Intervention de Sophie Dion

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 21h30
Désignation des conseillers prud'hommes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Dion :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes est très loin de faire l’unanimité parmi les partenaires sociaux. C’est un très mauvais signal pour une justice paritaire dont la force des décisions est nécessairement liée à sa légitimité démocratique.

La suppression de l’élection des conseillers prud’hommes pour la remplacer par une simple désignation fondée sur l’audience des organisations syndicales et patronales est-elle le meilleur moyen de relancer cette légitimité démocratique ? Personnellement, je ne le pense pas.

Votre texte, monsieur le ministre, pose encore beaucoup trop de questions. Il est critiquable tant sur la méthode que sur le fond.

S’agissant de la méthode, la procédure d’urgence est injustifiée pour deux raisons au moins. Elle est injustifiée compte tenu du parcours, pour le moins chaotique, de ce projet de loi. En décembre 2013, l’article du projet de loi relatif à la formation professionnelle traitant de la désignation des conseillers prud’hommes était retiré. Puis, nous avons eu droit à la présentation d’un projet de loi en conseil des ministres, le 22 janvier 2014, mais il a aussi été retiré. Ensuite, nous avons assisté à un nouveau dépôt d’un texte au Sénat, le 28 mars 2014. Celui-ci n’a pas été retiré, mais il a été suivi d’une lettre rectificative, le 16 juillet.

Enfin, il fut examiné au Sénat le 14 octobre et, aujourd’hui, 20 novembre, il est à l’Assemblée nationale.

Comment pouvez-vous justifier la nécessité de la procédure accélérée après de tels atermoiements, qui ont duré plus d’une année ?

La procédure d’urgence est également injustifiée parce que le projet de loi pour l’activité qui sera présenté au conseil des ministres d’ici à quelques semaines par M. Emmanuel Macron, comportera des dispositions visant à renforcer le fonctionnement de la justice prud’homale. Je note, monsieur le ministre, que vous avez davantage parlé de ce projet de loi à venir que du texte que nous examinons ce soir.

Je déplore, et je ne suis pas la seule, une absence de cohérence, de clarté et un manque cruel de lisibilité dans la mise en oeuvre de la politique de votre Gouvernement. Plutôt que de présenter un texte abouti, concerté, complet, sur un sujet bien défini, censé poser les bases d’une nouvelle démocratie sociale, vous préférez mettre par-ci par-là des bouts de texte qui s’articulent très mal entre eux.

Ce n’est pas acceptable pour le législateur, monsieur le ministre. Chacun aujourd’hui, à droite comme à gauche, critique et conteste la manière de faire la loi. Je crains que ce projet de loi ne soit une nouvelle preuve d’un travail bâclé, qui ne correspond pas à la mission du législateur.

Après la méthode, le fond. Vous remplacez une élection par une désignation tandis que – je cite la première phrase du rapport de la commission des affaires sociales – « Renforcer la légitimité démocratique des conseils de prud’hommes, tel est l’objectif du présent projet de loi ». Il s’agit d’une vision très particulière et étonnante de la démocratie sociale.

Êtes-vous sincèrement convaincus, madame la rapporteure, monsieur le ministre, que supprimer une élection soit bon pour la démocratie ? Reprendriez-vous cette affirmation pour les élections européennes, nationales, locales ?

L’argument du coût et de la très forte abstention, réalité que personne ne conteste, ne peuvent pourtant pas fonder la décision de supprimer les élections. Supprimer cette élection, celle-ci ou une autre, met en cause la démocratie sociale. Si nous avions procédé de la sorte, vous auriez sans doute poussé des hurlements !

La suppression de l’élection au suffrage direct des 14 500 conseillers prud’hommes risque d’affaiblir cette juridiction paritaire qui examine chaque année près de 200 000 litiges liés aux relations individuelles du travail. De surcroît, il y a un risque évident d’aller davantage encore vers le départage, ce qui alourdira les procédures déjà bien longues et bien complexes.

Il y avait d’autres solutions. Elles figurent dans le rapport confié par la précédente majorité au conseiller d’État, Jacky Richard, sur « le renforcement de la légitimité de l’institution prud’homale », comme la simplification des modalités de vote.

Sous couvert d’aménagement technique, le projet de loi laisse des points de première importance en suspens avec des risques évidents d’inconstitutionnalité.

Il n’y aura plus de place pour la représentation des personnes non syndiquées, des chômeurs, des retraités. Quelle sera la mesure de l’audience prise en compte pour la représentativité patronale ? Quid d’une éventuelle coexistence entre une désignation fondée sur l’audience des organisations syndicales pour le collège salarié et une élection pour le collège des employeurs ? À quel niveau prendre en compte la mesure de l’audience aux niveaux national et local ? Je pourrais citer d’autres exemples qui peuvent présenter des risques d’inconstitutionnalité, mais je m’en tiendrai là.

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous voterons contre ce texte.

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