Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 6 mai 2014 à 15h00
Débarquement en normandie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Six heures trente, le 6 juin 1944, les premières troupes alliées débarquent à Utah, à Omaha, puis sur Gold, Juno et Sword. La bataille de Normandie n’a pas commencé exactement à six heures trente ; elle avait déjà commencé dans la nuit, lorsque des troupes aéroportées furent larguées sur le Cotentin, dans les marais, où la plupart périront, ou l’estuaire de l’Orne. Et déjà de lourdes pertes pour ce qui deviendra la plus grande opération militaire amphibie et aéroportée de l’histoire mondiale. Au soir du 6 juin, comme l’a rappelé Laurence Dumont, 10 000 hommes ont donné leur vie pour seulement quelques centaines de mètres de plage.

Dans les cinq mois qui suivent, pour vous donner une idée, rien que sur Utah Beach, 836 000 hommes débarquent, 222 000 véhicules, 725 000 tonnes de matériel. Cette bataille de Normandie se terminera le 25 août, par la libération de Paris, mais la guerre n’est pas finie pour autant. De ces fameuses plages de Normandie arriveront plusieurs divisions, comme la quatrième division d’infanterie, qui ira jusqu’en Allemagne et qui, aidée de certaines troupes, comme l’Easy Company de la 101e division, aura aussi comme lourde tâche de libérer les camps de concentration. Dans deux jours, nous commémorerons tous la vraie fin de la Seconde guerre mondiale.

Je reviens sur les propos de Serge Barcellini, conseiller auprès du secrétaire d’État aux anciens combattants et à la mémoire, Kader Arif, lors des premières assises du tourisme de mémoire le 25 mai 2011. Il nous expliquait que nous étions passés du tourisme du souvenir, du recueillement et des commémorations à un tourisme pédagogique encore empreint de patriotisme. Eh oui, il y a encore du patriotisme et de l’émotion. Vous pouvez, chers amis, vous rendre aux cimetières militaires britannique, à Bayeux, américain, à Colleville, allemand, à La Cambe, ou encore canadien ou polonais. L’émotion est là. Lorsque vous regardez l’âge des soldats sur les tombes, à La Cambe, ils ont seize, dix-sept ans, ou bien ce sont des vétérans et ils en ont cinquante.

C’est également l’histoire de familles, encore très vive dans les souvenirs. Je ne citerai que celle de Théodore Roosevelt junior, le fils du président, qui, à cinquante-sept ans, est le seul haut gradé à vouloir débarquer avec ses troupes sur les plages de Normandie. Il décède le 12 juillet et est enterré à Omaha. Le corps de son frère Quentin, pilote abattu en 1918, fut ramené près de lui à Omaha, face à la mer.

Après le tourisme du souvenir et le tourisme pédagogique, avec toutes les classes qui se rendent sur nos plages, ce dont je suis très heureuse car c’est ainsi que l’on transmet cette mémoire, nous entrerons très vite dans le tourisme d’histoire, où les plages se désacralisent et deviennent un élément du paysage touristique. Si nous pouvons aujourd’hui demander le classement des plages du débarquement au patrimoine mondial de l’UNESCO, c’est parce que les services de l’État, les collectivités territoriales, le Conservatoire du littoral et la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement se sont battus ensemble pour conserver l’intégrité naturelle de ces sites et conserver également l’esprit de mémoire. C’est ce qui permet à Laurent Beauvais, président du conseil régional de Basse-Normandie, de demander, en insistant encore et encore, le classement de l’ensemble des sites au patrimoine mondial.

Il y a également une évolution du message véhiculé : on parle moins de guerre et plus de paix et de fraternité. Le mémorial de Caen est le mémorial de la paix. Vainqueurs et vaincus sont rassemblés lors des commémorations, mais nous sentons bien que nous ne sommes pas encore totalement entrés dans cette dimension, car il faut reconnaître que commémorer avec les Allemands n’est pas accepté partout avec le même enthousiasme. Le temps y remédiera.

Les commémorations concernant les victimes civiles sont elles aussi récentes. Les photos d’archives des démolitions des villes normandes sous le bombardement allié, Caen, Lisieux, Saint-Lô, mais aussi Aunay-sur-Odon ou Évrecy, quasiment rayée de la carte, ne sont apparues que très récemment dans nos musées.

Et puis, on ne peut pas parler de ces plages et de ce débarquement sans évoquer les noms des hommes qui sont arrivés le 6 juin et après. Parmi eux, des noms intéressants comme Montgomery ou Disney, des noms de famille très normands, parce qu’ils étaient portés par les compagnons de Guillaume le Conquérant, partis de Normandie conquérir l’Angleterre. Ces hommes, près de mille ans plus tard, sont revenus pour libérer la patrie de leurs ancêtres. Disney, c’est tout simplement d’Isigny. Transformés avec les siècles, ces noms nous reviennent avec un doux accent américain.

Guillaume le Conquérant, c’est également la tapisserie de Bayeux, chef-d’oeuvre qui raconte le premier débarquement amphibie de l’histoire mondiale. Amphibie parce que les chevaux étaient embarqués sur les bateaux avec l’infanterie ; les cavaliers deviendront des chars en 1944. Ce débarquement en sens inverse avait concerné plus de sept cents navires et des dizaines de milliers d’hommes. De cette conquête est né un chef-d’oeuvre unique au monde, classé au registre « Mémoire du monde » de l’UNESCO, comme nous espérons que les plages le seront au patrimoine mondial.

Dans ce secteur des plages, les histoires se mélangent : XIe siècle, XXe siècle, ces périodes s’entrechoquent, car les Nazis veulent la tapisserie de Bayeux. Elle appartient à ce qu’ils appellent les racines aryennes de l’histoire de l’Europe. Des dizaines de milliers d’oeuvres d’art seront pillées dans toute l’Europe, dans les musées, les églises, chez les particuliers, les collectionneurs et les galeries d’art ; les Nazis s’emparent de tous nos chefs-d’oeuvre, pour les transporter, dans un but très précis, en Allemagne, pour le futur musée du Führer, qui heureusement ne verra jamais le jour.

Sur ces plages de Normandie, débarquent alors ceux qui s’appelleront les Monuments Men : 350 hommes venus de treize nations, spécialistes en histoire de l’art, conservateurs et directeurs de musée, architectes, archivistes. Ces hommes, engagés dans la septième armée, retrouveront des centaines de milliers d’oeuvres d’art, sculptures, tapisseries, tableaux, retables, stockés dans un millier de lieux, mines de sel ou châteaux, en Allemagne et en Autriche. La plupart ont aujourd’hui été restituées mais il reste encore du travail, et c’est le thème de la mission que je dirige, avec mes collègues Marcel Rogemont, Michel Herbillon et Michel Piron, dans le but de faire des suggestions pour rendre aux héritiers de leurs véritables propriétaires les oeuvres qui n’ont pas encore été restituées ou se trouvent encore dans les musées français.

Il était normal – et je salue Laurence Dumont pour cette très heureuse initiative –, à travers cette résolution, à laquelle le groupe écologiste s’associe pleinement, de rendre hommage aux soldats, aux Résistants, aux civils et à ces Monuments Men qui nous ont permis de vivre dans une Europe libre en conservant notre culture et notre histoire.

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