Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Séance en hémicycle du 26 mai 2015 à 15h00
Dialogue social et emploi — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Après ce concert de louanges, il me revient de prononcer les premières paroles critiques sur ce projet de loi, et je n’ai pas l’intention de faillir à la mission qui m’est confiée par notre groupe. Souffrez donc, monsieur le ministre, que je commence par évoquer la manière particulière dont nous sommes saisis, en particulier de deux sujets. À vous entendre, à entendre les rapporteurs, ces sujets sont centraux, mais, en réalité, les dispositions concernées vont en fait venir compléter le projet de loi. Il s’agit, premièrement, des dispositions sur la pénibilité, rendues publiques ce matin, alors que nous entamons l’examen du projet de loi cet après-midi. Accordez-le moi : on peut faire plus long, comme délai. Il s’agit, deuxièmement, de la question du burn-out. À moins que je n’aie mal compris, nous ne connaissons toujours pas, à l’heure où nous parlons, les dispositions que vous vous apprêtez vous-même à inclure dans ce texte. Sur ces deux questions, qui sont loin d’être mineures, nous aurions préféré être prévenus plus tôt et disposer d’un temps de préparation un peu plus important, mais nous verrons bien, au cours du débat, ce que vous nous avez préparé.

Ensuite, monsieur le ministre, j’ai le regret de déplorer la piètre qualité rédactionnelle du texte que vous nous proposez : il est encore truffé de fautes de grammaire et de français. Jugeons-en au nombre d’amendements rédactionnels que le rapporteur a choisi de déposer, qui ne visent pas tous à apporter des précisions sémantiques ! Je m’interroge quand même sur le respect que l’on témoigne au Parlement en produisant et en déposant sur son bureau des textes d’une telle qualité. J’essaierai de corriger, par voie d’amendements, ces fautes dont je ne saurais faire grief au rapporteur de ne pas les avoir toutes relevées – le fond du texte l’occupait aussi. J’en profite pour saluer à mon tour le travail de mes collègues, en particulier Jean-Patrick Gille, dont je sais qu’il a passé beaucoup de temps sur la question des intermittents, et ce même si je ne partage pas tout à fait un certain nombre de ses conclusions.

À vous entendre, monsieur le ministre, c’est là une grande loi sociale, un texte qui va permettre l’adaptation des entreprises, une meilleure performance, une rénovation profonde du dialogue social – je ne fais que vous citer. Ce serait l’un de ces textes qui annoncent le retour du soleil, puisque, comme dit un adage que ne dément, jusqu’à présent, aucun contre-exemple, après la pluie, le beau temps.

À la différence de ce que vous nous avez dit, j’emprunterai mes deux premières citations à Jacques Rouxel – l’Assemblée n’a pas oublié que nous fêtons cette année le cinquantenaire de la naissance des Shadoks. Ces deux citations, tirées des Shadoks, me paraissent résumer parfaitement le texte que vous nous proposez : « Il vaut mieux pomper, même s’il ne se passe rien, que de risquer qu’il se passe quelque chose si on ne pompe pas » ; « En essayant continuellement, on finit par réussir, donc plus ça rate, plus on a des chances que ça marche ». Ces deux aphorismes me permettent, monsieur le ministre, de résumer votre intention. Pour le dire plus sérieusement, ce projet de loi n’est pas le texte du grand soir et de la révolution du retour de l’emploi. C’est au moins une occasion manquée et au pire un texte inutile.

Devant défendre devant vous la motion de rejet, cette motion de procédure qui regroupe les anciennes question préalable et exception d’irrecevabilité, je ne m’attacherai pas à montrer que ce texte est anticonstitutionnel : il ne contient aucun élément d’inconstitutionnalité, me semble-t-il. En revanche, il recèle beaucoup d’inutilités, et nous pourrions passer une partie de notre temps à autre chose.

