Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 12 décembre 2012 à 15h00
Adaptation de la législation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes un peu dans une situation curieuse : 250 pages de textes nouveaux – ce n'est pas rien –, dix députés présents dans l'hémicycle, peut-être onze. Nous sommes tardivement saisis d'un texte fourre-tout, ayons l'honnêteté de le reconnaître, un peu dans le style des DMOS que nous votons en général au mois de juin ou au mois de juillet.

Ces textes, qui sont importants, et qui contribuent, comme vient de le rappeler mon excellent ami François de Rugy, à l'architecture européenne, auraient peut-être mérité mieux.

Ce projet de loi, adopté par le Sénat, transpose en droit français trois directives européennes, qui elles-mêmes se subdivisent en un certain nombre de textes. Il s'agit de la directive relative à la monnaie électronique, de la directive dite Omnibus I, et de la directive relative à la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.

S'agissant d'abord de la monnaie électronique, reconnaissons que tout n'a pas été brillant dans l'action du précédent gouvernement : dix-huit mois de retard, ce n'est quand même pas quelque chose à louer. Sur ce point, je fais miennes les observations du ministre et du rapporteur. On a vraiment l'impression que la France a considéré avec négligence ses obligations vis-à-vis de l'Europe, cela alors même qu'elle encourait des sanctions – elles n'ont finalement pas été prononcées –, comme d'ailleurs cinq autres pays, la Belgique, l'Espagne, Chypre, la Pologne et le Portugal, qui n'avaient pas plus respecté les leurs. Je crois que si nous n'avons pas été condamnés, c'est parce que le nouveau gouvernement a fait tout ce qu'il fallait, en particulier à partir du 1er août 2012, pour saisir le Sénat et faire en sorte que la Commission européenne renonce à saisir la Cour de justice de l'Union européenne. La Belgique, elle, a été condamnée à des indemnités qui ne sont certes pas extraordinairement élevées, mais cette condamnation, sur le plan des principes, est une déconvenue absolument lamentable.

Ce retard autant que les restrictions issues de la précédente directive adoptée en 2000 sont la cause du faible développement de la monnaie électronique. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. À cet égard, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport de Christophe Caresche. En août 2007, la monnaie électronique ne représente que 1 milliard d'euros, à comparer aux 637 milliards d'euros en espèces alors en circulation. La monnaie électronique est donc peu utilisée en France, puisque les opérations financières réalisées en 2011 ne portent que sur des chiffres tellement faibles que, à la lecture du rapport, j'ai cru à des erreurs de frappe : 101 millions d'euros, contre 28 389 milliards d'euros pour l'ensemble des opérations en monnaie scripturale. J'ai vérifié, ce sont les bons chiffres. En pourcentage, la part de marché de la monnaie électronique par rapport à la monnaie scripturale n'est donc en France, en 2010, que de 0,24 %. C'est douze fois moins qu'en Belgique, et quinze fois moins qu'en Espagne, même si les pourcentages restent aussi très faibles dans ces pays. On peut quand même se consoler en notant que l'Allemagne, toujours citée en exemple, ne fait pas mieux que la France.

Notre vieux pays adore les bas de laine où l'on met les louis et les napoléons – pour réconcilier les républicains et les monarchistes (Sourires) –, et nous continuons par ailleurs d'utiliser les carnets de chèques, avec lesquels il faudra bien rompre dans les années à venir.

Grâce à cette directive, est-on en droit d'espérer quelque chose de nouveau ? Peut-être, car on peut noter cinq nouveautés.

D'abord, la définition de la monnaie électronique est beaucoup moins restrictive, et beaucoup plus neutre technologiquement, ce qui permettra un progrès.

Deuxièmement, le monopole bancaire en matière d'émission et de gestion de monnaie électronique est abrogé, grâce à la création, à l'article 11, de l'établissement de monnaie électronique, qui n'est plus nécessairement un établissement de crédit. On peut aussi y voir un progrès.

Troisièmement, les établissements de monnaie électronique bénéficient d'un élargissement du champ des activités qu'ils peuvent exercer. Ils peuvent fournir un service de paiement comme le change, contrairement aux établissements de paiement.

Quatrième progrès, le capital requis pour les établissements de monnaie électronique est revu à la baisse, le seuil passant de 1 million d'euros à 350 000 euros.

Cinquième progrès, la protection du consommateur est renforcée. Il sera mieux informé et mieux remboursé.

Mais tout cela, monsieur le ministre, s'il n'y a pas une volonté forte, de la part du Gouvernement, de passer à la monnaie électronique, ne servira pas à grand-chose. Il y a toute une éducation à faire, pour l'ensemble des Français.

J'en viens à la directive dite Omnibus I, qui aurait dû, elle aussi, être transposée au plus tard au 31 décembre 2011. Elle vise à adapter onze directives financières qui concernent les banques, les assurances, les marchés financiers, et qui doivent s'adapter à la nouvelle architecture de supervision européenne adoptée fin 2010.

Cette directive clarifie d'abord les compétences de l'Autorité bancaire européenne, de l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, mais aussi de l'Autorité européenne des marchés financiers. Elle renforce, ensuite – afin de la rendre plus simple et plus efficace –, la coopération de ces autorités européennes avec les autorités de supervision nationales, à savoir, pour la France, l'Autorité des marchés financiers et l'Autorité de contrôle prudentiel. Cela ne peut aller que dans le bon sens.

La troisième directive est importante, car elle concerne la vie de tous les jours, en particulier dans le secteur public. Il s'agit du volet public relatif aux transactions commerciales passées entre les opérateurs économiques et les pouvoirs publics. Notons que le volet interentreprises a été adopté, si mes souvenirs sont bons, en mars 2010.

Il est vrai que le délai global de paiement, à savoir le délai séparant la date de réception de la facture par les services de la personne publique de la mise en place du paiement de la dépense par le comptable, est passé pour l'État, entre 2010 et 2011, de vingt-sept à trente-six jours – ce qui est quelque chose d'insupportable –, alors que pour les collectivités territoriales, il n'est passé que de vingt-cinq à vingt-six jours. Ce n'est déjà pas brillant, mais c'est quand même mieux.

Le projet de loi vise donc à renforcer les contraintes en matière de délais de paiement, ainsi qu'à renforcer les sanctions en cas de dépassement des délais. Les créanciers pourront obtenir non seulement des intérêts de retard au taux légal, avec des majorations, mais aussi des indemnités forfaitaires.

En 2011, nous dit le rapport, les intérêts moratoires ont atteint 104 millions d'euros.

Avec le nouveau texte, si l'on ajoute les intérêts majorés aux indemnités forfaitaires, ce sera 50 % de pénalités complémentaires en plus par rapport à ce qui existe. C'est évidemment très utile.

La transposition de ces trois directives est justifiée car elles vont ainsi moderniser la France et ses moyens de paiement, mais aussi rendre plus rapide des paiements dont le retard nuit à l'ensemble de l'activité économique. Le groupe RRDP les adoptera bien sûr, tout en pensant qu'elles seront suivies d'autres directives tant il est vrai qu'en la matière, nous, Français, donnons souvent l'impression d'avoir plusieurs trains de retard – je suis bien placé pour savoir, monsieur le ministre, que les trains entre Paris et la Normandie ne vont pas vite !

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