Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 17 juillet 2015 à 9h30
Adaptation de la procédure pénale au droit de l'union européenne — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous arrivons presque au terme de l’examen de ce projet de loi de transposition de décisions-cadres et de directives européennes. Il s’agit d’un texte pénal et je vous remercie très chaleureusement pour la qualité du travail fourni. Vous êtes assidus dans l’examen des textes à caractère pénal dont la difficulté tient au fait que, ces dernières années, notre procédure pénale a évolué essentiellement sous l’influence de transpositions de textes européens.

Nous avons nous-mêmes insisté ici, il y a deux ans, sur la nécessité d’anticiper et de prendre la main sur la modernisation de la procédure pénale. J’ai confié une mission à Jacques Beaume, procureur général, qui a remis un rapport de très grande qualité, sur lequel nous allons nous appuyer pour proposer des modifications en matière de procédure pénale. Nous devrions ainsi pouvoir vous présenter, l’année prochaine, un texte visant à moderniser notre procédure pénale et à mettre un terme aux mécontentements suscités par les modifications introduites ces dernières années sur la base des transpositions européennes. Qu’ils soient fondés ou non, ces mécontentements sont en tout état de cause légitimes dans la mesure où l’instabilité de la procédure pénale conduit aussi bien les enquêteurs que les avocats chargés de la défense à considérer qu’ils n’ont pas de visibilité sur cette procédure. Nous avons fait un travail important avec la transposition des directives B et C. Nous avons même anticipé sur la transposition de la directive B. Nous avons ainsi amélioré notre procédure pénale, tant au niveau de l’enquête et de la poursuite qu’à celui du jugement. Nous avons aussi introduit des dispositions concernant l’audition libre, la présence de l’avocat dans ce cadre et la protection des mineurs.

Le texte que nous examinons aujourd’hui vise à transposer des décisions-cadres et des directives. Je ne reviendrai pas sur le contexte : dans le cadre de l’application du programme décidé lors du Conseil européen de Tampere, sont transposées en France des directives ou des décisions-cadres qui ont pour objectif de reconnaître les décisions judiciaires prises dans n’importe quel État membre de l’Union européenne, d’améliorer l’enquête et l’exécution des sanctions. Je ne reviendrai pas non plus sur les acquis tels que le mandat d’arrêt européen, le gel des avoirs criminels, les antécédents judiciaires, ou sur le contenu précis de ces décisions-cadres et directives parce que nous les connaissons tous pour y avoir travaillé intensément.

Je rappelle simplement que l’une d’entre elles permet d’essayer d’éviter les procédures parallèles en établissant un mécanisme de consultation et d’échange d’informations, de façon à ce que, pour les mêmes faits impliquant les mêmes auteurs et concernant les mêmes victimes, il n’y ait pas plusieurs procédures lorsque deux États membre au moins sont concernés. Une autre décision-cadre concerne la reconnaissance mutuelle des décisions de justice prises notamment en matière de contrôle judiciaire et de peines de probation, ce qui contribuera à la réinsertion puisqu’une personne faisant l’objet d’une telle décision pourra exécuter cette peine dans son pays de résidence.

Les directives intéressent principalement les victimes. L’une d’entre elle concerne l’application dans n’importe quel État membre des mesures de protection décidées pour les victimes ; une autre est relative aux droits, au soutien et à l’accompagnement individualisé de ces victimes.

Je tiens à m’arrêter un instant sur la politique d’aide aux victimes, pour laquelle nous sommes régulièrement mis en cause alors qu’il n’y a pas de comparaison possible entre celle conduite sous le précédent quinquennat principalement et celle que nous appliquons depuis trois ans. On a beaucoup parlé des victimes pendant le précédent quinquennat, alors que le budget consacré à l’aide aux victimes a baissé pendant cette période. Nous, nous augmentons ce budget depuis quatre ans : de 26 % la première année, de 8 % la deuxième année, et de 22 % les troisième et quatrième années. Nous aurons donc augmenté ce budget de 65 % en quatre ans à peine !

Nous avons surtout créé des bureaux d’aide aux victimes dans tous les tribunaux de grande instance – nous en avons ouvert une centaine sur la seule année 2013. Nous avons décidé, l’année dernière, de généraliser, pour les victimes de violence conjugale, le téléphone « grand danger ». Celui-ci est désormais disponible sur l’ensemble du territoire et permet de protéger non seulement les femmes, mais également les enfants, que nous prenons en charge.

Dans le cadre de la réforme pénale, nous avons introduit des droits : nous avons regroupé les droits en matière d’aide aux victimes, les avons améliorés et mieux garantis, notamment en permettant l’exercice de ces droits pendant la phase d’exécution de la peine. Nous avons lancé une expérimentation dans huit tribunaux de grande instance sur le suivi personnalisé des victimes, avant même la transposition de la directive par le présent texte. Nous avons évidemment amélioré la prise en charge, notamment sur le plan qualitatif, et mettons en place un réseau de correspondants sur l’ensemble du territoire pour des victimes particulièrement fragilisées. Voilà, en substance, ce que nous avons fait. Je ne m’attarderai pas sur ce que nous aurions encore à dire sur l’aide aux victimes.

