Intervention de Philippe Goujon

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 9h30
Lutte contre l'apologie du terrorisme sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que se tient aujourd’hui même l’audience visant à statuer sur le refus que Mehdi Nemmouche a opposé à son extradition, et tandis que le contexte international s’aggrave terriblement dans la zone irako-syrienne, l’existence d’une menace terroriste polymorphe et diffuse nous impose de renforcer notre arsenal législatif pour lutter contre le premier facteur d’embrigadement que constitue internet, comme l’a excellemment rappelé notre rapporteur, Guillaume Larrivé.

Il ne s’agit pas d’un simple souhait exprimé banalement ou de façon mécanique, ou de répondre à un fait divers, aussi atroce soit-il, encore moins de polémiquer vainement. Non, monsieur le secrétaire d’État, agir immédiatement, sans attendre, est une exigence absolue. Nous n’avons pas le temps d’attendre.

Le juge antiterroriste Marc Trévidic nous a d’ailleurs confirmé que des jeunes entrent de plus en plus précocement dans la voie du terrorisme ; ils sont principalement radicalisés au moyen d’internet par des mouvements issus de l’islam radical. La menace est mouvante et les ennemis des démocraties ont une capacité d’adaptation hors du commun. La revue djihadiste Inspire – qu’a souvent citée notre rapporteur –, d’accès très facile, explique sur internet les mille et une façons de contourner la surveillance des services de police et de renseignement ; elle donne jusqu’au mode d’emploi pour préparer un attentat dans un pays à haut de niveau de sécurité comme la France.

Moins de deux ans après l’adoption de la loi antiterroriste du 21 décembre 2012 – que vous n’avez pas attendu pour faire adopter : vous vous y êtes employés dès votre accession au Gouvernement –, nous voici déjà conduits à l’adapter à nouveau pour lutter contre ces ennemis invisibles, tapis dans la nébuleuse d’internet.

Notre proposition de loi permettrait de surveiller, voire de bloquer la consultation de ces sites depuis la France, sur le modèle de ce qui existe en matière pédopornographique. Les services de renseignement pourraient ainsi décider, non pas systématiquement mais au cas par cas, de les bloquer, ou bien de les laisser exister afin d’en surveiller les mouvements. L’évolution de la menace terroriste rend désormais cette disposition indispensable, et le ralliement, quoique tardif, du Gouvernement à l’idée de contrôler ces sites et ces phénomènes d’embrigadement témoigne de la pertinence de cette dernière.

Alors, pourquoi attendre encore pour adopter ce texte ? Votre seul argument consiste à dire qu’il faut attendre. Nous ne le pouvons pas. De surcroît, certaines des dispositions de notre texte nous réunissent déjà, comme la responsabilisation des fournisseurs d’accès et des hébergeurs de sites dont – pour reprendre les termes de Mme Bechtel, qui a été rapporteure du projet de loi antiterroriste de 2012 – la licéité ne fait plus question, puisqu’elle existe déjà dans d’autres domaines.

Le ministre de l’intérieur, lui aussi, nous a déclaré être absolument favorable à l’application, aux sites faisant l’apologie du terrorisme, du même régime que celui qui frappe les sites faisant l’apologie des crimes contre l’humanité, incitant à la haine raciale ou diffusant des contenus pédopornographiques.

Jean-Jacques Urvoas, président de notre commission, a lui-même renchéri en déclarant que « l’extension de la contrainte imposée aux fournisseurs d’accès est la seule manière de répondre à ce qu’il faut bien appeler leur hypocrisie [… ] » Et il a ajouté : « je suis donc enclin à voter ce dispositif [… ]. »

Nous sommes tous d’accord, ce qui est assez rare pour être souligné. Ce qui est en jeu ici – j’y insiste –, c’est le terrorisme, autrement dit des questions de vie ou de mort pour nos concitoyens et notre société. Aussi adoptons, à tout le moins, cette partie du texte, pour pallier dès à présent un vide juridique qui, demain, pourrait être fatal à notre sécurité nationale.

Rien ne serait pire, en effet, que de négliger la puissance d’endoctrinement des sites djihadistes, comparable aux méthodes sectaires. Je sais bien que tel n’est pas votre cas, monsieur le secrétaire d’État, mais il faut les contrer sans perdre un instant.

L’avocat des victimes de la tuerie de Toulouse, Patrick Klugman – que vous connaissez bien puisqu’il est adjoint au maire de Paris – rappelait, devant la similitude des affaires Nemmouche et Merah, que l’on « ne trouvera aucun jeune parti en Syrie qui ne soit passé par le vecteur internet. »

Ces jeunes Français se situent en amont du passage ultime à l’acte terroriste. On recense 850 djihadistes potentiels – un nombre en hausse de 75 % depuis six mois – qui forment le premier contingent des combattants européens du djihad en Syrie. Nombre d’entre eux constitueront une menace latente dès leur retour ; plusieurs sont déjà revenus.

Le patron de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste nous a révélé qu’Al Qaïda a installé ses camps d’entraînement en Syrie pour frapper, demain, l’Europe, dont la France, qui constitue pour elle – nous le savons – une cible privilégiée. D’anciens cadres d’Al Qaïda ont migré d’Afghanistan vers la Syrie et l’Irak – zone qualifiée aujourd’hui de « Djihadistan » – où ils sélectionnent et entraînent des jeunes fanatisés, aptes à se fondre dans la population d’un pays européen cible et d’y réaliser des attentats. On ignore si Nemmouche était le premier d’entre eux, mais ces centaines de soldats d’Al Qaïda rejoindront bientôt, en Europe, les centaines de jeunes revenus du djihad.

Le juge Trévidic nous a fait part de l’inquiétude des magistrats du pôle antiterroriste de Paris devant l’émergence de nouveaux profils radicalisés sur internet, pouvant agir seuls et qui, pour certains, ne peuvent tomber sous le coup du délit d’association de malfaiteurs, car celui-ci ne comprend pas d’incrimination de la seule tentative.

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