Monsieur le ministre, depuis trois ans, notre pays compte chaque année 200 000 chômeurs supplémentaires. Nous avons dépassé, il y a quelques semaines, le seuil des 3,5 millions demandeurs d’emploi en catégorie A. Or je n’ai pas entendu parler, depuis une heure et demie, de ces personnes. Et, ayant suivi, par les moyens informatiques, les travaux de la commission, ayant entendu, tout à l’heure, les deux ministres et les différents rapporteurs, je ne vois toujours pas comment ce texte contribuera à réduire rapidement le nombre de demandeurs d’emploi dans notre pays.

Fallait-il faire une réforme du statut des intermittents ? Sans doute. Fallait-il consacrer ce statut dans la loi ? Pourquoi pas ? Faut-il veiller à ce que le régime des intermittents soit stabilisé ? Probablement, parce que nous partageons ce point de vue : si nous ne solidifiions pas le statut des intermittents, tout un pan de l’activité culturelle dans notre pays serait mis en danger. C’est une évidence partagée par tous, mais nous attendons avec impatience, monsieur le ministre, au-delà de ces dispositions législatives, une forme de courage qui consisterait à faire en sorte que plus personne ne puisse utiliser de manière détournée ce statut.

Nous le savons bien : le déséquilibre du régime des intermittents est principalement dû à deux phénomènes. Le premier, c’est le montant des indemnités perçues par certains bénéficiaires. Le deuxième, c’est le recours abusif à ce statut d’un certain nombre d’entreprises, y compris publiques, alors que les salariés en question remplissent tous les critères et présentent toutes les caractéristiques pour être employés en CDI. La réforme proposée ne nous paraît donc pas répondre à la question de fond.

Fallait-il réformer le système d’assistance des droits professionnels ? Je veux bien que le RSA ne soit pas efficace, d’autant que je n’ai pas voté cette réforme au cours de la précédente législature. Ce n’est donc pas moi qui avancerai des objections de fond. Faut-il, cependant, faire la réforme que vous nous proposez ? Mme la présidente de la commission des affaires sociales a bien dit tout à l’heure ce qu’il fallait dire : il faudra que le système atterrisse, c’est-à-dire qu’il faudra s’assurer que ceux qui sont censés en bénéficier puissent réellement en profiter, parce que c’est tout le problème qui sera posé. Et quand je vois la complexité du dispositif proposé, très franchement, il m’arrive parfois d’en douter.

Je concentrerai mon intervention sur le titre Ier du projet de loi. Mon excellente collègue Isabelle Le Callennec prendra tout à l’heure le relais sur la suite. Quel est, monsieur le ministre, l’innovation principale du titre Ier ? Est-ce la délégation unique du personnel ? Sûrement pas. Vous avez dit tout à l’heure vous-même à cette tribune qu’elle donnait pleinement satisfaction aux entreprises qui l’utilisent aujourd’hui. Il n’y a donc pas de révolution du côté de la délégation unique. Son régime est étendu. Pourquoi pas ? Ce n’est pas en soi une mauvaise idée. Admettons donc, mais nous nous demanderons – ce sera l’objet d’amendements – pour quelles raisons vous n’avez pas souhaité l’étendre davantage encore.

Est-ce le régime des négociations annuelles obligatoires ? Le rapporteur Sirugue l’a dit à la tribune, ce n’est pas non plus cela. Aucune de ces négociations n’est supprimée. Elles sont simplement regroupées, dans une volonté de réduire le nombre des échéances, des convocations et des réunions. Je ne suis pas moi-même un très ardent défenseur des négociations obligatoires, parce que, dans beaucoup de cas, on ne voit pas très bien à quoi elles servent… mais enfin, admettons. La révolution, en tout cas, n’est pas là.

La vraie innovation du titre Ier de votre texte, monsieur le ministre, ce sont les commissions paritaires régionales, bien entendu. Or celles-ci me paraissent présenter des inconvénients qui devraient inciter à porter un oeil critique sur leur réalité.

