Intervention de Carlos Da Silva

Séance en hémicycle du 2 juillet 2014 à 21h30
Motion adoptée par le sénat tendant à proposer de soumettre au référendum le projet de loi relatif à la délimitation des régions aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCarlos Da Silva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le Sénat a adopté ce jour une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Cette motion a été immédiatement transmise à l’Assemblée nationale, qui doit à présent se prononcer. En effet, l’article 11 de la Constitution prévoit que seule une proposition conjointe des deux assemblées peut être présentée au chef de l’État en vue de l’organisation d’un référendum législatif. L’article 123 du règlement de l’Assemblée nationale dispose d’ailleurs que la motion référendaire est immédiatement renvoyée en commission et que la motion est inscrite dès l’ouverture de la prochaine séance, ce qui est le cas. Je vais vous exposer les raisons pour lesquelles cette motion doit à mon sens être rejetée, en espérant vous convaincre.

Un paradoxe peut tout d’abord être souligné : selon la Constitution, le Sénat est le représentant des collectivités territoriales, ce qu’il ne se prive jamais, et à juste titre, de rappeler. C’est d’ailleurs pour cette raison que le projet de loi est examiné en premier lieu au Sénat. Or en votant une motion référendaire, le Sénat refuse en quelque sorte d’assumer pleinement son rôle constitutionnel de représentant des collectivités territoriales, préférant s’en remettre au référendum. La situation est suffisamment inédite pour être notée.

Par ailleurs, alors que l’article 11 de la Constitution dispose que la proposition de recours au référendum doit être faite par une résolution conjointe des deux assemblées, la résolution qui nous a été transmise dispose que c’est le Sénat qui propose au Président de la République de soumettre au référendum le présent projet de loi. Tout cela est très révélateur quant au sens de cette motion : loin d’être un appel au peuple, elle est une tentative, pour la deuxième assemblée, de s’attribuer une forme de droit de veto sur les textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales – droit de veto qui n’est pas prévu par notre Constitution.

En outre, à supposer même que les deux assemblées proposent l’organisation d’un référendum, rien n’obligerait le Président de la République à y donner suite, car l’article 11 de la Constitution fait du référendum une simple faculté pour le chef de l’État. Or celui-ci a déjà, et à plusieurs reprises, indiqué qu’il n’était pas favorable à un référendum sur ce projet de loi et qu’il privilégierait la voie parlementaire.

Par ailleurs, d’un point de vue juridique, il n’est absolument pas certain que ce projet de loi entre dans le champ du référendum défini à l’article 11 de notre Constitution, et qui se limite à trois domaines : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, et la ratification d’un traité.

En l’espèce, seul le premier domaine, l’organisation des pouvoirs publics, pourrait éventuellement permettre que le projet de loi relatif à la délimitation des régions soit soumis à référendum. Mais cette interprétation n’est pas certaine, car la notion de « pouvoirs publics » est généralement interprétée comme désignant des autorités dites centrales, c’est-à-dire l’État, et non les collectivités territoriales. C’est la position que défend par exemple le professeur Pascal Jean dans un article paru le 11 mai dernier. Un débat juridique existe donc sur cette question, mais il n’a pas à vocation à être tranché aujourd’hui par notre assemblée.

En effet, des raisons de fond s’opposent, en tout état de cause, à ce qu’un référendum national soit organisé à propos du projet de loi relatif à la délimitation des régions. Disons le simplement : organiser un référendum serait la meilleure façon de faire échouer cette réforme. L’outil référendaire est parfaitement respectable, mais, pour des raisons de clarté et d’efficacité, il ne doit être utilisé que pour poser une question simple, à laquelle le peuple peut répondre par oui ou par non. Or ce n’est pas une question, mais vingt et une – ou quatorze – questions que pose ce projet de loi, autant qu’il y a actuellement de régions ou qu’en prévoit le projet de loi. Il est très probable que s’ils étaient appelés aux urnes, les citoyens se prononceraient moins sur la proposition de nouvelle carte territoriale que sur le cas particulier de chacune de leurs régions.

