Intervention de Huguette Bello

Séance en hémicycle du 4 novembre 2014 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans une unanimité rare, le troisième budget de cette législature a été salué pour sa stabilité, voire pour sa légère augmentation, d’autant plus notable que le contexte général ne s’y prête guère.

La préservation de la LBU, la compensation des charges sociales enrichie d’un CICE majoré – et même bientôt, dans certains cas, super majoré –, le développement du SMA, la croissance de l’investissement public, la dynamisation de l’économie sociale et solidaire, un recours plus facile au crédit impôt recherche traduisent une ambition réaffirmée à l’égard de nos territoires et recueillent, à ce titre, l’assentiment de tous.

Pourtant, ce concert de louanges n’est pas parvenu à reléguer au second plan le débat qui s’est noué autour d’une ligne budgétaire représentant à peine 2 % de la mission. Ni la baisse d’un montant équivalent du Fonds exceptionnel d’investissement ni la suppression du dispositif de rénovation des hôtels n’ont provoqué un tel retentissement. Seule la diminution de la dotation de continuité territoriale suscite une vive émotion. Personne n’est dupe des postures de circonstance et des arrière-pensées politiciennes. Mais nous savons tous que la desserte aérienne est une question sensible et essentielle.

Elle est le lieu où se concrétise la relation entre la France et les outre-mer, où le politique retrouve la géographie, où le principe d’égalité qui fonde notre Constitution se heurte au dogme de la concurrence libre et non faussée qui inspire l’Europe. Elle symbolise aussi les oligopoles et la vie chère. Les billets d’avion sont jugés trop onéreux et les tarifs trop opaques. Ils sont vécus comme un obstacle majeur aux déplacements, plus insupportable encore dans ces temps de mondialisation.

Pour la première fois depuis sa création, ce dispositif est révisé à la baisse, au motif d’une augmentation trop rapide des montants sollicités au titre de l’aide à la continuité territoriale « tout public ». Il est, en somme, victime de son succès, mais aussi de son ambiguïté, que révèle d’ailleurs le nom qu’on lui a donné. Le dispositif créé en 2003 et réformé en 2009 s’apparente davantage, s’agissant de l’État, à une aide sociale qu’à une véritable mesure de continuité territoriale telle que la Corse nous en fournit l’exemple. Il est destiné aux plus modestes et l’aide est modulée en fonction des revenus.

Quand elles interviennent, les régions complètent ces aides selon des modalités différentes. Contrairement à la Martinique, qui s’inscrit dans la logique d’aide sociale en réservant ses interventions aux personnes déjà éligibles, la Réunion a adopté de nouvelles règles et mobilisé un budget plus de dix fois supérieur. Elle a créé une nouvelle catégorie de bénéficiaires, ne prévoit aucune aide pour les plus modestes et verse une contribution d’autant plus élevée que le quotient familial est important. Les critères sociaux ont disparu de ce dispositif régional et le nombre de bénéficiaires a augmenté fortement.

Ainsi, à la Réunion, non seulement la modulation des aides est inversée, mais les Réunionnais financent eux-mêmes une pseudo-continuité territoriale, qui leur coûte de plus en plus cher. Cela ne manque pas de surprendre, surtout quand on sait que ces mêmes contribuables financent déjà la compagnie aérienne régionale qui opère sur cette destination.

En se substituant à l’État, la région Réunion est amenée, d’année en année, à engager des sommes toujours plus importantes. Mais la plus grande part des 73 millions d’euros qu’elle a déjà affectés à ce poste n’affecte en aucune manière le budget de l’outre-mer. Depuis 2010, l’aide au voyage « tout public » est, à la Réunion, de 360 euros.

Une sorte de répartition des rôles s’est établie entre l’État et la région : l’État finance seul les personnes dont le quotient familial est compris entre 0 000 et 6 000 euros, tandis que la Réunion intervient seule dans la tranche qui va de 12 000 à 26 000 euros. Les deux dispositifs coexistent uniquement dans la tranche intermédiaire, qui cumule donc aide sociale et aide à la continuité territoriale. C’est la croissance de cette tranche, qu’il finance aux deux tiers, que l’État souhaite limiter.

Mais la mesure adoptée, même si elle épouse en gros les contours de la réalité, réduira aussi les droits des plus modestes et le niveau des aides. C’est pourquoi nous aurions préféré le maintien des crédits budgétaires, assorti d’une révision des critères, dans la perspective d’une véritable continuité territoriale, encore à inventer et seule à même de faire baisser de manière durable les tarifs aériens.

Cet objectif requiert dans l’immédiat une opération transparence : la formation des prix, la part de la surcharge transporteur, la forte saisonnalité des tarifs, la politique commerciale des compagnies, les ententes entre pétroliers, l’influence des aides au voyage sur les prix, tout est devenu suspect, tout donne lieu à controverse, tout doit être clarifié.

À travers ce débat sur la continuité territoriale se pose la question plus générale du désenclavement de nos territoires, donc de leur développement. Comme partout ailleurs, qu’il s’agisse du Grand Paris ou de grandes liaisons ferroviaires nettement plus coûteuses, ce développement est intimement lié à la problématique des transports, laquelle intègre nécessairement, pour nous, l’aérien.

À l’évidence, la diminution des crédits budgétaires relatifs à l’aide au voyage aérien ne s’inscrit pas dans cette logique et je ne peux donc, contrairement aux autres lignes du budget, l’approuver.

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