Intervention de Philippe Vigier

Réunion du 14 novembre 2012 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vigier, rapporteur :

J'étais effectivement venu présenter cette proposition de loi devant votre commission en janvier dernier. Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir rappelé mon engagement, fondé sur vingt-cinq ans d'expérience professionnelle : je suis biologiste en Eure-et-Loir, territoire où la désertification médicale s'est considérablement aggravée depuis quelques années et qui a le triste privilège d'être le « dernier de la classe » en France, se classant même derrière certains secteurs de Picardie. Mon expérience est aussi familiale puisque je suis le frère de deux médecins et d'un pharmacien, et le père d'une interne en médecine. Pour rédiger cette proposition de loi, j'ai procédé à de nombreuses auditions – notamment du conseil national et des conseils régionaux de l'ordre des médecins, et des syndicats, d'internes en particulier. Je me suis également appuyé sur l'atlas de la démographie médicale, qui révèle des disparités croissantes entre les territoires.

Il ne s'agit pas d'un texte de circonstance. Lors de notre débat de janvier dernier, notre collègue Jean-Marie Le Guen reconnaissait que cette proposition de loi contenait plusieurs dispositions intéressantes. Elle venait, hélas, seulement à quelques semaines de l'élection présidentielle. Je l'ai retravaillée afin de tenir compte des évolutions intervenues depuis lors.

Les difficultés d'accès aux soins sont telles que 5,8 % des Français vivent désormais dans des territoires dont la densité en médecins généralistes est inférieure de 30 % à la moyenne. La multiplication du nombre de territoires sous-médicalisés s'est aggravée au cours des dix dernières années, notamment en raison de la diminution du numerus clausus, qui n'a été relevé qu'il y a dix ans. En valeur absolue pourtant, il n'y a jamais eu autant de médecins en France. Le problème réside dans leur répartition sur le territoire, mais aussi entre service public et exercice libéral. Le temps médical disponible a diminué du fait des aspirations nouvelles des jeunes médecins : l'époque des forçats de l'internat corvéables à merci, faisant 48 heures de garde d'affilée, est révolue. À l'inverse, les besoins ont augmenté en raison du vieillissement de la population et du développement des pathologies chroniques.

Tous les professionnels de santé souffrent aujourd'hui de déconsidération – la médecine libérale ayant souvent été montrée du doigt. Seuls 8,7 % des jeunes médecins s'installent en cabinet privé à la fin de leurs études et surtout, leur âge moyen d'installation définitive est de plus de 37 ans alors que les généralistes terminent leurs études vers 28 ans. Entre 28 et 37 ans, ils font des remplacements dans des secteurs différents. Parallèlement, depuis plus de dix ans, la progression des revenus d'activité des généralistes libéraux ne dépasse pas 1 % par an. La profession s'est donc paupérisée – même si tous les généralistes ne sont pas concernés. Tout cela non plus n'est pas étranger aux manifestations actuelles.

La diminution du nombre de généralistes dans le secteur libéral résulte de la conjugaison de plusieurs facteurs : une moindre propension à s'installer en libéral, une moindre attractivité et une moindre reconnaissance de la profession, une moindre progression de ses revenus, la multiplication des barrières territoriales et financières, enfin la lourdeur des tâches administratives. Peu nombreux déjà, les jeunes généralistes libéraux le sont encore moins à s'installer en zone sous-dotée.

Le Président de la République, dans son discours de clôture du congrès de la Mutualité française le 22 octobre dernier, a dressé un constat sans appel de l'accès aux soins dans notre pays rappelant que « dans certaines zones rurales, dans certains quartiers défavorisés, il est devenu très difficile et parfois même impossible d'avoir recours à certains spécialistes dans un délai raisonnable, de trouver un généraliste, voire même d'accéder en temps utile à des structures de soins ». Le bilan des actions menées reste pourtant maigre. Il n'y a pas eu de mobilisation générale pour lutter contre les déserts médicaux, en dépit des quelques mesures de la loi « Bachelot » et de la loi « Fourcade », et notamment du lancement des maisons médicales. Quant aux mesures annoncées en faveur de l'accès aux soins dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 – création de 200 postes de praticiens territoriaux de médecine générale et possibilité d'envoyer des médecins hospitaliers exercer en libéral dans les zones sous-dotées –, elles paraissent dérisoires au regard des besoins.

