynésie française car l’urgence de la situation n’autorise plus le maintien du statu quo actuel. Il nous faut avancer, et vite !

La Polynésie française, effectivement, se caractérise par des traditions en matière d’accès et de valorisation des biens fonciers qui diffèrent largement de celles qui furent à la base des dispositions consacrées, en France métropolitaine, par le code civil.

Grossièrement, à un principe traditionnel – et très océanien – de propriété et d’exploitation collective des terres ont été substituées une appropriation et une exploitation individuelle de celles-ci depuis l’application du code civil en Polynésie française.

La mise en oeuvre des principes du code civil a imposé une parfaite connaissance des différentes terres composant le territoire de chacune des îles ou de chacun des atolls de la Polynésie française.

Le premier cadastre digne de ce nom est toujours en cours actuellement, et à grands frais. Plus d’un siècle après le démarrage de cette politique, de nombreux conflits touchant à la délimitation des terres nourrissent la chronique judiciaire et encombrent les juridictions civiles de droit commun au quotidien.

L’application correcte des principes du code civil suppose donc la connaissance tout aussi parfaite de leurs propriétaires légitimes, d’origine ou successifs. La fiabilité de l’état civil, la question des généalogies sont donc toujours au coeur de la problématique foncière polynésienne.

Compte tenu de ce qui précède, la situation foncière en Polynésie française en 2014 se caractérise par une indivision non purgée, constituée à grande échelle et sur plusieurs générations, situation pénalisante pour la sérénité des familles et contraignante pour la vie économique de notre pays.

Conscients de ces handicaps qui empoisonnent la paix civile, engorgent les tribunaux civils et entravent le développement économique du pays, les pouvoirs publics ont créé – je cite la loi statutaire – un « collège d’experts en matière foncière consulté sur toute question relative à la propriété foncière en Polynésie française et qui propose à l’assemblée générale des magistrats de la cour d’appel des personnes qualifiées en matière de propriété foncière pour y être agréées comme assesseurs aux tribunaux statuant en matière foncière ou comme experts judiciaires ».

Il demeure largement sous-employé dans ses attributions de conseil, mais aussi dans ses fonctions de propositions d’assesseurs, puisque – nous y reviendrons – le tribunal foncier n’est toujours pas une réalité dix ans après son inscription dans la loi statutaire régissant les pouvoirs publics polynésiens.

Enfin, la création de la commission de conciliation obligatoire en matière foncière a pour finalité d’être essentiellement un moyen de recherche d’une conciliation et de mettre en état une affaire, par nature complexe et très conflictuelle, appelée à être jugée, faute justement de conciliation.

Enfin, force est de reconnaître qu’elle n’a pas contribué suffisamment à la résolution de fond des contentieux fonciers en raison, d’une part, d’une submersion de la commission – comme du tribunal – par le nombre d’affaires à traiter annuellement et, d’autre part, du refus des parties de se concilier, eu égard à l’évolution des mentalités et à la complexité de plus en plus aiguë des successions.

Pour tenter d’améliorer encore plus les choses, le législateur a prévu la création en Polynésie française d’un tribunal foncier, juridiction spécialisée.

Comme je le disais tantôt, l’installation de cette nouvelle juridiction n’est toujours pas effective à ce jour, lors même qu’elle apparaît comme un instrument essentiel de la solution des litiges fonciers en Polynésie française.

Le fait que l’État n’ait pas pris l’ordonnance prévue à l’article 17 de la loi statutaire du 27 février 2004 installant ce tribunal a fortement contribué à empirer le problème foncier en Polynésie, et le pays n’est plus en situation de faire face tout seul à l’évolution croissante de la demande et du nombre de conflits fonciers. Vous devez être informée, madame la garde des sceaux, que près de mille dossiers sont en souffrance au sein de la chambre des terres, et le mouvement s’amplifie ! La Polynésie française est tout à fait disposée aujourd’hui à se responsabiliser et à mobiliser toute l’intelligence de ses services pour oeuvrer, de concert avec l’État, à la modernisation des modes de gestion de la question foncière polynésienne.

En résumé, la situation foncière en Polynésie française apparaît de plus en plus préoccupante et de nature à entraver la relance économique du pays ; elle est en outre un élément de dissension intrafamiliale, donc de troubles potentiels à l’ordre public. La situation est donc réellement préoccupante à de multiples égards.

Les juridictions de l’ordre civil actuelles ne sont plus en capacité de répondre à l’ampleur de la demande et il nous faut donc compléter, sur ce point, nos instruments juridictionnels et notre outil administratif. De ce point de vue, madame la rapporteure, je sais gré aux membres de la commission des lois d’avoir retenu ma proposition d’amendement visant à inscrire, dans le projet de loi en discussion, les dispositions afférentes aux assesseurs. Encore que celui-ci, pour être complet, devra intégrer des dispositions ne pouvant émaner, en vertu de l’article 40 de la Constitution, que d’un amendement du Gouvernement sur la rémunération de ces assesseurs.

Tout cela demande évidemment à être mis en oeuvre à la suite de concertations étroites entre l’État et le pays. C’est la raison pour laquelle, en vue du dégagement en commun de solutions constructives sur tous ses sujets, nous réitérons notre demande à Mme la garde des sceaux de bien vouloir consentir à l’envoi en Polynésie française d’une mission de spécialistes de la Chancellerie chargés, de concert avec les services du pays et les professionnels locaux du droit, d’élaborer un rapport de situation et de formuler, sur tous ces sujets, des préconisations et des projets de texte de modernisation à mettre en oeuvre.

Le Gouvernement propose de légiférer par ordonnance. Ainsi que mes collègues du groupe UDI vous l’ont fait remarquer lors de l’examen des précédents textes de simplification, nous sommes réservés sur le choix du recours aux ordonnances, qui comporte toujours le risque que le Gouvernement n’utilise pas les habilitations qui lui ont été accordées par le législateur. Il a en outre un défaut : celui d’échapper à notre contrôle.

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