Intervention de Philippe Folliot

Séance en hémicycle du 29 avril 2014 à 21h30
Activités privées de protection des navires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Folliot :

Les pirates n’hésitent plus à utiliser un armement lourd et très mobile. Ils agissent autant en haute mer qu’au mouillage, lorsque les navires sont les plus vulnérables.

À l’échelle mondiale, le coût de cette piraterie moderne est aujourd’hui extrêmement élevé. Il s’agit d’abord d’un coût humain, à travers les atteintes physiques et psychologiques inadmissibles contre les marins. Outre les décès dont nous avons parlé, il faut évoquer les prises d’otages, systématiques en cas d’attaques réussies dans l’océan Indien et de plus en plus fréquentes dans le golfe de Guinée. Les périodes de captivité durent plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et sont très éprouvantes, menant parfois au décès de membres d’équipage.

Il s’agit ensuite d’un coût économique, compte tenu de l’impact des actes de piraterie sur le commerce international. Les surcoûts liés à la piraterie pour les armateurs sont évalués entre 7 et 12 milliards de dollars chaque année, du fait des dépenses de carburant, des frais d’assurance, des dépenses de sécurité et du versement de primes de risque aux équipages. Les compagnies françaises sont directement concernées, avec le transport de 15 millions de passagers par an, et à l’heure où 72 % de nos importations et exportations sont assurés par des voies maritimes.

Par ailleurs, une catastrophe aux conséquences environnementales considérables n’est pas à exclure. Peu après le détournement du Sirius Star par des pirates somaliens en novembre 2008, un scénario a circulé dans la presse, décrivant une marée noire intentionnellement ou accidentellement déclenchée par les pirates. Si aucune attaque pirate n’a eu de telles conséquences jusqu’à présent, le risque est néanmoins réel.

On le voit bien, lutter contre la piraterie maritime en assurant la sécurité des équipages et des navires constitue un enjeu considérable, tant pour les armateurs que pour la communauté des États. Cela participe également au renforcement de la compétitivité du pavillon français et du transport maritime national face à une concurrence étrangère de plus en plus rude.

La France, l’Europe et le monde ont déjà réagi en déployant des escadres au large de la Somalie : ce sont les opérations Atalante, menée par l’Union européenne,Ocean Shield, conduite par l’OTAN. Si cette présence constante a indéniablement diminué les risques, elle ne parvient toujours pas à assurer une sécurité maximale.

Depuis 2008, l’État français met donc à disposition des navires battant pavillon français environ 150 fusiliers et commandos marins. Mais là encore, malgré leur expertise, leur professionnalisme et leur dévouement, l’État ne répond favorablement qu’à environ 70 % de la trentaine de demandes de protection reçues chaque année.

Les entreprises privées de protection des navires, du fait d’un prépositionnement plus important, pourraient donc jouer un rôle complémentaire fondamental de celui aujourd’hui dévolu à la Marine nationale. Sur les quinze pays de l’Union européenne disposant d’une flotte de commerce importante, onze autorisent déjà la présence d’entreprises privées armées à bord de leurs navires.

Ce projet de loi alignera donc la législation française sur celles de ses partenaires, qui sont aussi ses concurrents. Au-delà de cette nécessaire harmonisation européenne, ce texte s’inscrit dans la droite ligne du rapport d’information de nos ex-collègues Christian Ménard et Jean-Claude Viollet relatif aux sociétés militaires privées remis sous la précédente législature. Déjà, les auteurs considéraient que « notre pays est désormais prêt à autoriser l’embarquement de personnels privés armés à bord des navires commerciaux traversant des zones dangereuses ».

Ce texte répond enfin à une demande de l’ensemble des professionnels du secteur maritime qui ont pris à témoin l’État sur ses propres limites et la nécessité d’une légalisation de la protection maritime par des agents embarqués.

À notre sens, le débat ne doit donc pas porter sur la question de l’embarquement de ces équipes, mais sur le contrôle que doivent exiger les armateurs et le Gouvernement autant sur leurs propres soldats que sur les privés. Nous ne voyons donc pas d’obstacle à l’adoption de ce projet de loi, si l’ensemble des conditions d’armement, les exigences de traçabilité et les conditions dans lesquelles il pourra être fait usage de la force sont suffisamment encadrées, ce qui nous semble être le cas.

Le texte prévoit que la nouvelle activité de protection privée des navires sera d’une part strictement circonscrite à un nombre limité de cas spécifiques, d’autre part, encadrée de manière rigoureuse avec un système complet de certification, d’autorisation et d’agrément. Il prévoit enfin un contrôle du respect des règles qu’il fixe à terre comme en mer, instaure un suivi strict des armes embarquées, interdit la sous-traitance et n’admet le recours à la force que dans le cadre de la légitime défense.

Ainsi, l’offre privée ne se substituera pas à l’offre publique. Elle doit simplement être considérée comme un complément visant à assurer une protection effective et efficace des personnes et des biens quand la marine nationale ne peut, seule, honorer pleinement une telle mission. Elle devra enfin permettre le développement d’une offre française structurée dans ce domaine, et la pleine reconnaissance du savoir-faire de nos soldats, courtisés par les sociétés anglo-saxonnes.

À cet égard, nous souhaitons que l’examen de ce projet de loi permette d’ouvrir une réflexion plus large sur le rôle et la place des entreprises de services de sécurité et de défense. Comme l’ont relevé nos ex-collègues Ménard et Viollet dans leur excellent rapport auquel j’ai fait allusion, celles-ci se sont largement développées à l’étranger ces vingt dernières années puisqu’on en dénombre près de 1500 actives à travers le monde, offrant des prestations très variées, du conseil et ingénierie de la sécurité au soutien opérationnel ou encore à l’intelligence économique.

Le chiffre d’affaires global du secteur se situerait entre 100 et 200 milliards de dollars par an, le ministère des affaires étrangères évoquant même 400 milliards.

Encourager le déploiement de ces entreprises, devenues des acteurs incontournables de la sécurité internationale, représente donc un enjeu hautement stratégique pour notre pays.

Dans le droit fil du rapport Ménard-Viollet, nous considérons essentielle l’adoption rapide d’un cadre législatif spécifique dont l’objectif serait de clarifier les activités que la France autorise et prohibe en définissant une véritable liste, de sorte que nos ESSD soient encouragées ; de préciser les conditions de certification des entreprises, d’habilitation de leurs agents et d’armement ; de faciliter le régime d’exportation de matériels légers de sécurité et de veiller à ce que ces sociétés n’assurent pas de missions contraires aux intérêts de la France.

C’est pourquoi, conformément à l’une des dix-huit propositions émises par l’UDI en matière de défense, nous défendrons un amendement proposant que le Gouvernement remette un rapport au Parlement contenant des mesures qui permettront le développement de ce secteur stratégique en France.

Nous voterons ce texte.

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