Intervention de Jean-Pierre Cabestan

Réunion du 17 décembre 2014 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Pierre Cabestan, professeur et directeur du département de science politique et d'études internationales à l'Université baptiste de Hong Kong :

Nous sommes environ 200 000, peut-être même un peu plus.

En application de la formule bien connue « un pays, deux systèmes », Hong Kong est, depuis 1997, une région administrative spéciale de la République populaire de Chine. Elle est régie par une loi fondamentale qui prévoit, à terme, l'introduction de l'élection du chef de l'exécutif au suffrage universel direct – l'actuel chef de l'exécutif étant Leung Chun-ying. La cause immédiate du mouvement auquel nous venons d'assister – qui est, ainsi que vous venez de le relever, monsieur le président, sans précédent dans l'histoire de Hong Kong, a fortiori depuis sa rétrocession à la Chine – a été la décision prise le 31 août dernier par le comité permanent de l'Assemblée populaire nationale de Chine de maintenir un système très rigoureux de sélection des candidats à l'élection au poste de chef de l'exécutif. Cette décision, jugée scélérate par une majorité de Hongkongais, tend en fait à perpétuer le système en vigueur : le comité électoral de 1 200 membres qui élit actuellement le chef de l'exécutif – et dont la majorité sont proches de Pékin ou ont des raisons de voter dans le sens que Pékin leur indique – serait remplacé par un comité de nomination formé selon les mêmes procédures, qui serait chargé de sélectionner les deux ou trois candidats qui pourraient se présenter aux suffrages des Hongkongais.

La décision du 31 août avait été précédée d'une consultation de la population, mais celle-ci avait été téléguidée et « microgérée » à la fois par Pékin et par l'establishment de Hong Kong. Les propositions soumises à Pékin au cours de l'été ne reflétaient donc pas le sentiment de la population, et la décision finale est apparue en décalage avec les aspirations de la majorité des Hongkongais, qui souhaitent, depuis plusieurs années, l'instauration de l'élection du chef de l'exécutif au suffrage universel direct. À l'origine, celle-ci avait été proposée pour 2007, puis elle a été retardée à 2017. Pékin souhaite garder le contrôle sur le choix du chef de l'exécutif et propose une élection qui se déroulerait sous la direction du parti communiste chinois, à l'instar des scrutins organisés en Chine continentale.

Le mouvement de protestation s'est développé de manière assez inattendue. Il a d'abord été organisé par des universitaires et des activistes politiques, notamment Benny Tai, Chan Kin-man et le pasteur protestant Chu Yiu-ming. Au bout d'une semaine, la mobilisation s'est étendue aux étudiants. La Fédération des étudiants de Hong Kong a rapidement repris la direction du mouvement et a décidé d'occuper pour une durée indéterminée plusieurs sites de Hong Kong, le principal étant les alentours du siège du gouvernement dans le quartier d'Admiralty. C'est la réaction relativement violente du pouvoir le 28 septembre dernier, notamment l'utilisation de gaz lacrymogènes et de gaz poivrés – ce qui n'était pas arrivé depuis de nombreuses années – contre des manifestants qui essayaient d'occuper ce site, qui a mis le feu aux poudres et qui a coalisé une grande partie de la société hongkongaise derrière le mouvement. Après ces incidents, le gouvernent a décidé de retirer la police de la voie publique et de laisser le mouvement se développer sur trois sites. Celui-ci est resté très soudé pendant plusieurs semaines et a réussi à imposer un dialogue au gouvernement.

Les discussions, organisées le 21 octobre par Carrie Lam, « numéro deux » de l'exécutif, n'ont débouché que sur deux résultats modestes : d'une part, le gouvernement hongkongais a promis de relayer le sentiment des protestataires à Pékin ; d'autre part, il a évoqué la possibilité de réfléchir, après 2017, peut-être pour 2022, à une évolution du mode d'élection du chef de l'exécutif et, éventuellement, du parlement – Legislative Council –, dont une moitié seulement est élue de manière démocratique, l'autre moitié étant désignée par des collèges professionnels. En revanche, il a fait savoir que la décision du 31 août ne pouvait pas être modifiée. Pékin et l'establishment hongkongais sont restés très unis et rigides sur ce point.

Jugeant ces deux propositions insatisfaisantes, les étudiants ont poursuivi le mouvement. Le soutien de la population s'est effrité petit à petit, parce que les manifestations portaient atteinte à la liberté de circulation et provoquaient des embouteillages nombreux et durables dans le centre de Hong Kong. Ce sont finalement des décisions de justice qui ont contribué à mettre fin au mouvement. Les étudiants sont restés respectueux de l'indépendance de la justice et se sont, dans l'ensemble, conformés à ces décisions. Le mouvement de désobéissance civile a trouvé là – je le souligne – une limite. Il s'est terminé dans les circonstances que vous connaissez, avec l'arrestation très symbolique de certains de ses responsables – étudiants, intellectuels ou hommes politiques – venus apporter leur soutien dans les derniers jours.

La situation est revenue à son point de départ : l'establishment hongkongais, soutenu par Pékin, refuse de modifier la décision du 31 août, tandis qu'une partie de la société de Hong Kong, notamment la jeunesse, reste très opposée à cette décision – le mouvement a mis en lumière un véritable fossé générationnel. En termes politiques, cela signifie que ladite décision ne pourra probablement pas être approuvée par le Conseil législatif en mars prochain. En effet, une majorité des deux tiers est nécessaire à cette fin. Or, avec vingt-sept sièges sur soixante-dix, les députés pan-démocrates représentent un peu plus du tiers du Conseil. Si les autorités de Pékin veulent vraiment faire passer cette décision, elles devront donc rallier quatre députés pan-démocrates. À ce stade, ces derniers sont très unis, et on voit mal comment la décision pourrait être validée. Dès lors, en 2017, le chef de l'exécutif sera probablement élu selon la procédure en vigueur actuellement, c'est-à-dire par un collège électoral de 1 200 représentants pour la plupart proches de Pékin.

Le mouvement a aussi révélé la fracture sociale qui existe à Hong Kong : une frustration croissante s'exprime face à la montée des inégalités, face à l'arrivée massive de Chinois du continent – non seulement des touristes, mais aussi des personnes qui viennent s'installer et prennent souvent les meilleurs emplois du territoire, parce qu'ils sont plus diplômés – et face à la détérioration de la situation économique, l'accession à la propriété devenant de plus en plus difficile compte tenu de la volatilité et du niveau élevé des prix sur le marché immobilier.

Je vois mal Pékin faire des concessions et revenir sur sa décision du 31 août, mais je n'exclus pas une forme de négociation qui pourrait favoriser, à plus long terme, une évolution des positions de part et d'autre. Certes, Pékin et l'establishment hongkongais ont gagné : leur stratégie – laisser pourrir le mouvement – a payé. Mais ils sont conscients que les problèmes, notamment sociaux, restent entiers. Ils devront rétablir la communication avec la partie importante de la société qui se sent exclue et trouver une solution politique à la confrontation à laquelle nous avons assisté ces dernières semaines.

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