Intervention de Colette Capdevielle

Séance en hémicycle du 11 juin 2015 à 15h00
Signalement de la maltraitance par les professionnels de santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette proposition de loi a pour objet de « clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé ». Le 10 mars 2015, son adoption par le Sénat fut consensuelle. La semaine dernière, la commission des lois l’a également adoptée.

La préoccupation des mineurs est majeure et nous y sommes sensibles sur tous les bancs de l’Assemblée. De nombreux textes internationaux participent de cette protection avec – reconnaissons-le – une portée plus ou moins grande. La déclaration des droits de l’enfant, tout d’abord, a été adoptée par l’ONU le 20 novembre 1959. Ensuite, la jurisprudence française reconnaît à la convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 un caractère partiellement auto-exécutoire.

Depuis vingt ans, la protection de l’enfance s’est à la fois diversifiée et étoffée. Cette proposition de loi s’inscrit dans un indispensable dispositif de prévention des mauvais traitements faits aux enfants. La loi du 10 juillet 1989 a instauré un service national d’accueil pour l’enfance maltraitée assorti d’un numéro vert, le fameux 119. La loi du 6 mars 2000 a créé un défenseur des enfants, qui est désormais intégré auprès du défenseur des droits. Cette loi prévoit un effort important de formation des personnels qui sont en rapport avec les enfants.

Ce souci impératif de révélation des infractions commises sur les mineurs a conduit le législateur à procéder à de nombreux aménagements des textes, afin tout d’abord de faire reculer les prescriptions pénales, puis de clarifier et de faciliter les signalements administratifs et judiciaires des cas de maltraitance, en particulier par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.

La maltraitance est définie par la haute autorité de santé comme le non-respect des droits et des besoins fondamentaux des enfants, qu’il s’agisse de la santé, de la sécurité, de la moralité, de l’éducation ou du développement physique, affectif, intellectuel et social, comme le définit l’article 375 du code civil.

Face à la difficulté d’établir le danger couru par des mineurs et les infractions dont ils sont victimes et compte tenu des exceptions en vigueur, notamment le principe du secret médical, le législateur a instauré des obligations de signalement en consacrant des obligations et des autorisations de révélation. De même, nous avons ces derniers temps considérablement amélioré dans les textes le recueil de la parole de l’enfant, qui est aussi un élément important.

Néanmoins, toutes ces dispositions adoptées depuis vingt ans se révèlent encore très insuffisantes et, hélas, ne sont pas toujours adaptées. Les statistiques le prouvent : environ 20 000 enfants sont maltraités chaque année, dont 6 000 sont victimes de violences physiques, 2 500 environ de violences psychologiques et 5 500 de violences sexuelles. Ces chiffres proviennent de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée.

La présente proposition de loi résulte d’un constat : seuls 5 % des signalements de maltraitance proviennent des professionnels médicaux, et 1 % seulement des professionnels médicaux libéraux. Autrement dit, ce sont principalement les personnels de l’éducation nationale qui signalent les situations de maltraitance.

L’analyse de ces statistiques révèle que les causes du phénomène sont multiples. Il faut tout d’abord pallier le défaut total de formation de l’ensemble des professionnels. Ensuite, les professionnels savent bien souvent – hélas – que la parole de l’enfant peut être instrumentalisée par les parents l’un contre l’autre dans le cas de conflits conjugaux, et cela produit les drames que l’on connaît. D’autre part, il existe un lien évident et ancien, parfois même affectif, entre le médecin et l’ensemble de la famille qu’il soigne. Enfin, il faut bien reconnaître qu’il existe des craintes de poursuites judiciaires et disciplinaires – qui sont parfaitement compréhensibles. Elles correspondent à la peur souvent irrationnelle de la police et du rouleau compresseur de la justice dont on ne sait guère, une fois enclenché, quand il s’arrêtera, et à la peur d’être poursuivi pour fausse dénonciation, ce qui peut détruire une vie de famille ou une carrière professionnelle, comme nous l’ont montré plusieurs affaires célèbres. Il n’est donc pas aisé pour un professionnel de santé de rompre ce lien de confiance renforcée qui l’unit à l’ensemble de la famille qu’il soigne.

Partant de ce constat et du fait que les professionnels de santé sont souvent les mieux placés pour signaler les situations de maltraitance, le texte qui est aujourd’hui soumis à notre vote vise à introduire dans le code pénal le principe de l’irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire des professionnels de santé qui effectuent un signalement de maltraitance. Désormais, la responsabilité de ces professionnels, quelle que soit leur fonction, ne pourra plus être engagée en raison d’un signalement, sauf – le cas est rare – si leur mauvaise foi est prouvée. L’objectif de ce texte consiste bien à ne pas décourager, voire à encourager les signalements, sans crainte d’éventuelles poursuites. Le Sénat a renoncé à rendre le signalement obligatoire ; c’est tout à fait pertinent.

