Intervention de Chantal Berthelot

Séance en hémicycle du 7 juillet 2014 à 16h00
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Berthelot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail du Sénat qui, à travers le titre VI consacré à l’outre-mer, a montré une bonne perception des enjeux et conforté certaines dispositions. Je me félicite également du fait que M. le ministre ait accepté un certain nombre d’amendements, que j’approuve en partie.

L’un d’entre eux a ainsi prévu qu’en outre-mer, les chambres d’agriculture devront, dans le cadre de leur contrat d’objectifs et de performance, promouvoir l’accompagnement et le suivi des GIEE. Il n’était peut-être pas nécessaire d’inscrire cette précision dans la loi, monsieur le ministre – j’ai lu les débats –, mais, à mon sens, mieux vaut qu’elle y figure : elle permet de rappeler le rôle important des chambres d’agriculture en outre-mer, en termes d’animation et de développement des territoires ruraux.

Pour cette deuxième lecture, les amendements que je présente pour les outre-mer viendront préciser et renforcer les différentes mesures instituées, si notre assemblée les approuve.

Je voudrais, si vous me le permettez, rentrer un peu plus dans le détail de la situation de Guyane, car elle mérite notre attention.

Le triple objectif économique, social et environnemental des GIEE prend tout son sens dans les outre-mer, où nous devons renforcer nos agricultures pour créer les conditions d’un essor reposant sur des « équilibres sociaux justes et équitables » et, en même temps, assurer par nos méthodes de production la préservation de la richesse de notre biodiversité, comme nous avons eu l’occasion de le rappeler, en commission du développement durable, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la biodiversité.

Le rôle que nous donnons aux GIEE dans notre politique témoigne bien de l’importance que nous devons octroyer au modèle de l’agriculture familiale et traditionnelle.

En Guyane, l’agriculture familiale, cultivée de manière traditionnelle avec peu de mécanisation, est le modèle dominant. Elle fait partie intégrante du mode de vie des différentes communautés d’habitants, autochtones et locales. En ayant permis de fixer puis d’intégrer les populations immigrantes, elle a rempli un rôle social. Dans un département durement touché par le chômage, les productions issues de ces abattis permettent de nourrir la famille et de dégager un revenu supplémentaire en fournissant les marchés en produits frais et de qualité.

La Guyane est peuplée de 240 000 habitants ; l’INSEE en prévoit 424 000 d’ici à 2030. On a beaucoup parlé de la démographie française et même mondiale. Je me permets donc, pour ma part, de signaler que la population guyanaise va doubler en l’espace de quinze ans.

La Guyane doit ainsi faire face à de nombreux défis que lui impose sa démographie. Le premier d’entre eux est de nourrir sa population. Pour cela, il est primordial que nous accompagnions le développement de l’agriculture traditionnelle et familiale : elle seule permettra de satisfaire la demande alimentaire territoriale, rappelée comme objectif par la présente loi.

Les structures de développement de l’agriculture des outre-mer, telles que l’ODEADOM, sauront-elles apporter les réponses adéquates aux besoins de développement de l’agriculture guyanaise ? Dorénavant, les politiques de développement seront conçues à l’échelle des territoires. Elles seront le fruit d’une concertation menée avec l’ensemble des acteurs locaux, aussi bien dans la définition d’une stratégie commune que dans le processus décisionnel, à travers le COSDA, le Comité d’orientation stratégique et de développement agricole.

Il est important de rappeler que la terre agricole doit être dans les mains de ceux qui veulent la travailler. Or les terrains à vocation agricole sont détournés vers d’autres destinations. Le Gouvernement a pourtant fait de la préservation de l’espace agricole sa priorité par diverses dispositions réglementaires. Des cessions onéreuses sont accordées en zone agricole, alors qu’elles ne répondent à aucune logique économique, mais plutôt à un besoin d’appropriation et de loisirs. En outre, elles favorisent la spéculation foncière.

Les services de l’État, comme vous le savez – je l’ai moi-même rappelé ici à plusieurs occasions –, ont les plus grandes difficultés à assurer le suivi des terres attribuées. Par exemple, entre 2000 et 2010, la surface agricole n’a augmenté que de 2 000 hectares, alors que la commission d’attribution foncière en a attribué 58 000. Cela veut dire que 50 000 hectares ne sont ni mis en valeur ni mentionnés dans un titre quelconque. Du coup, il n’y a aucune retombée et la taxe foncière sur le foncier non bâti n’est pas perçue.

Il est donc temps, monsieur le ministre, de donner à France Domaine, au cadastre et à la DAAF les moyens d’assumer leurs missions.

Je regrette que le Gouvernement n’ait pas retenu ma proposition tendant à créer un opérateur foncier rural du type des SAFER pour la Guyane. Il aurait pu être un partenaire privilégié de l’État, lui indiquant le volume des transactions et les prix, permettant ainsi un meilleur suivi de la mise en valeur agricole des terrains attribués.

En Guyane, c’est l’établissement public d’aménagement en Guyane qui peut juridiquement exercer les missions d’un opérateur foncier rural. Il dispose, depuis une loi de 2006, du droit de préemption. Or celui-ci n’a pas encore été activé. Je demande donc instamment au Gouvernement qu’il rende effectif l’exercice du droit de préemption de l’EPAG. Certes, une SAFER serait l’outil idéal pour faciliter l’accès au foncier puis l’installation des agriculteurs. En attendant de pouvoir autrement, faisons de l’EPAG un meilleur instrument de gestion du foncier rural.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nos travaux parlementaires ont pour but de faire de l’agriculture française l’un des leaders de l’agro-écologie. Cette agriculture, respectueuse des équilibres environnementaux et sociaux et des méthodes traditionnelles de production, existe déjà ; c’est celle que nous pratiquons depuis toujours en Guyane. Pour créer les conditions de son essor, nous devons d’abord résoudre le problème de l’accès au foncier de ce modèle agricole.

Faisons en sorte que chaque agriculteur, avec un projet respectant les objectifs de l’agro-écologie, puisse avoir une terre à travailler, afin de nourrir notre population. Donnons à la Guyane les outils pertinents qui lui permettront de mener une véritable politique de développement agricole.

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