Très critique lorsqu'elle était dans l'opposition, la majorité actuelle avait exigé des mesures du précédent gouvernement sur ce sujet. Les incitations créées – bourses, maisons médicales avec parfois un logement de fonction… – sont, hélas, inefficaces.

En rejetant le principe d'une régulation plus active des professions médicales, le Président de la République s'est lié les mains et ne peut désormais plus que recycler les vieilles formules. Pourtant la proposition de loi du 9 février 2011 relative à l'instauration d'un bouclier rural au service des territoires d'avenir – déposée par M. Jean-Marc Ayrault, cosignée par Mme Marisol Touraine, et dans laquelle j'ai puisé pour enrichir mon texte ! – proposait de subordonner l'installation des médecins à une autorisation de l'agence régionale de santé dans les zones sur-denses. Ce texte parlait de « revoir sans tabou le dogme de la liberté d'installation ». Loin d'aller jusque-là, je propose, pour ma part, simplement que les généralistes libéraux s'installant en zone sur-dense ne soient pas conventionnés. On est loin du régime d'autorisation préalable imposé depuis longtemps aux pharmaciens !

Prenant ses responsabilités et constant dans les combats qu'il mène, le groupe UDI a souhaité que cette proposition de loi soit réexaminée dès le début de cette XIVe législature afin de montrer qu'il ne s'agissait pas d'un texte de circonstance mais que l'objectif était bien de lutter contre le fléau des déserts médicaux et d'assurer sur l'ensemble du territoire un égal accès aux soins, sans lequel il ne saurait y avoir de véritable égalité des chances.

Paradoxalement, le texte examiné le 18 janvier dernier par la commission des affaires sociales s'est trouvé enrichie d'amendements approuvés par le groupe socialiste, tandis que certains membres de mon groupe à l'époque ne l'avaient pas voté. Preuve que ce sujet transcende les clivages politiques et devrait appeler, je le dis, une réussite collective plutôt que des oppositions stériles.

Refuser une régulation de l'installation des médecins qui permettrait de mieux répartir l'offre de soins sur le territoire – au motif que, comme l'a expliqué le Président de la République, « la coercition, l'obligation ne créeraient que des conflits sans fin » – est d'autant plus inacceptable que la position des médecins eux-mêmes évolue. Ainsi, en mai dernier, au lendemain de l'élection présidentielle, leur conseil national de l'Ordre des médecins a lui-même remis en question le principe de liberté totale d'installation en préconisant d'obliger les jeunes médecins à s'installer à l'issue de leurs études durant cinq ans dans leur région de formation. « Les lieux d'exercice seraient déterminés à l'intérieur de chaque région sous la conduite des agences régionales de santé (ARS) et en liaison étroite avec le conseil régional de l'ordre », précisait le docteur Michel Legmann, président du conseil national de l'Ordre des médecins. Ma proposition de loi n'obligerait, elle, les jeunes médecins qu'à s'installer durant trois ans dans une zone déficitaire de la région où ils ont été formés.

Tout cela recoupe d'autres analyses, plus anciennes, comme celles du professeur Yvon Berland en 2005 ou celles figurant dans les conclusions de la mission d'information parlementaire présidée par notre collègue Christian Paul en 2008. Dans son rapport de septembre 2011 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes estimait de même que des mesures contraignantes étaient nécessaires et suggérait notamment de soumettre tout nouveau conventionnement au départ préalable d'un médecin déjà conventionné.

Ne comptez cependant pas sur moi pour affirmer que la médecine libérale a vécu ! Elle doit au contraire être encouragée et soutenue, mais, pour perdurer, elle ne peut plus ignorer l'environnement dans lequel elle s'inscrit et les difficultés d'accès aux soins que rencontrent nos concitoyens dans certaines zones du territoire. D'autres professionnels de santé, comme les infirmiers, les sages-femmes et les masseurs-kinésithérapeutes se sont déjà engagés dans la voie d'une régulation par le biais non pas de la coercition, mais d'une négociation contractuelle avec l'assurance maladie. Depuis bien plus longtemps, les pharmaciens d'officine sont soumis à des conditions d'autorisation qui ont d'ailleurs été récemment encore durcies. Instaurer des « obligations de service » en zones sous-dotées et limiter les installations en zones sur-dotées ne suffira sans doute pas à pallier le manque de ressources médicales sur notre territoire, lequel s'explique aussi par un manque d'attractivité des carrières en secteur libéral. La combinaison des mesures de régulation relève de la responsabilité du Gouvernement, du Parlement, des ordres et de la profession.

