Intervention de Hervé Mariton

Réunion du 30 septembre 2014 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Mariton, rapporteur spécial :

Venons-en à l'évaluation des conséquences financières de ces décisions. Le projet de loi relatif à la transition énergétique donne les moyens juridiques à l'État, qui n'en disposait pas précédemment, de provoquer ces fermetures. Mais l'État devra indemniser l'opérateur pour cette fermeture anticipée.

Interrogés dans le cadre des auditions de la commission d'enquête sur les coûts de la filière nucléaire ou de nos travaux, le Gouvernement et l'opérateur ont reconnu le principe de cette indemnisation. L'entreprise EDF mènerait une politique contraire à son intérêt social si elle ne revendiquait pas cette indemnisation, et elle compte d'ailleurs des partenaires étrangers dans nombre de ses centrales. Dans le cas de Fessenheim, il s'agit de l'Allemand Energie Baden-Württenmberg – EnBW – et des Suisses Alpiq, Axpo et Bernische Kraftwerke – BKW. Ceux-ci revendiqueront leur part d'indemnisation.

Ce principe d'une indemnisation n'est contesté ni par le Gouvernement ni par l'opérateur, mais ni l'un ni l'autre n'ont été très diserts – c'est le moins que l'on puisse dire – sur l'évaluation du préjudice et de l'indemnité afférente. De la part du Gouvernement, le manque d'informations est problématique dans le cadre du débat sur la transition énergétique : il n'y a rien dans l'étude d'impact. S'agissant de l'entreprise, c'est aussi très surprenant : elle ne donne pas l'impression de défendre au mieux ses intérêts.

Nos évaluations partent de plusieurs constats. Actuellement, l'opérateur a une certitude – relative puisque des incidents de fonctionnement peuvent se produire – d'exploitation de la centrale pour une durée de quarante ans. Celle-ci peut être prolongée jusqu'à cinquante, soixante, soixante-dix ans et même au-delà.

Le premier type d'analyse juridique considère que seule la certitude actuelle permettrait de fonder l'indemnisation ; le second estime que rien n'oblige actuellement l'opérateur à s'arrêter à quarante ans car l'ASN maintient cette question ouverte et que la probabilité de fonctionnement au-delà de quarante ans est extrêmement importante. Nous avons privilégié cette deuxième hypothèse. S'il n'y a pas de certitude absolue au-delà de quarante ans, nous constatons que rien – ni l'évolution du niveau technique de la centrale, ni la pratique à l'étranger, ni la stratégie de l'entreprise – ne peut justifier une fermeture couperet à quarante ans, au contraire. Nous avons donc retenu l'hypothèse de soixante ans avec une probabilité de 85 % pour effectuer le calcul de l'indemnisation.

Ce matin, la ministre a déclaré que l'intérêt général justifiait la fermeture. L'intérêt général peut être exprimé dans la loi que nous adopterons mais, comme dans le cas d'une expropriation ou d'une nationalisation, il ne fait pas obstacle à l'indemnisation par l'État.

Cette évaluation dépend des coûts supportés par l'opérateur, à la fois ceux qui sont induits par les investissements – y compris ceux qui sont engagés, en particulier dans le cadre de la gestion post-Fukushima – et ceux qui sont nécessaires à la reconduction décennale. Pour évaluer les produits économiques, nous avons retenu une hypothèse de prix médiane. En multipliant ces données par le nombre d'années, nous obtenons le coût engendré par la décision de l'État de la fermeture anticipé : 4,7 milliards d'euros. En modulant ce chiffre par la probabilité de la décision de 85 %, nous arrivons à 4 milliards d'euros auquel il faut ajouter les coûts de démantèlement, les coûts sociaux et les contreparties pour les collectivités locales. Ces dernières vont perdre des ressources et, si les règles ne changent pas, certaines d'entre elles pourraient même avoir des recettes négatives : elles contribuent à des péréquations supérieures à leurs rentrées futures.

Une fois ces dépenses prises en compte, dans le cadre d'un scénario et d'hypothèses médians, notre estimation du coût global de la fermeture anticipée s'élève à 5 milliards d'euros, dont un coût d'indemnisation – pour le contribuable – de quelque 4 milliards d'euros.

Si le scénario est construit sur une certitude de prolongement et des prix de l'énergie plus élevés, la facture dépasse 4 milliards d'euros. S'il se fonde sur des hypothèses inverses, le coût global devient inférieur à 4 milliards d'euros. Le nôtre nous paraît raisonnable et il aboutit à un chiffre utile au débat. Rappelons qu'au terme de la durée de vie de soixante ans et à la veille de sa fermeture, la centrale fonctionne toujours bien, en respectant les règles de sûreté. Nous aurions donc pu retenir une durée de vie de quatre-vingts ans comme aux États-Unis. Nous avons borné notre calcul de manière raisonnable, sans pousser à l'extrême, en retenant une durée de vie qui est communément évoquée dans l'industrie.

L'ASN ne s'engage jamais en amont mais elle n'a pas indiqué non plus que ce ne serait pas soixante ans. L'entreprise sera donc tout à fait fondée à dire que ses méthodes, ses perspectives industrielles et son respect des garanties de sûreté imposées par les règles et la jurisprudence de l'ASN lui permettent d'aller au moins jusque-là.

Dans tous les cas, il apparaît que l'État – en définitive le contribuable – pourrait avoir à engager des sommes considérables. Les différentes analyses juridiques explicitées dans le rapport confirment toutes ce principe de l'indemnisation qui n'est plus contesté par aucun acteur, pas même par l'État. Désormais, seule la question de son montant se pose. J'invite respectueusement Mme Royal à nous donner un chiffrage, au lieu de juger notre travail « farfelu ».

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