Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 30 septembre 2014 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet :

Pour ma part, je suis centralien et j'ai enseigné à Polytechnique durant vingt-cinq ans, ce qui m'a donné l'occasion d'assister à une importante évolution de cette école. À l'origine, l'X était la seule des grandes écoles à arrêter son enseignement au deuxième cycle, sans proposer de doctorat, puisqu'elle était censée former des ingénieurs qui s'inscrivaient ensuite dans une école d'application afin de se spécialiser et parfois d'intégrer l'un des grands corps de l'État. Ce deuxième cycle était un peu particulier, coincé qu'il était entre les classes préparatoires et certaines écoles d'ingénieurs ou formations doctorales.

L'expression : « le modèle ancien, qui fit le prestige de l'X, est à repenser », qui figure dans le rapport de notre collègue, aurait sans doute pu être employée il y a trente ans, mais le modèle a bel et bien été repensé depuis. Certes, l'École polytechnique est encore une école militaire, et reste rattachée au ministère de la défense, mais elle n'a plus rien à voir avec l'école qui formait autrefois les ingénieurs des grands corps de l'État. Aujourd'hui, avec Normale Sup, elle a plutôt vocation à former les chercheurs les plus réputés dans le monde.

Il me semble qu'il aurait été intéressant d'interroger les universités étrangères – en particulier chinoises – au sujet de Polytechnique. Quand la Chine a décidé de se mettre à enseigner l'économie, il y a vingt-cinq ans, elle a fait appel à deux universités américaines, mais aussi à l'École polytechnique. Cela montre que l'internationalisation dans le domaine scientifique est une réalité depuis longtemps. J'ai eu l'occasion de constater que les professeurs d'origine française des grandes universités américaines étaient le plus souvent normaliens ou polytechniciens – et ce qui est vrai pour mon domaine de prédilection, l'économie, l'est bien plus encore pour les mathématiques, la physique et peut-être même la biologie. De même, les lauréats français du prix du jeune économiste sortent en général de Normale Sup ou de Polytechnique.

On ne peut donc pas faire abstraction de la dimension internationale de Polytechnique, pas plus que de ses autres particularités. Si c'est une école militaire avec tout ce que cela suppose en termes de rigidité, c'est aussi probablement le seul établissement à avoir décidé de recruter ses enseignants au moyen d'un concours interne, sanctionné par un jury constitué de prix Nobel et des meilleurs spécialistes des disciplines considérées. Ce mode de recrutement impliquait de passer au travers de quatre filtres, même si cette exigence posée par le corps d'enseignants et de chercheurs de l'École ne figurait dans aucun texte. Ce point n'est pas abordé dans le rapport, mais je me permets d'insister sur la nécessité de conserver cette spécificité, les chercheurs et les enseignants étant très inquiets à l'idée qu'elle puisse être remise en cause. Disons-le franchement, notre système comprend très peu d'établissements du calibre des grandes universités anglo-saxonnes, et nous devons nous féliciter que Polytechnique puisse se prévaloir d'un mode de recrutement comparable à celui du Massachusetts Institute of Technology – MIT – : pluridisciplinaire – mais fondé essentiellement sur les mathématiques –, et surtout d'un très haut niveau, ce qui justifie que l'École fasse partie des rares établissements français dont les enseignants soient très recherchés par les meilleures universités étrangères.

Je ne considère pas pour autant que rien ne doive changer dans notre système. À mon sens, la France a commis une erreur colossale en décidant, après 1968, d'éclater ses grandes écoles et ses universités : Centrale, Polytechnique et HEC se sont retrouvées chacune de leur côté, tandis que l'on installait une multitude d'universités en région parisienne, au lieu de créer une grande université parisienne – éventuellement sous le nom de Sorbonne –, qui aurait pu jouir d'un renom comparable à celui des universités américaines – Berkeley, Harvard ou MIT. Nous avons raté cette occasion, et nous retrouvons donc aujourd'hui avec des grandes écoles éloignées de Paris – je ne parle pas du campus de Saclay et de ses laboratoires, dont la proximité constitue une chance pour Polytechnique. De ce point de vue, il est dommage que notre pays n'ait pas su faire pour ses universités et ses grandes écoles l'immense travail qu'elle a fait pour ses cycles primaire et secondaire.

Pour ce qui est de l'aspect pluridisciplinaire de l'enseignement dispensé par Polytechnique, il me paraît constituer une richesse extraordinaire.

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