Les mesures figurant dans notre proposition de loi sont assez simples : elles consistent tout d'abord en une régionalisation de l'internat – système ayant bien fonctionné jusqu'à sa suppression en 2004, fondé sur l'organisation du concours de l'internat par régions sanitaires. Les premiers au concours pouvaient alors choisir leur lieu d'affectation tandis que les derniers devaient aller là où il restait de la place. J'ai repris ceux des éléments du dispositif qui avaient bien fonctionné, comme la faculté de passer le concours dans trois régions, afin de ne pas fixer les candidats en un seul endroit, et l'ai même assoupli et modernisé en introduisant la faculté pour les internes – en 3e, en 4e ou en 5e année, selon les spécialités – de partir en échange dans une autre région, voire dans un pays de l'Union européenne reconnaissant les diplômes de médecine français.

En second lieu, nous proposons d'adapter le numerus clausus aux besoins régionaux : en effet, personne n'a de meilleure connaissance de la démographie médicale spécialité par spécialité et n'est mieux placé pour programmer sur dix ans la formation des médecins que l'agence régionale de santé. Dans le Centre, la moitié des internes quittent la région : l'augmentation du nombre d'internes de médecine générale n'a servi à rien puisque dans notre système de concours d'internat national classant, les internes mal classés préfèrent redoubler que de travailler dans des régions n'offrant pas de poste qui les intéresse. Contrairement à ce qu'on pense parfois, le système actuel des épreuves classantes nationales ne laisse pas une liberté totale de choix, puisque lorsque l'on est mal classé, on va là où il y a de la place.

Notre texte reprend ensuite un amendement présenté en janvier dernier par notre collègue Véronique Besse, visant à orienter le dispositif de cumul emploi-retraite en direction des zones sous-dotées. L'emploi de retraités à temps partiel permettrait utilement à de jeunes généralistes de se libérer, par exemple un jour par semaine.

Nous proposons aussi qu'à l'issue de leurs études, les jeunes généralistes et spécialistes exercent durant trois ans – contre cinq, dans la proposition du conseil national de l'Ordre des médecins – en zone sous-dense dans leur région de formation, en contrepartie de l'effort fourni par la collectivité pour les former. Une installation en zone déficitaire, ce n'est tout de même pas le bagne ! Ainsi la région Centre, pourtant vaste, est intégralement classée en zone sous-dense à la seule exception de la ville de Tours, classée en zone sur-dense. Les jeunes médecins n'y seront pas contraints de s'installer au fin fond de la campagne mais pourront le faire dans des villes comme Orléans, Bourges, Châteauroux, et même à Saint-Avertin, à deux kilomètres du centre de Tours. Les jeunes médecins pourront passer ces trois années en maison médicale – un dispositif financé à 95 % par l'État et les collectivités territoriales – sans être contraints de passer les trois ans au même endroit.

Notre texte prévoit enfin de porter de six mois à un an la durée des stages effectués par les internes de médecine générale auprès d'un médecin référent.

Il ne comporte aucune mesure de coercition pour réguler l'installation des médecins, disposant uniquement qu'en zone sur-dense, cette installation ne peut donner lieu à un conventionnement.

Il propose en effet une procédure d'autorisation de création, de transfert ou de regroupement de cabinets afin de permettre à l'agence régionale de santé de mieux répartir l'offre de soins sur le territoire, ainsi qu'une compilation des données au niveau régional.

Ces mesures sont fondées sur le pragmatisme, l'expérience et le bon sens. Elles ne suffiront certes pas à résoudre tous les problèmes. Un sursaut est cependant nécessaire, étant donné le souhait de revalorisation exprimé par les professionnels de santé – laissés pour compte depuis de longues années, y compris par la majorité précédente. Lors des campagnes présidentielle et législative, nous avons tous formulé des propositions sur le sujet, qui n'étaient pas loin de converger. Pour partielle qu'elle soit, cette proposition de loi se veut une première réponse à la fois pour l'ensemble des professionnels de santé et pour nos concitoyens. Comment soutenir que l'égalité d'accès aux soins est un droit fondamental sans ne rien faire pour la garantir ?

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