Intervention de Bernard Accoyer

Réunion du 5 février 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Vous avez raison, monsieur Latour : la démocratie ne se découpe pas en tranches. Lui attribuer un qualificatif tel qu'« environnementale » reviendrait à la restreindre – une dérive dangereuse. Il n'y a qu'une seule démocratie ; elle a mis longtemps à se mettre en place dans les pays qui en bénéficient, et il serait imprudent d'en manipuler le cadre.

L'un des problèmes majeurs en matière d'environnement, c'est le recul de la culture scientifique dans les lieux de pouvoir et d'influence. On l'observe dans les cabinets ministériels, où les ingénieurs de l'État occupent une place de moins en moins importante dans la chaîne de décision. Malgré le travail de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), on l'observe également au Parlement, et enfin dans les médias, où certains articles à succès manient davantage les peurs irraisonnées que les connaissances et la rationalité. Au pays de Descartes, c'est préoccupant ! Notons également l'absence de courage politique des gouvernements qui, alors qu'ils disposent d'avis scientifiques incontestables, ne prennent pas certaines décisions nécessaires parce que des opposants – qui utilisent des arguments et des méthodes identiques à ceux des sectes – manifestent sur le terrain.

S'agissant du principe de précaution, en revanche, je ne suis pas d'accord avec vous. En tant que président du groupe majoritaire de l'époque, j'en avais suivi l'introduction dans l'article 5 de la Charte de l'environnement, dans le préambule à la Constitution. En effet, alors que des dispositions en ce sens existent déjà dans le droit européen et dans notre loi ordinaire – la loi Barnier –, la France est le seul pays à les avoir élevées au plus haut niveau de la hiérarchie du droit. Le chef de l'État s'était alors fait « marabouter » par Nicolas Hulot, avant de me marabouter à son tour.

La Charte a été difficile à faire accepter ; pour calmer les inquiétudes, nous avions prévu qu'une loi organique préciserait le cadre d'application du principe de précaution. Mais comme nous avons oublié de le mentionner dans la Constitution, on ne peut pas la voter aujourd'hui ; au final, le principe de précaution est invoqué à tort et à travers. Plus personne ne conteste aujourd'hui que si la France a perdu pied dans la recherche en biotechnologies – en particulier en matière de manipulations génétiques dans le domaine végétal –, c'est à cause d'une interprétation inadaptée du principe de précaution, pourtant bien rédigé à l'origine. On l'observe tant dans les discours que dans certaines jurisprudences : si le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État restent prudents, la cour d'appel de Versailles a par exemple ordonné, sans aucun fondement scientifique, de démonter des antennes de radio fréquence. La cour d'appel de Colmar a pour sa part exonéré de toute responsabilité pénale les faucheurs qui avaient arraché des plants de vigne dans une expérimentation scientifique conduite par l'Institut national de recherche agronomique (INRA) – le plus haut niveau de la recherche agronomique en France –, parfaitement encadrée et respectant toutes les procédures. C'est une catastrophe pour l'INRA et pour la science française. Contrairement à vous, je ne crois pas que l'on puisse se satisfaire de cette situation ; cela reviendrait à ignorer le cadre initialement prévu pour le principe de précaution, ainsi que les conséquences de son application actuelle sur la recherche française et le développement des filières de recherche dans le domaine de l'industrie chimique, biomédicale ou pharmaceutique. Le principe de précaution est devenu un épouvantail dans notre pays pourtant si créatif, contribuant à faire céder nos chercheurs aux sirènes de l'étranger.

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