Intervention de Jean-Louis Touraine

Séance en hémicycle du 21 janvier 2015 à 15h00
Débat sur la fin de vie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, au moment où l’on s’échange quotidiennement des voeux de santé, nous sommes sollicités pour l’analyse d’un texte sur la fin de vie.

Derrière cet apparent paradoxe, nous sommes en réalité exhortés à reprendre une réflexion philosophique ancestrale qui préoccupe les humains depuis la nuit des temps. L’homme a la conscience claire de la finitude de sa vie et, si notre civilisation moderne fait une place plus réduite que les sociétés antiques à la méditation sur la mort, elle n’en exprime pas moins le désir d’une fin de vie dans la dignité.

Or le mal mourir persiste en France aujourd’hui. Nos concitoyens expriment le désir d’une fin de vie paisible, à domicile, avec leurs proches autour du lit et sans acharnement thérapeutique ou obstination déraisonnable. La réalité est toute autre : la plupart des personnes décèdent à l’hôpital, souvent même dans un service d’urgence, avec une atmosphère caractérisée par le bruit ambiant, le stress, et non propice à des propos intimes et affectueux. Quant à ceux qui relèvent légitimement de soins palliatifs, seuls 20 % d’entre eux peuvent y accéder, et cela pendant une période souvent bien trop courte de deux à trois semaines.

Le texte proposé apporte nombre d’améliorations et il faut rendre hommage à Alain Claeys et Jean Leonetti pour les multiples auditions effectuées, pour le travail de synthèse et pour la recherche d’une convergence. Point important, il met la personne concernée au centre des diverses mesures législatives préconisées et non plus les soignants, les médecins notamment.

La proposition de loi apporte des droits supplémentaires : le droit à être entendu – la volonté de chacun, exprimée dans les directives anticipées, doit être suivie ; le droit à ne pas souffrir grâce à une application étendue des traitements antalgiques et sédatifs ; le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès ; le droit à bénéficier effectivement de soins palliatifs sur tout le territoire national.

Tout ce travail et ces avancées complètent la loi dite Leonetti du 22 avril 2005. Des réflexions nombreuses ont été conduites depuis cette date. Je n’en citerai que quelques-unes : la proposition de loi Ayrault-Valls dont j’étais également signataire en 2009, l’engagement formel du Président de la République lors de la campagne présidentielle de 2012, la commission Sicard, l’avis du Comité consultatif national d’éthique, les débats dans toute la France ou encore la conférence des citoyens.

La proposition du Président de la République était, je le rappelle, que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »

Cette réflexion ne s’arrête pas aujourd’hui. Elle se prolongera certainement au-delà du texte législatif et, dès maintenant, elle va conduire à enrichir la proposition de loi qui nous sera prochainement soumise.

De l’avis des auteurs, certaines situations ne sont pas prises en compte : les maladies avec dégénérescence neurocérébrale et la réanimation néonatale en particulier. J’ajoute que les situations où la fin de vie est fortement réclamée avant la phase absolument terminale sont également exclues, de même que les situations où la période agonique se prolonge exagérément, accompagnée de troubles très pénibles pour tous, telles des suffocations prolongées.

Enfin, la souffrance n’est pas définie. Or si l’on sait aujourd’hui le plus souvent calmer les douleurs physiques, il n’en est pas de même des souffrances psychiques beaucoup plus rebelles, toujours plus difficiles à apaiser. Sera-t-il considéré partout, dans chaque domicile et dans chaque hôpital, que de telles souffrances psychiques graves justifient une intervention ? Laquelle ? Comment organiser la décision conjointe de la personne concernée et d’un collège d’experts ?

Toutes ces questions pourraient faire l’objet de discussions, puis de compléments à un texte dont la nature consensuelle ne sera pas remise en cause. L’Assemblée nationale et le Sénat, inspirés par un esprit de raison, de pragmatisme et d’une laïcité si importante dans notre pays, trouveront le chemin de l’élargissement du droit et des libertés. Le respect de la volonté individuelle primera sur le désir d’imposer au patient un point de vue extérieur à sa personne. L’hétérogénéité des pratiques ne sera plus dictée par les différences de philosophie entre les médecins, mais par les choix individuels des patients. Idéalement, il ne devrait plus rester de situations où des mesures sont prises en catimini faute d’avoir été anticipées et prévues par la loi.

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