Intervention de Norbert Röttgen

Réunion du 21 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, coprésident :

Chère Élisabeth Guigou, chers collègues, madame l'ambassadeur, merci de nous accueillir à Paris où nous sommes venus en nombre, en effet, et très volontiers ! Nous avons certes laissé à Berlin des températures estivales et un grand soleil pour trouver ici un temps un peu plus sombre, mais la bonne humeur est au rendez-vous. Nous sommes très heureux de vous retrouver et de pouvoir discuter avec vous en toute franchise et amitié, dans un cadre qui n'a plus rien d'exceptionnel.

De notre côté, l'actualité a été très chargée depuis le début de l'année, avec la conférence de Munich, qui comptait de nombreux participants français, et le débat ouvert par notre président fédéral, notre ministre des affaires étrangères et notre ministre de la défense sur l'opportunité d'un engagement allemand plus poussé en politique extérieure. Le sondage auquel vous avez fait référence, réalisé fin avril et début mai, a montré que la population allemande n'était pas tout à fait réceptive à cet appel : selon 60 % des sondés, l'Allemagne ne devrait pas s'engager davantage – et cette proportion est deux fois plus élevée qu'il y a vingt ans.

L'interdépendance entre les différents pays du monde ne cesse de croître, de même que le nombre de conflits, et de ceux auxquels nous pouvons être appelés à participer. Cela nous confère une responsabilité importante. Nous devons justifier toute intervention, réaffirmer notre vision de la place des Européens dans le monde et dire qu'ensemble, nous souhaitons exercer une influence sur la forme que va prendre la mondialisation, pour que nos valeurs – liberté, démocratie, État de droit –, bien que minoritaires, soient reconnues. Il est indispensable que nous le fassions, dans le respect, naturellement, de la manière dont d'autres États ou sociétés pourront décider de s'organiser.

La crise d'Ukraine est moins une crise ukrainienne qu'une crise à propos de l'Ukraine, provoquée par le comportement de la Russie – ou plutôt celui de Poutine. Il nous a pris par surprise en remettant en question le consensus européen, né de deux guerres sanglantes, selon lequel on ne saurait déplacer les frontières en Europe par la violence ni par l'intimidation. Les revendications, ici, ne sont pas simplement territoriales ; sans même parler du droit international, ce sont l'intégrité et la souveraineté étatiques qu'il s'agit de faire respecter. Il y va de la paix, de la liberté et de la sécurité en Europe.

Je crois pouvoir dire qu'aucun d'entre nous n'avait prévu ces événements. La vitesse à laquelle la situation évolue nous oblige à prendre des décisions concrètes. L'Europe doit absolument réagir à cette crise. La coopération franco-allemande est là aussi indispensable : sans elle, l'Europe ne pourra avancer d'un seul élan. La manière dont l'Europe va définir son rôle et ses valeurs sera déterminante. Sur ce point, je suis optimiste : en relevant ce défi, nous serons plus forts que nous ne l'aurions été sans cette crise. Nous en avons fait l'expérience dans des cas comparables.

Mme Guigou, notre homologue polonais et moi-même nous sommes rendus en délégation parlementaire à Kiev, afin de contribuer, à notre échelle, à maintenir le lien et d'exprimer notre position commune. La voici : cette crise va s'inscrire dans la durée et faire sentir ses effets pendant plusieurs années ; c'est donc la capacité de résistance à long terme des démocraties européennes qui est mise à l'épreuve, ainsi que la valeur que nous accordons au principe d'autodétermination. La tactique de Poutine consiste à déstabiliser l'Ukraine afin d'y rétablir l'influence russe. Notre mission consiste donc à stabiliser le pays pour qu'il puisse décider lui-même de son destin. Naturellement, il ne faut pas en venir à la confrontation militaire. Le conflit est asymétrique : nous ne réagirons pas aux provocations militaires par le recours aux armes, préférant miser sur des solutions diplomatiques, politiques et économiques, et nous inscrire dans la durée.

S'agissant des élections de dimanche, puis de la suite, comment agir sans nous contenter de rechercher le plus petit dénominateur commun ? Comment nous montrer réactifs face aux initiatives de Poutine ? Telles sont les questions dont nous devons parler ensemble.

Mais ce ne sont pas les seules : ne l'oublions pas, avant cette crise entre l'Ukraine et la Russie, nous étions tournés vers la Syrie, qui a maintenant presque disparu des médias et du débat politique, comme l'Afrique d'ailleurs. Tout se passe comme si nous n'avions ni la capacité mentale ni l'énergie de traiter plus d'une crise à la fois. Nous n'avons pas le droit d'agir ainsi. La guerre en Syrie a fait 150 000 morts et le conflit est dans l'impasse. Comment détournerions-nous le regard ?

Aucun pays européen ne pourra agir seul en Syrie : c'est ensemble que nous pourrons user de notre influence. Voir ce que nous pouvons faire ensemble, tel est le sens de la présente rencontre, qui s'inscrit dans un processus de normalisation : nous ne sommes pas là pour faire de grandes déclarations, mais pour avoir des discussions de fond entre collègues.

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