D’abord, je ne vois pas quelle mission novatrice ces commissions paritaires régionales exerceront dans le concert du dialogue social. S’il s’agit de désigner dix représentants des salariés, dix représentants des employeurs pour faire de l’information sociale sur des milliers de kilomètres carrés, en l’absence de moyens renforcés et de mission précise, avec une organisation qui n’est pas définie, je ne vois pas comment ces commissions partiaires régionales pourront simplement remplir la mission que vous leur confiez.

J’ajoute que les missions attribuées par la loi aux commissions partiaires régionales pourraient être déjà très utilement remplies soit par les organisations professionnelles de salariés, puisque c’est le travail des syndicats que d’informer les salariés, soit par les organisations professionnelles d’employeurs, puisque c’est le travail des organisations professionnelles – branches ou fédérations – d’informer leurs adhérents. Le principal problème des petites entreprises, ce n’est pas le dialogue social interne, c’est la manière dont s’appliquent les conventions collectives dans leur sein. C’est cela, la question de fond, et s’il fallait aider les entreprises de petite taille à quelque chose, ce serait à faire en sorte qu’elles appliquent correctement et complètement les conventions collectives de leur champ d’activité. Or il n’est pas de cas si particulier, de ce point de vue, qu’il nécessite une législation de cette nature – en tout cas, je n’en ai pas entendu parler. Nous n’avons pas particulièrement besoin d’instaurer comme vous le faites, par le biais de médiateurs ou d’intermédiaires, un dialogue formalisé dans les entreprises de petite taille.

Toutes les enquêtes d’opinion ont montré, à plusieurs reprises – et vous le savez, monsieur le ministre, car ces enquêtes arrivent d’abord chez vous –, que la majorité des salariés sont attachés à leur entreprise, entretiennent de bonnes relations avec leurs responsables et leurs employeurs ; c’est particulièrement le cas dans les petites entreprises. Il peut y avoir des désaccords, des frottements – c’est la vie –, mais les conflits de grande envergure qui se produisent dans les grandes organisations n’ont rien de comparable avec l’état du dialogue social dans les petites unités. Ce sont deux mondes différents : c’est d’ailleurs l’un des drames français que d’appliquer de manière univoque à ces deux univers les mêmes lois, les mêmes types de contrats.

Le dispositif que vous proposez conduira vingt personnes – dans le cas de la région dans laquelle j’ai été élu – à piloter des milliers d’entreprises. Ce problème se retrouvera dans toutes les régions de France : ces personnes devront, sans en avoir les moyens, informer des millions de salariés. Très franchement, je ne vois pas comment cela peut fonctionner. Certes, au bout du compte, le dispositif que vous avez inventé fera plaisir à une organisation syndicale, et ne fâchera pas une grande organisation patronale, mais au-delà, nous n’en voyons absolument pas l’utilité.

Monsieur le ministre, vous ratez une occasion de renforcer le dialogue social. Il n’y a pas, dans cet hémicycle, d’ennemis du dialogue social, en tout cas pas sur les bancs de l’opposition. Comment aurait-on pu renforcer réellement le dialogue social à l’occasion de ce projet de loi ?

Premièrement, il aurait fallu traiter la question des seuils : or vous ne le faites pas. Pourtant, vous savez qu’en 2008, le Premier ministre en exercice, François Fillon, a sollicité les partenaires sociaux pour engager une réflexion sur ce sujet. Il est advenu des seuils ce qu’il était advenu précédemment de la pénibilité, cher collègue Sebaoun : les partenaires sociaux n’ont réussi à s’entendre sur rien. Vous avez dit tout à l’heure vous-même, à cette tribune, et Mme Touraine ainsi que Mme Lemorton l’ont répété : dans ces cas-là, les pouvoirs publics – c’est-à-dire le Gouvernement et le législateur – doivent prendre la main et, selon leur volonté politique, dessiner le cadre d’une réforme des seuils. Quel est ce cadre ? Il n’y en a pas ! Il n’y a pas de réforme des seuils, alors que c’est certainement la première attente des employeurs à l’heure actuelle.

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