Par ailleurs, il existe une manière de recourir au peuple pour faire évoluer notre carte territoriale, puisque la loi du 16 décembre 2010 a prévu l’organisation de consultations référendaires pour le regroupement de régions ou de départements, mais aussi pour la fusion entre une région et les départements qui la composent. Cependant, les conditions de validité requises – la majorité des suffrages exprimés représentant plus d’un quart des inscrits dans chacune des collectivités concernées par la fusion – rendent en réalité ces dispositions à peu près inopérantes. C’est encore le Sénat qui, à l’occasion de l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, a refusé que des amendements assouplissant ces conditions, votés en première, comme en seconde lecture, par notre assemblée, soient repris dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Comme c’est souvent le cas dans ce type de situation, ce sont les opposants qui se feront le plus entendre si un référendum est organisé, soit parce qu’ils sont pour le statu quo, soit parce qu’ils sont favorables à d’autres regroupements de régions. On pourrait utilement rappeler l’incongruité de la situation qui fait que la consultation référendaire organisée le 7 avril 2013 sur la proposition de fusion des collectivités d’Alsace, à laquelle 57,6 % des votants se sont déclarés favorables, n’a pas pu être considérée comme permettant de faire aboutir ce projet. Dans le cadre d’un référendum national, comme dans celui d’un référendum local, le risque est grand qu’un cartel des non, aussi hétéroclite qu’inefficace, fasse échouer la réforme.

Enfin, disons les choses comme elles sont, mes chers collègues : nous allons avoir à examiner un grand projet de loi. Le Sénat, sur la loi relative aux métropoles, a refusé de faire son travail. Que s’est-il passé ? C’est notre assemblée, avec le concours de la ministre Marylise Lebranchu, qui a fait le travail qu’il aurait dû faire. Le Sénat, au fond, ne s’est pas honoré et ne s’est pas rendu service en adoptant cette motion référendaire. Il est donc de notre responsabilité, et je dirais presque même de notre devoir, à nous autres députés, de rejeter cette motion référendaire, pour permettre au débat sur ce projet de loi d’avoir lieu. Au fond, en rejetant cette motion référendaire, nous rendons service à nos collègues sénatrices et sénateurs.

4 commentaires :

Le 03/07/2014 à 13:59, laïc a dit :

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N'en déplaise aux admirateurs de toutes les formes de totalitarisme, le referendum à plusieurs questions, et non pas une seule, est une grande étape d'accomplie vers la vraie démocratie. Il faut que cette procédure de référendum soit maintenant davantage employée.

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Le 04/07/2014 à 08:57, laïc a dit :

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Une plaidoirie d'avocat contre le référendum. Il reste encore des politiciens convaincus que les gens ne savent pas penser, que ce sont des idiots menés au bout de la baguette par un pouvoir politique omniscient et sans lequel ils seraient perdus. Cette attitude est politiquement dangereuse. En effet, les citoyens refoulés dans le silence et l'irresponsabilité vont muer leur refoulé en agressivité, et donc se tourner vers les extrêmes, qui donnent aux citoyens l'impression de mieux les comprendre, de mieux les faire participer, par un nationalisme facile qui exprimera non pas la réflexion refoulée, mais le dépit de ne pas être pris en compte. Le référendum proposé par le sénat est un acte politiquement salvateur, c'est une démarche entreprise contre les partis extrémistes, qui se nourrissent de la négation démocratique entretenue par une classe politique intellectuellement irresponsable et créant les meaux qu'elle va ensuite dénoncer comme si elle n'était pour rien dans leur apparition.

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Le 04/07/2014 à 11:27, laïc a dit :

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Il faut organiser un référendum en Loire Atlantique avec cette question : "Voulez-vous oui ou non le rattachement de la Loire Atlantique à la Bretagne ?" En effet, la loi du 16 décembre 2010 n'autorise les référendums que dans les cas de fusion d'une région avec une autre. Or, la Loire atlantique n'est pas une région, ce département a été arbitrairement détaché de la Bretagne par le Maréchal Pétain et mis d'office avec la région Pays de la Loire. Or, le but de l'opération n'est pas de demander si les citoyens veulent que la région Pays de la Loire fusionne avec la région Bretagne, le but de l'opération est qu'une partie de la région Bretagne lui soit restituée, ce que ne permet pas la loi du 16 décembre 2010. Il faudra qu'une question du référendum organisé par le Sénat porte exclusivement sur ce problème fondamental.

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Le 04/07/2014 à 11:31, laïc a dit :

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"... elle est une tentative, pour la deuxième assemblée, de s’attribuer une forme de droit de veto sur les textes relatifs à l’organisation..." Il est où le veto ? Le veto, c'est dire NON, sans possibilité de oui. Là, avec un référendum, le oui et le non partent à égalité, ce n'est que l'imagination de M. le député qui attribue d'office le résultat "non" au référendum proposé, même si on peut espérer rationnellement que le non l'emporte effectivement.

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