Intervention de Jean Leonetti

Séance en hémicycle du 21 janvier 2015 à 15h00
Débat sur la fin de vie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le problème de la fin de vie est aussi ancien que l’humain, puisque la conscience de la finitude de l’homme est concomitante de la pensée et du langage. Le passage de l’animal à l’état d’homme résulte précisément de la double conscience de sa finitude et de l’existence de l’Autre.

En effet, la mort c’est, toujours, l’Autre. Ma mort étant une expérience impossible, je ne peux que l’imaginer ou la fantasmer à partir d’une expérience, le plus souvent celle de la perte d’un être cher. C’est elle qui structure alors ma pensée et ma conception de la fin de vie.

Chaque société aussi a sa propre vision de la mort. La mort antique est un destin ; la mort chrétienne est un salut. Quelle est-elle pour notre société et, puisque « chaque société a la mort qu’elle mérite », selon un des sociologues que nous avons auditionnés, que nous dit-elle du sens que nous donnons à la vie ?

Dans la société actuelle, l’individu prime sur le collectif et son autonomie s’est accrue. L’immédiat l’emporte sur la durée et la réaction sur la réflexion. Privés de repères pérennes, la majorité de nos concitoyens ne structurent plus leur pensée autour d’un au-delà possible ou de lendemains qui chantent : c’est ici et maintenant que tout se joue. Pour beaucoup, la mort est donc insensée – elle n’a littéralement plus de sens – voire, malheureusement, impensée. Le déni et le tabou de la mort n’ont jamais été aussi présents que dans notre société moderne.

Parallèlement, grâce aux progrès de la science, la mort s’est peu à peu médicalisée. Elle intervient le plus souvent à l’hôpital, perdant ainsi son caractère familial et familier.

La médecine française a fait le choix, légitime, de la performance et de la médecine qui sauve et qui guérit, mais parfois aux dépens de la médecine qui accompagne et qui soulage. Il en résulte que la médecine fait naître quelquefois des situations d’une rare complexité et qui entraînent des souffrances importantes, voire insupportables pour le patient, pour son entourage et pour la société toute entière.

Qu’il soit le fruit de la culture médicale ou qu’il vise à satisfaire la demande du malade, l’acharnement thérapeutique, qualifié d’obstination déraisonnable par la loi, doit être combattu, tout ce qui est techniquement possible n’étant pas nécessairement humainement souhaitable.

Enfin, malgré les progrès considérables de la médecine palliative, l’offre de soins dans ce domaine est encore trop insuffisante, puisque 80 % des Français n’y ont pas accès. Elle intervient par ailleurs trop tard, le palliatif prenant le relais du curatif au lieu de s’y associer en amont. Il en résulte une médecine palliative presque exclusivement orientée vers l’extrême fin de la vie alors que cette médecine d’accompagnement et de soulagement devrait imprégner tout les actes médicaux.

La fin de vie est un sujet complexe, tributaire de valeurs médicales, sociales, personnelles, philosophiques et spirituelles. Elle recouvre en outre une immense variété de situations particulières, du nouveau-né dont la réanimation pose question, au grand vieillard qui meurt dans la souffrance.

Nous devons donc aborder ce débat en acceptant le conflit de valeurs qu’il suppose. Il ne s’agit pas du combat du bien contre le mal, ni de celui de la morale établie contre le progrès. Il s’agit d’un combat du bien contre le bien, d’un conflit opposant des valeurs fondamentales pour notre pays : une éthique de l’autonomie ayant pour référence la liberté et la défense de l’individu contre le groupe, et une éthique de la vulnérabilité, qui fait primer la solidarité et les valeurs collectives. Ces valeur doivent se réconcilier plutôt que s’affronter au chevet du mourant.

Dans ce contexte, les lois de 1999, 2002 et 2005 affirment avec force notre fraternité, qui s’exprime par le refus de l’abandon, de la souffrance et de l’acharnement thérapeutique, mais aussi par l’affirmation du principe d’autonomie. Respecter la parole du souffrant est un devoir pour le soignant.

Cependant, malgré ces différents textes législatifs, le « mal mourir » persiste en France. Douze pour cent de nos concitoyens meurent dans des douleurs physiques réfractaires, sans parler des souffrances qui ne se résument pas à la douleur physique. Ainsi l’étouffement n’est, dans huit cas sur dix, pas pris en compte en fin de vie.

Cicely Saunders, qui initia les soins palliatifs au début du XXe siècle, définissait la fin de vie comme une souffrance globale, physique et psychique, appelant une prise en charge globale.

Certains de nos voisins ont ouvert un droit à la mort. Or on constate qu’en Suisse, dans 30 % des cas, la mort est donnée à des personnes qui, loin de souffrir d’une maladie incurable, sont simplement âgées et lasses de vivre. En Belgique, ce droit est désormais ouvert aux mineurs et aux malades mentaux. Enfin, selon une étude menée conjointement par l’Institut national des études démographiques, l’INED, et l’Observatoire national de la fin de vie, les morts données à des malades qui n’ont pas demandé à mourir sont trois fois plus nombreuses en Belgique qu’en France. Comme Didier Sicard le souligne dans son rapport, « toute transgression appelle une transgression supplémentaire ». C’est la théorie bien connue de la rupture de digue consécutive à l’érosion des barrières éthiques.

Par ailleurs donner la mort apparaît en contradiction avec nos pratiques et nos valeurs communes. Sur le plan médical, en France du moins, la mort n’est pas la poursuite du soin mais l’interrompt. Sur le plan social, la médecine a le devoir de réanimer ceux qui ont tenté de mettre fin à leur jour, la société luttant contre le suicide qui, à ses yeux, traduit la désespérance plus que la liberté individuelle.

Enfin, comme le soulignait Robert Badinter, la faculté de se donner la mort à titre personnel devrait être considérée comme un droit-liberté, par opposition à un droit fondamental : le droit à la vie, qui est un droit-créance c’est-à-dire opposable à la société.

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