Intervention de Michel Piron

Séance en hémicycle du 26 juin 2014 à 9h30
Lutte contre la concurrence sociale déloyale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Piron :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à examiner la proposition de loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, issue des délibérations de la commission mixte paritaire. Il s’agit d’un texte important puisqu’il concerne l’un des principes fondateurs du Traité de Rome, celui de la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne. L’emploi des travailleurs étrangers au sein des économies nationales est un phénomène ancien et universel qui a contribué au développement de notre pays. Aujourd’hui encore, le fait de donner aux jeunes la possibilité d’étudier à l’étranger ou de permettre à des entreprises de détacher leurs cadres et leurs spécialistes en Europe constitue de vrais atouts pour notre économie.

Si ce texte témoigne d’une difficulté à articuler marché unique et disparité des législations sociales dans les différents États membres, il ne doit aucunement remettre en cause les principes mêmes de la mobilité et de la libre circulation des biens et des personnes, mais uniquement en questionner les modalités. De même, il était important que nos discussions ne donnent pas lieu à des instrumentalisations qui feraient peser sur l’Europe le poids de tous les maux de notre société. Ne faisons pas de la figure du travailleur détaché un nouvel emblème de l’euroscepticisme, celui qui concentrerait toutes les peurs et qui illustrerait à lui seul les tentations du repli national. La directive « Détachement » n’est pas responsable du développement du travail illégal sur le territoire de l’Union européenne. La recherche effrénée d’optimisation sociale n’a pas attendu cette directive pour prospérer. Je je dirais même que sans le corpus de règles que contient la directive, l’application aveugle du principe de libre circulation aurait pu causer des phénomènes de travail temporaire frauduleux autrement plus désastreux que ceux auxquels nous avons assisté ces dernières années.

Il est vrai, en revanche, que nous ne pouvons plus nous satisfaire de la législation actuelle, laquelle, du fait principalement de l’entrée de treize nouveaux États au niveau de vie inférieur à celui de l’Europe occidentale, ne parvient plus à faire face aux fraudes et aux détournements d’usage qui se traduisent par la systématisation des trafics de main-d’oeuvre. Cette situation touche et affecte bon nombre d’acteurs : les artisans, les entreprises du bâtiment et du transport, les producteurs de fruits et légumes comme les sociétés spécialisées dans les travaux publics. L’Union européenne doit désormais se doter de dispositions et de moyens d’une tout autre ampleur pour prétendre lutter efficacement contre ce phénomène croissant qui menace notre économie, met en danger le financement des systèmes de protection sociale des États et désorganise des filières économiques entières.

Dans ce contexte, nous saluons, à nouveau, l’initiative de cette proposition de résolution, qui fait suite à une autre résolution et à un rapport que nous avons remis avec Chantal Guittet et Gilles Savary, grand spécialiste de ces questions. En étant aux avant-postes sur la question des travailleurs détachés, la France a aujourd’hui la capacité de proposer une voie à ses voisins européens, de prouver que si elle demeure attachée à la liberté de circulation, c’est toujours dans un cadre protecteur pour ses citoyens.

Après une première lecture par notre assemblée, le Sénat a su améliorer le texte, sans le dénaturer. La commission mixte paritaire est également parvenue à établir un texte qui a su conserver la philosophie générale du projet de loi initial. Les principaux apports de cette proposition de loi, que j’avais mentionnés en première lecture, ont été conservés. Elle prévoit d’abord, pour tous les secteurs, une responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d’ordre avec les sous-traitants qui frauderaient : voilà son point essentiel. Le Sénat a d’ailleurs procédé à une utile simplification, en supprimant le dispositif de solidarité financière spécifique aux salariés détachés, pour retenir un dispositif unique.

La proposition ajoute une obligation d’informer l’inspection du travail pour les donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage. Suite à l’examen du texte par le Sénat, et afin de donner aux inspecteurs du travail les outils et les informations nécessaires pour lutter contre la fraude et le dumping social, le nombre de salariés et de travailleurs détachés devra être mentionné dans le bilan social de l’entreprise. Le volet spécifique au transport routier, sujet ô combien difficile, va renforcer la responsabilité des donneurs d’ordre, tout en permettant de lutter contre des conditions de travail particulièrement scandaleuses. Nous avions également souligné l’intérêt que peut avoir l’instauration d’une liste noire des entreprises condamnées d’une peine d’amende pour travail illégal. Le Sénat a supprimé toute référence à un seuil pour ces amendes.

Enfin, une telle proposition de loi ne pouvait se prévaloir de prendre en compte tous les aspects de la question des travailleurs détachés, sans donner voix au chapitre aux organisations patronales comme aux syndicats de salariés. Les organisations syndicales représentatives bénéficieront ainsi du droit clairement établi d’ester en justice en tant que partie civile en cas de travail illégal. S’ajoutent à ces dispositifs l’extension de la circonstance aggravante de bande organisée en cas de travail dissimulé ou de prêt illicite de main-d’oeuvre, ainsi que la possibilité pour la justice, en cas de condamnation sur ces motifs, d’interdire, pour une durée qui peut aller jusqu’à cinq ans, de percevoir toute aide publique attribuée par l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements ou leurs groupements ainsi que toute aide financière versée par une personne privée chargée d’une mission de service public.

Ce dernier point a fait l’objet de discussions en commission mixte paritaire. Le groupe CRC a en effet introduit au Sénat un amendement visant à obliger le contrevenant à rembourser les subventions déjà perçues. La CMP a décidé, à juste titre et à l’initiative de notre rapporteur, de supprimer cette disposition. Son effet rétroactif était de fait contestable, alors que l’autorité administrative a d’ores et déjà la possibilité, lorsqu’elle a connaissance d’un procès-verbal relevant une infraction de travail illégal, de demander le remboursement des aides publiques perçues au cours des douze derniers mois.

Pour conclure, au-delà des mesures techniques et de bon sens que contient ce texte, nous devons garder à l’esprit que les dérives du principe de libre circulation ne pourront être jugulées que par un mouvement déterminé et constant en faveur d’une Europe sociale, d’une Europe plus homogène et, partant, plus protectrice et plus prospère. Les problèmes qui existent aujourd’hui en matière de détachement des travailleurs résultent essentiellement de l’inadéquation entre des normes disparates au sein des États membres et l’état encore embryonnaire de l’Europe sociale. Ils incitent à construire une Europe fédérale politique et sociale autant, et sinon plus, qu’économique, qui protège réellement nos concitoyens au nom d’une culture partagée. C’est en réitérant ce voeu que le groupe UDI votera en faveur de cette proposition de loi.

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