Ce texte a été travaillé avec l’exigence dont vous êtes coutumiers lorsqu’il s’agit de la justice. La plupart, voire l’intégralité des dispositions concernant les transpositions ont été adoptées conformes. Le texte a été enrichi d’autres dispositions, sur lesquelles nous travaillons depuis au moins deux ans. Je pense notamment à l’encellulement individuel, introduit par le rapporteur Dominique Raimbourg, auteur d’un rapport sur cette question qui nous préoccupe tous et donne régulièrement lieu à d’intenses débats depuis une dizaine d’années au moins. Je pense aussi à la majoration des amendes. Ces deux dispositions ont fait l’objet d’un travail approfondi pendant au moins deux ans et demi et leur solidité juridique est incontestable.

Le Gouvernement a également introduit une mesure visant à protéger les victimes et les témoins, notamment de crimes contre l’humanité. J’ai reçu récemment aussi bien les magistrats du parquet que ceux du siège affectés au pôle spécialisé dans les crimes contre l’humanité : ils m’ont chargé de vous remercier pour la diligence avec laquelle nous avons pu introduire ces dispositions, issues d’un groupe de travail que j’avais mis en place. Tirant les leçons notamment du procès sur le génocide au Rwanda et insistant sur la nécessité de protéger les victimes et les témoins, tout en préservant évidemment nos audiences publiques, ce groupe de travail avait proposé d’introduire une mesure sur le huis clos partiel.

S’il la CMP n’a pas abouti, ce qui est dommage, cela tient essentiellement au fait que ces dispositions substantielles, ont été introduites par l’Assemblée nationale. Pour avoir longtemps siégé dans cet hémicycle, je sais à quel point chaque chambre est attachée à enrichir les textes et à y introduire des dispositions solides, mais je sais aussi que les relations entre les deux assemblées peuvent être délicates. Pourtant, dans certaines circonstances, la confiance s’installe et une chambre admet l’introduction de mesures substantielles par l’autre. En l’espèce, cela n’est pas le cas et nous examinons donc le texte en nouvelle lecture.

Il reste une disposition qui fera l’objet d’une discussion tout à l’heure sur la base d’un amendement du Gouvernement. Je ne reviens pas sur les circonstances dramatiques qui nous ont conduits à envisager d’introduire dans le code de procédure pénale des dispositions concernant la transmission par l’autorité judiciaire aux administrations d’informations relevant du domaine pénal. Jusqu’à présent, nous le faisions au moyen de consignes figurant dans des circulaires. Le secret de l’enquête étant un principe directeur prévu et encadré par l’article 11 du code de procédure pénale, il faut passer par la loi pour y déroger. Prévoir une telle dérogation nous conduit à donner des précisions sur le moment où s’effectuera la transmission d’informations, les agents qui seront concernés et la nature des infractions.

Ce texte est le support idéal pour procéder à cette modification du code de procédure pénale non seulement en raison de l’urgence qu’il y a à intervenir, mais également parce qu’une directive européenne de novembre 2013 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles fait obligation à tous les États d’informer les autorités compétentes des autres États membres des interdictions qui pèseraient sur des personnes dont la profession les conduit à être en contact régulier avec des mineurs, c’est-à-dire des enfants et des adolescents.

La difficulté de l’exercice consiste à trouver l’étroit chemin de crête nous permettant de concilier la nécessaire protection de ces publics fragiles, à savoir les enfants et les adolescents, avec le respect de la présomption d’innocence, autre principe fondamental de notre procédure pénale. C’est dans cet esprit qu’ont travaillé le Gouvernement, la commission des lois, le rapporteur Dominique Raimbourg et Colette Capdevielle. Je crois que nous avons trouvé la bonne mesure pour concilier ces deux exigences.

Je vous présenterai un amendement prévoyant des précisions complémentaires et quelques aménagements permettant notamment au procureur de décider de transmettre l’information dès le stade de la garde à vue, s’agissant de personnes en contact régulier avec des enfants et des adolescents et dans le cas d’infractions sexuelles et violentes à l’encontre de ces derniers. Évidemment, il faut prévoir des garanties et le recueil de la personne mise en cause serait une garantie forte.

Pour les infractions autres que les infractions sexuelles et violentes à l’encontre d’enfants ou d’adolescents, et pour les autres agents, la transmission d’informations doit s’effectuer au stade de la mise en examen. Je rappelle que les destinataires de ces informations, c’est-à-dire les administrations pouvant être appelées à prendre des mesures conservatoires, sont évidemment tenus au respect du secret professionnel. La violation de celui-ci est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Je vous renouvelle mes remerciements les plus chaleureux : nous avons travaillé sans relâche depuis le mois de juin, nous nous sommes vus presque tous les jours avec le souci réciproque d’élaborer le dispositif le plus exact et le plus efficace possible.

En première lecture, vous avez exprimé des réticences qui étaient fondées, puisqu’elles portaient sur la difficulté de conjuguer la protection des enfants et des adolescents avec le respect de la présomption d’innocence. La rédaction du texte posait des difficultés, et je crois que nous avons bien avancé sur ce point.

En tout cas, grâce à la disponibilité dont vous avez fait preuve, ces dispositions pourront entrer en application dès la rentrée prochaine. Elles s’appliqueront aux situations nouvelles. S’agissant des situations déjà existantes, nous sommes convenus qu’il est important de pouvoir les identifier, les repérer et d’y apporter des réponses. Nous y reviendrons à l’occasion de la discussion sur l’amendement du Gouvernement : nous pensons qu’une disposition réglementaire, bien travaillée en concertation, et qui pourra être prise dans les toutes prochaines semaines, devrait nous permettre d’apporter ces réponses.

Nous disposerons donc de la réponse législative pour les situations nouvelles, et de la réponse réglementaire pour les situations qui ont pu nous échapper, mais que nous avons le souci de détecter avec efficacité.

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