Intervention de Sébastien Pietrasanta

Séance en hémicycle du 8 octobre 2015 à 15h00
Isolement électronique des détenus et renseignement pénitentiaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Pietrasanta :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays est confronté à une menace inédite, celle du terrorisme. Environ 2 000 de nos ressortissants sont impliqués dans des filières djihadistes. Ce chiffre est alarmant et, à lui seul, résume l’ampleur jamais égalée de la menace. Empêcher nos jeunes de basculer dans un radicalisme ultra-violent est un combat qu’il faut mener. Le Gouvernement s’y est engagé et a déjà apporté des solutions.

Le plan anti-djihad du Gouvernement présenté en avril 2014 a permis d’intensifier la lutte contre le terrorisme. La mise en place du numéro vert a permis d’empêcher de nombreux départs.

Depuis le 29 avril 2014, 3 247 signalements concernant 3 113 personnes ont été pris en compte par ce centre, dont 1 950 cas émanant du numéro vert, 396 autres, soit 12,20 %, via le formulaire accessible sur le site Internet du ministère de l’intérieur, et 901 cas transmis par un service de renseignement territorial, par courriel, lorsque les signalants ont directement fait leur démarche dans un commissariat de police ou une brigade de gendarmerie. À ce chiffre s’ajoute celui des primo-signalés par les états-majors de sécurité, soit 4 001 cas, dont 749 mineurs, 930 femmes et 171 partis. Le bilan global est lourd : 6 951 signalés. Les femmes sont majoritaires puisqu’elles représentent 2 140 cas, soit 30,79 %.

La loi sur le terrorisme de novembre 2014, dont j’ai été le rapporteur, a permis de se doter de moyens législatifs supplémentaires pour lutter contre le djihadisme, La loi sur le renseignement adoptée en juillet dernier renforce les moyens techniques de nos services tout en préservant les libertés individuelles. À cela s’ajoute une augmentation des effectifs en matière de lutte contre le terrorisme. En janvier, le Premier ministre a annoncé plus de 2 600 recrutements sur trois ans dans les différents services et ministères.

Le contre-discours, la prévention et la déradicalisation sont aussi mis en oeuvre pour lutter à tous les étages contre la radicalisation et le passage à l’acte. Permettez-moi d’ailleurs de saluer le courage des familles, qui vivent un drame depuis le départ de leurs enfants. Elles ont décidé de s’unir, de réagir en apportant leur témoignage poignant et de sensibiliser notre jeunesse par des clips vidéos diffusés depuis hier dans les médias et sur le site « Stop djihadistes ». J’ai rencontré certaines de ces familles et je sais à quel point leur douleur est immense. Je leur apporte tout mon soutien.

Dans la lutte contre le terrorisme, nous partageons avec vous, monsieur le rapporteur, le souci d’être plus efficace en milieu carcéral et d’accroître le rôle du bureau du renseignement pénitentiaire mais, si nous partageons l’objectif, nous pensons que votre proposition de loi n’est pas suffisamment solide juridiquement, qu’elle est parfois contre-productive et ne prend pas en compte les débats et les apports de la loi sur le renseignement.

Le sujet du renseignement pénitentiaire est abordé par le petit bout de la lorgnette puisque vous ne faites référence qu’au seul IMSI-catcher. Vouloir résoudre un problème aussi sensible et complexe sous cet angle unique est particulièrement réducteur même si, personnellement, vous le savez, je suis favorable à un tel dispositif puisque j’ai cosigné avec Jean-Jacques Urvoas un amendement en ce sens lors de l’examen du projet de loi sur le terrorisme, sauf que je souhaite la création d’un véritable service de renseignement pénitentiaire, avec des personnels formés, permettant le recueil et l’analyse des données en milieu carcéral.

Pour empêcher les détenus de s’adonner au prosélytisme terroriste vous souhaitez autoriser l’administration pénitentiaire à prendre des mesures telles que le refus et le retrait de permis de visite, le contrôle du courrier postal. Vous réinventez l’existant. Le prosélytisme radical qui gangrène le milieu carcéral est déjà sanctionné par la loi de novembre 2014. Aujourd’hui, l’administration pénitentiaire a tous les droits pour éviter non seulement le prosélytisme, mais toutes les actions ou présences qui pourraient porter atteinte au bon ordre de l’établissement et pour prendre des sanctions. Le prosélytisme ne sera pas combattu avec vos propositions. Le problème est bien plus complexe que cela.

C’est un sujet sur lequel j’ai travaillé lors de la mission parlementaire sur la déradicalisation qui m’a été confiée.

Je me permets de dire quelques mots sur l’expérience pilote mise en place à la prison de Fresnes, qui consistait en un regroupement, dans une aile spéciale de la prison, des détenus condamnés ou en préventive pour terrorisme. Si cette expérience a permis d’endiguer le prosélytisme auprès d’autres détenus, elle doit être repensée et améliorée, car des difficultés sont apparues, comme le mélange de détenus prosélytes avec des détenus influençables, la formation du personnel ou l’absence de programme de déradicalisation.

Il est donc essentiel de catégoriser les détenus, entre les vrais leaders et ceux qui sont sous influence. Il convient d’éviter à tout prix que ces quartiers dédiés ne deviennent des quartiers de relégation, afin de ne pas aggraver les problèmes à la sortie de prison.

Pour être utile et efficace, la création de ces quartiers dédiés doit remplir plusieurs conditions : choisir les détenus pour éviter de mettre des prosélytes avec des détenus influençables ; ne pas exclure d’y mettre des « droits communs » radicaux ; proposer un programme de déradicalisation spécifique pour chaque détenu de ce quartier dédié ; former le personnel, notamment à reconnaître des signaux faibles, et apporter des moyens humains supplémentaires pour gérer les quartiers dédiés.

Nos actions de lutte contre le terrorisme sont sans précédent, et nous continuerons à agir avec détermination, pragmatisme et un grand sens républicain. En matière de lutte contre la radicalisation en prison et sur le renseignement pénitentiaire, nous souhaitons être plus efficaces et plus ambitieux que ne l’est votre texte dont, vous l’avez compris, nous souhaitons le rejet.

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