Intervention de présidente élisabeth Guigou

Réunion du 21 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

présidente élisabeth Guigou, coprésidente :

Nous avons le plaisir d'accueillir une délégation de la commission des affaires étrangères du Bundestag. Beaucoup d'entre vous se connaissent déjà. Je remercie nos collègues allemands d'être venus si nombreux.

Je salue également la présence de Mme Susanne Wasum-Rainer, ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne en France, et de plusieurs diplomates de l'ambassade.

Afin de favoriser des échanges très libres, la réunion n'est pas ouverte à la presse. Elle fera toutefois l'objet d'un communiqué conjoint du président Röttgen et moi-même.

Cette réunion fait suite à une rencontre analogue qui s'est déroulée à Berlin en février de l'année dernière et a été l'occasion d'un échange très intéressant, marqué par une grande capacité d'écoute de part et d'autre. Nous avions débattu de la crise malienne et de l'avenir de la politique de sécurité et de défense commune – à l'aune, évidemment, de nos traditions respectives s'agissant du recours à la force. Sans jamais en faire le premier recours, la tradition française juge ce dernier légitime dès lors que certaines conditions sont réunies, c'est-à-dire lorsque les moyens diplomatiques ont déjà été utilisés, ou en cas d'urgence humanitaire ou politique – comme au Mali –, et ce au nom de la responsabilité de protéger. La culture allemande, en ce domaine, comporte davantage de retenue – héritage de l'histoire et voeu de l'opinion publique.

Toutefois, lors de la Conférence annuelle sur la sécurité qui s'est tenue à Munich en février dernier, de hauts responsables allemands – le président de la République fédérale, le ministre des affaires étrangères, la ministre de la défense – ont prononcé à ce sujet plusieurs déclarations qui ont fait grande impression. Le président Gauck a souhaité que la République fédérale s'implique « plus tôt, avec plus de détermination et de manière plus substantielle ». Quant à M. Steinmeier, il a observé que « l'engagement militaire est un moyen de dernier recours » et que « la retenue est de mise », mais qu'« une culture de la retenue ne doit pas se transformer en culture du retrait à l'écart », ajoutant que « l'Allemagne est un trop grand pays pour se contenter de commenter la politique internationale de l'extérieur ». La ministre de la défense a précisé que « l'indifférence n'est pas une option ». Cette question fait donc débat en Allemagne.

M. Steinmeier a ensuite demandé à ses services de faire une enquête sur le point de vue des autres diplomaties quant à la politique étrangère de l'Allemagne. Différents think tanks européens et internationaux ont été interrogés, leurs contributions ont été réunies, et, hier, j'ai été moi-même invitée, à l'instar d'autres responsables, à donner le point de vue de mon pays, en présence du ministre Steinmeier et devant quelque cinq cents personnes. Ce grand colloque, auquel le président Röttgen a également pris part, sera suivi de débats dans les Länder, ce qui est tout à fait remarquable.

Ce travail a également donné lieu à un sondage, réalisé par la Fondation Körber, qui révèle un écart important entre les responsables gouvernementaux allemands et une opinion publique encore très attachée à la culture de la retenue. La position du Bundestag sur ce point nous intéresse évidemment beaucoup.

Mais ce sondage apporte aussi une information qui, pour nous, Français, est extraordinaire et très réconfortante : parmi les pays avec lesquels l'Allemagne devrait coopérer davantage, la France est citée par 79 % des sondés, loin devant la Pologne, le Royaume-Uni, la Chine, les États-Unis et la Russie.

Nous sommes convenus de nous concentrer ce matin sur un nombre limité de sujets d'actualité à propos desquels, si nos assemblées respectives peuvent évidemment avoir des positions différentes, il me paraît important que nous trouvions un compromis. Ces sujets ont trait à l'amélioration de notre politique de voisinage à l'Est et au Sud – où je suis personnellement convaincue que les approches allemande et française ne sont pas concurrentes, mais complémentaires.

Il s'agit tout d'abord des leçons de la crise ukrainienne. Nous pourrions discuter des positions et du rôle actuels de l'Union européenne et de ses États membres, ainsi que des conséquences à tirer de cette crise pour notre politique de voisinage.

Se pose également la question de savoir comment, et à quelles conditions, reconstruire un partenariat exigeant avec la Russie. Il n'y a pas d'avenir pour le peuple russe dans une confrontation avec l'Union européenne. Quant à l'Union européenne, elle n'a pas intérêt à une confrontation durable – même si la plus grande fermeté s'impose aujourd'hui, notamment pour que les élections du 25 mai se déroulent le plus correctement possible, afin de donner à l'Ukraine un président légitime qui engagera la réforme de la Constitution et organisera les élections législatives et locales.

Dans l'hypothèse où la Russie empêcherait la tenue des élections par une intervention extérieure, nous n'hésiterons pas à passer à la phase 3 des sanctions économiques, même si nous préférerions l'éviter. Norbert Röttgen et moi-même l'avons dit lorsque nous sommes allés à Kiev, où nous avons montré la plus grande fermeté tout en laissant naturellement ouverte la voie du dialogue.

Nous pourrions aborder ensuite la question du partenariat qui reste à construire avec l'Afrique. Elle a deux visages. D'abord celui, que les médias privilégient, d'un continent en proie à des crises récurrentes et à la menace terroriste, qui ont conduit la France à intervenir, au cours des dernières années, en Côte d'Ivoire, puis au Mali et en République centrafricaine. Dans cette tâche, nous souhaiterions bien entendu que nos partenaires européens nous aident et nous accompagnent. C'est déjà le cas au Mali ; nous pourrons revenir sur le détail de l'appui allemand sur place, avec la brigade franco-allemande. Mais nous serions heureux que cette aide soit plus importante, notamment en Centrafrique.

L'autre visage de l'Afrique, que nous avons tendance à négliger, c'est celui d'un continent d'avenir – qui commence à émerger, fort d'un formidable potentiel économique et humain. La Chine, la Turquie, l'Inde, le Brésil et d'autres l'ont déjà compris ; l'Europe devrait être plus allante sur cette voie. Nous pourrons discuter des initiatives à lancer ensemble pour sécuriser le continent et pour relever conjointement les défis communs de la croissance et de la consolidation démocratique. Les suites des printemps arabes, qui ne se présentent pas trop mal en Tunisie – où notre aide est toutefois nécessaire –, sont plus problématiques ailleurs. Je suis pour ma part convaincue qu'un partenariat stratégique euro-méditerranéen devrait être mis à l'étude ; il pourrait servir d'ébauche à une verticale Europe-Méditerranée-Afrique subsaharienne, pour la croissance, le climat et la maîtrise des migrations.

Parmi les autres sujets d'actualité que nous pourrons également évoquer figurent les négociations commerciales transatlantiques, auxquelles notre commission s'intéresse beaucoup et qui font l'objet d'une proposition de résolution inscrite demain à l'ordre du jour de la séance publique. Sur cette question, la France et l'Allemagne ont tout intérêt à définir des positions communes. J'ai noté avec intérêt que le gouvernement allemand avait émis, par la voix de Sigmar Gabriel, les plus vives réserves quant à la création d'un éventuel mécanisme de règlement des différends, et que de cette question pourrait dépendre son adhésion à un accord final.

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