Intervention de Jean-Christophe Fromantin

Séance en hémicycle du 30 janvier 2015 à 9h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 9

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Fromantin :

Je m’associe bien entendu aux remerciements sur la qualité de la présidence dans cet hémicycle, d’une manière générale. Je ne rappellerai pas les enjeux de ce sujet emblématique du projet de loi que nous examinons.

Le permis de conduire, premier diplôme en France, concerne des millions de Français. Aussi les dispositions du projet de loi à ce sujet sont-elles probablement les plus observées. Elles seront lues, monsieur le ministre, à l’aune des engagements que vous avez vous-même pris sur votre texte, ceux de simplifier, de rationaliser, d’introduire de l’efficacité et du concret, et de rompre avec les rentes de situation. Vous avez souhaité bousculer le système et percuter ses résistances, archaïsmes et éléments rétrogrades qui empêchent les Français d’avoir accès à des services publics efficaces, fluides et de qualité.

Nous sommes donc au coeur de ce que la politique peut produire comme résistances et retournements de situation.

Le permis de conduire est un examen organisé par l’État. Dans l’amendement que nous vous présenterons tout à l’heure, il n’est pas question de retirer à l’État la supervision, le contrôle du permis de conduire. Il y sera simplement question d’externalisation en confiant cette mission à des organismes certificateurs. À cette proposition de délégation à des organismes certificateurs, on peut opposer de nombreuses objections, dont une première concernant la sécurité.

S’agissant de ce thème de la sécurité, on peut observer, d’une manière générale, que l’État a déjà confié à des organismes certificateurs des missions extrêmement sensibles dans toute une série de domaines, notamment dans le domaine industriel, avec par exemple la surveillance de la sûreté nucléaire, de processus normatifs très délicats. Le ministère de l’industrie sait que ces délégations fonctionnent. Celles-ci permettent à l’État d’assurer son rôle de tutelle, de supervision, tout en confiant aux organismes certificateurs, sur la base de cahiers des charges extrêmement précis, le soin d’opérer les contrôles pour son compte.

On peut légitimement se poser la question de savoir si les organismes certificateurs auront les capacités nécessaires dans ce domaine. Celles-ci s’évaluent au regard d’une norme, celle du permis de conduire, que chaque pays d’Europe décline à sa manière directement par les acteurs publics en France, indirectement par le truchement d’organismes certificateurs, de sociétés privées, de délégations de service public, d’agences dédiées dans différents pays d’Europe.

À partir du moment où la norme est respectée et où la formation de ceux qui la dispensent l’est également, le sujet de fond n’est pas remis en cause, et c’est heureux. Il suffit de regarder les chiffres de la sécurité dans les différents pays d’Europe pour constater qu’il n’y a pas de corrélation entre la manière dont est organisée l’épreuve du permis de conduire et les résultats en matière de sécurité.

Quand bien même aurait-on un doute, notre proposition permettrait de redéployer les inspecteurs du permis de conduire sur des missions de prévention, d’information, de contrôle des auto-écoles ou des stages de récupération de points, bref toute une série de missions qui relèvent de la responsabilité de l’État, mais qui, faute de temps, ne peuvent être assurées par les inspecteurs.

S’agissant de l’externalisation, certains peuvent penser, à l’instar de M. Chassaigne, que la privatisation n’est pas acceptable. Je pourrais entendre cet argument, mais c’est bien vous qui l’avez introduite dans votre texte, notamment pour l’épreuve du code et pour le permis poids lourds. Pourquoi ce qui est possible pour une série d’épreuves ne le serait-il pas pour celles qui sont affectées par le délicat problème de la saturation ?

C’est vous qui avez ouvert la porte à l’externalisation. Nous, nous nous contentons de vous inciter à mettre en oeuvre cette « privatisation » là où cela serait vraiment efficace, là où les besoins sont réels. En fait, c’est jouer sur les mots que d’ouvrir cette hypothèse sans la décliner là où elle serait de nature à simplifier la situation.

L’argument relatif à la sécurité ne tient donc pas, et notre proposition serait même, au contraire, de nature à améliorer la sécurité. Quant à l’argument de principe sur l’externalisation, il ne tient pas non plus puisque c’est vous-même qui avez introduit celle-ci.

Reste l’argument économique évoqué lors de nos débats avant-hier : cela va coûter à l’usager. À cet égard, je ferai certaines remarques. Dans son rapport remis au ministre de l’intérieur, le Conseil national de la sécurité routière a évoqué la possibilité de faire payer l’épreuve, faisant valoir que cela permettrait de financer des inspecteurs supplémentaires. Pourquoi pas ? Mais la proposition n’a pas été retenue.

L’argument sur le coût – nos discussions d’avant-hier l’ont montré – relève de la plus totale hypocrisie. En effet, aujourd’hui on assiste à la combinaison de plusieurs phénomènes. La rareté des places d’examen a engendré l’émergence d’une économie périphérique, avec notamment des auto-écoles qui font payer entre 200 et 300 euros la présentation au permis de conduire. C’est une prime à celui qui peut payer.

En payant une inscription, le candidat aura droit à une place prioritaire, mais on va le dissuader d’aller trop vite et l’encourager à prendre davantage d’heures. C’est bien là une économie parallèle qui se construit. Prendre plus d’heures, c’est sécuriser les places d’examen pour les auto-écoles, mais c’est ausis renforcer les modèles économiques. Tel est l’effet pervers de la gestion de la rareté.

Par ailleurs, des brokers proposent des systèmes parallèles. Leur argument est simple : « comme il n’y a plus de places dans votre département, on vous en déniche une en Corrèze, dans la Creuse ou dans telle ou telle région ». Cela s’apparente à du courtage entre différents départements. C’est extrêmement malsain, mais c’est une réalité. Ce phénomène d’optimisation s’observe sur l’ensemble du territoire.

En outre, le recours au permis passé à l’étranger progresse également. Les candidats vont passer leur pays dans un pays où il existe une convention de réciprocité avec la France. Mais alors, on n’est pas sûr du tout de la qualité de l’examen et de l’enseignement proposé dans ces pays.

Par ailleurs, la conduite sans permis se développe dangereusement : 39 000 personnes sont contrôlées sans permis chaque année. Et si l’on rapporte ce chiffre aux statistiques du contrôle routier, nous arrivons à un nombre oscillant entre 500 000 et 2 millions de personnes qui conduisent sans permis au mépris total des règles de sécurité et d’assurance, mettant en danger les autres et eux-mêmes !

C’est l’incapacité de l’État de traiter de manière efficace l’organisation du permis de conduire qui génère cette économie parallèle, ces transferts dans d’autres régions, ces permis à l’étranger, ces conduites sans permis. La situation n’est plus acceptable. Et la solution que nous vous proposerons pour la régler est extrêmement simple et permettrait de préserver le rôle de l’État et des inspecteurs. Les organismes certificateurs feraient passer le permis, donneraient un avis à l’État qui délivrerait le permis sur la base de cet avis. C’est une mécanique qui fonctionne dans de nombreux domaines et qui ne fait pas débat.

Vous ne remettriez pas en cause la sécurité, bien au contraire. Celle-ci serait redéployée sur d’autres choses. Les derniers chiffres de la sécurité routière montrent d’ailleurs la nécessité d’un tel redéploiement.

Cette proposition n’aurait pas non plus pour effet de renchérir le prix du permis dans la mesure où l’organisme certificateur ferait passer le permis de conduire pour le prix d’une heure de conduite, à savoir 40 ou 50 euros.

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