Désormais, les professionnels de santé ne pourront plus objecter le risque de dénonciation calomnieuse ou de procédure disciplinaire, pénale et civile. Cette proposition de loi est donc de nature à les tranquilliser, puisque les dispositions qu’elle contient les protègent. Dans les cas les plus graves – viols ou agressions sexuelles – qu’ils estimeront les plus lourds de conséquences, ils pourront choisir la voie lourde en saisissant sans délai le procureur de la République. Dans tous les autres cas, qui peuvent parfois être très graves, ils auront désormais la possibilité de s’adresser directement à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. Les informations préoccupantes recouvrent précisément les indices du danger auquel les enfants sont exposés. La transmission concerne les informations qui, pour les professionnels de santé, constituent un motif de préoccupation, et qui demandent à être recoupées et approfondies au moyen d’une enquête sociale. Il est vrai que le travail pluridisciplinaire est aujourd’hui le plus efficace, tant en termes de prévention qu’en termes de réaction.

Le Sénat a étendu l’immunité prévue à l’article 226-14 du code pénal à l’ensemble des membres des professions médicales ainsi qu’aux « auxiliaires médicaux ». Mes collègues m’ont très opportunément alertée à propos du champ des professionnels concernés par cet article. C’est ainsi qu’après réflexion et dans l’esprit de ce texte qui vise à préciser et à élargir le champ des professionnels concernés par l’article premier, je proposerai un amendement tendant à remplacer les mots « membre d’une profession médicale ou à un auxiliaire médical » par la formule « médecin ou à tout autre professionnel de santé », qui est plus générale et qui englobe l’ensemble des professionnels médicaux. Cette nouvelle mention des professionnels de santé élargit le champ d’application du texte en intégrant notamment les auxiliaires de puériculture, qui sont en lien quotidien et constant avec les enfants, tant à l’hôpital que dans les services de protection maternelle et infantile, ainsi que tous les établissements d’accueil de nos jeunes enfants – cela va de soi. Sont également concernés – et ce n’est pas rien ! – les pharmaciens qui, par leur mission de conseil, surtout dans les zones rurales et dans les petites villes, entretiennent une relation de proximité directe avec toutes les familles.

Par cet amendement, nous couvrirons donc tous les professionnels de santé et, monsieur le rapporteur, nous compléterons et enrichirons cette proposition de loi opportune, qui nous convient.

Enfin, nous estimons qu’il aurait été tout aussi opportun que ce texte intègre par voie d’amendement la proposition de loi plus générale sur la protection de l’enfance que nous avons examinée voici quelques semaines. Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de vous rappeler respectueusement que telle était d’ailleurs la position de Mme Laurence Rossignol, contrairement à ce que vous avez indiqué en commission des lois. Voici en effet ce qu’elle a déclaré au Sénat : « Mmes Meunier et Dini ont fourni un formidable travail d’évaluation de la loi de 2007 avant d’aboutir à la rédaction d’une proposition de loi commune. Les dispositions de la proposition de loi de Mme Colette Giudicelli auraient d’ailleurs trouvé toute leur place au sein de l’approche globale de ses collègues sénatrices, et je regrette un peu que nous n’ayons pas eu l’occasion de discuter de ce texte comme amendement à la proposition de loi Meunier-Dini qui est en cours d’examen ».

Au-delà de cette proposition de loi, en faveur de laquelle nous allons naturellement voter comme nous l’avons fait la semaine dernière en commission des lois, l’amélioration de la détection des situations de maltraitance passe essentiellement par des mesures de sensibilisation, de pédagogie, de formation et d’information de l’ensemble des professionnels de santé. N’oublions jamais que 80 % des mauvais traitements faits aux enfants sont infligés au sein de la famille : c’est donc bien à l’intérieur de leur famille que nos enfants sont le plus en danger, et ce dans toutes les catégories de familles, car aucune n’est à l’abri. C’est dire toute la nécessité de traiter le plus tôt possible les situations de maltraitance, qui sont sournoises et chroniques, comme l’indiquent toutes les études et tous les professionnels.

C’est bien pour cette raison que nous devons tout mettre en oeuvre pour réduire ce chiffre honteux qu’évoque le rapport du Sénat : en 2015, 10 % des enfants de France sont victimes de maltraitances. Légiférons et, madame la secrétaire d’État, continuons à travailler pour y parvenir !

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