Intervention de Jean-Marie le Guen

Séance en hémicycle du 8 octobre 2015 à 15h00
Rétablissement de l'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs — Présentation

Jean-Marie le Guen, secrétaire d’état chargé des relations avec le Parlement :

...et que le rapport précieux, approfondi, fouillé qui en a découlé continue d’influencer très positivement l’action du Gouvernement.

Un grand nombre de ses mesures ont d’ailleurs été adoptées dans la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme du 13 novembre 2014 ; d’autres l’ont été le 24 juillet 2015 dans la loi relative au renseignement. Beaucoup a été fait en matière de police administrative, mais, c’est vrai, il reste encore beaucoup à faire, y compris en matière de lutte contre la radicalisation, notamment en matière carcérale.

Votre rapport constitue donc, monsieur Mennucci, une source majeure d’inspiration pour l’action du Gouvernement. Il suggère — c’est l’objet de la proposition de loi d’aujourd’hui – de rétablir l’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs non accompagnés. Interrogé par la commission d’enquête parlementaire, le Gouvernement avait à cette occasion exprimé certaines réserves, qui méritent, il est vrai, d’être étayées.

Tout d’abord, le Gouvernement souhaite livrer à la représentation nationale un élément de contexte. À ce jour, le nombre estimé de mineurs français présents sur les théâtres d’opération en Syrie et en Irak s’élève à 89, dont 53 jeunes filles. Quatorze mineurs combattent actuellement dans ces pays et cinq y sont décédés depuis le début du conflit. En outre, la plupart de ces mineurs peuvent avoir été embarqués par des familles, donc avoir obtenu l’approbation de leurs parents. Cet élément de discussion n’enlève rien à la situation dramatique que j’ai décrite précédemment.

Cette proposition de loi peut donc concerner un nombre très important de mineurs, évalué à 13 millions, alors qu’elle ne cible en réalité qu’une infime minorité d’entre eux – heureusement. En outre, la mesure qu’elle restaure avait essentiellement pour objet de venir appuyer l’exercice de l’autorité parentale par les parents. Dès lors qu’un mineur dispose d’un passeport, il est considéré comme bénéficiant d’une présomption d’autorisation de sortie du territoire, ce qui réduit encore la portée de cette disposition.

Comme vous l’aviez dit tout à l’heure, monsieur le rapporteur, si le Parlement fait le choix d’adopter cette mesure, il devra être conscient de la difficulté de l’appliquer dans l’espace Schengen, puisqu’elle n’est pas reconnue au niveau européen, à moins d’inscrire l’ensemble des mineurs ne bénéficiant pas d’autorisation parentale de sortie. Cela représenterait plusieurs millions de noms dont la saisie et la gestion dans les fichiers Schengen seraient très lourdes.

Enfin, si le Gouvernement n’a pas souhaité conserver ce dispositif, c’est parce qu’il reposait sur des autorisations délivrées par les mairies et matérialisées par des documents aisément falsifiables. Comme vous l’indiquez dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, il s’agit de rétablir le dispositif existant avant 2012. En adoptant cette proposition de loi, le législateur fera donc porter sur les mairies le traitement de ces dossiers : au regard de la situation, les maires endosseront une responsabilité considérable en cas de dossiers falsifiés.

Il pourrait dès lors être envisagé de sécuriser ce document en prévoyant sa légalisation par une autorité. Mais ce dispositif impliquerait l’accueil potentiel de 13 millions de mineurs et de leurs familles, afin d’authentifier la signature des deux titulaires de l’autorité parentale, et non d’un seul comme pratiqué jusqu’à présent. Les préfectures pourraient ainsi être chargées de cette activité, mobilisant un grand nombre d’agents et de guichets, avec une saisonnalité sans doute très marquée.

Il n’est pas possible d’évaluer la volumétrie de l’activité : à titre indicatif, la réception et l’instruction de demandes annuelles pour seulement 10 % des mineurs français, soit 1,3 million de mineurs susceptibles d’être concernés, à supposer qu’elles nécessitent dix minutes par dossier, mobiliserait en préfecture plus de 150 agents en équivalent temps plein. Vous comprendrez, mesdames et messieurs les députés, que cette hypothèse est difficilement acceptable car la charge financière induite la rendrait irrecevable.

Enfin, il faut avoir à l’esprit que cette mesure pénaliserait des millions de familles, notamment celles dont les parents sont séparés ou divorcés, ou séparés géographiquement pour des raisons diverses, où les autorisations expresses des deux parents se révéleront de fait difficiles à réunir. Et on pourrait multiplier les interpellations administratives sur ce sujet.

La suppression des autorisations de sortie du territoire a été rendue possible par le renforcement du dispositif de protection des mineurs prévu par la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Ce dispositif, qui ne visait évidemment pas l’objet dont nous parlons aujourd’hui, permet d’assurer la protection des mineurs par une procédure judiciaire et une procédure administrative réservée aux cas d’urgence. Ces deux procédures entraînent le signalement du mineur au fichier des personnes recherchées et au système d’information Schengen.

Il existe donc un dispositif administratif, l’opposition à la sortie du territoire prononcée par le préfet, et un dispositif judiciaire, l’interdiction de sortie du territoire, qui peut être prononcée par le juge aux affaires familiales et le juge des enfants.

Conscient que le dispositif prévu restait insuffisant pour prévenir le départ de mineurs en dehors d’un conflit familial, le Gouvernement a mis en place par une instruction ministérielle du 5 mai 2014 un dispositif d’opposition à la sortie du territoire national d’un mineur sans titulaire de l’autorité parentale, d’une durée de six mois renouvelable. Cette mesure est inscrite au fichier des personnes recherchées, le FPR, et au système d’information Schengen, le SIS, à la demande d’un parent lorsque ce dernier craint un départ vers des zones de conflit. Dans les faits, 74 oppositions à la sortie du territoire sans titulaire de l’autorité parentale ont été inscrites au FPR depuis mai 2014 et 18 interdictions de sortie du territoire ont été prononcées sur le fondement du code de la sécurité intérieure, modifié par la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

Les dispositifs existants, jugés plus performants que l’autorisation de sortie du territoire, permettent aux parents de demander le signalement de leur enfant au FPR auprès des services de police et de gendarmerie en cas de disparition, mais aussi de pouvoir signaler le risque de départ de leur enfant avant même qu’il ne se concrétise.

À travers cette proposition de loi, mesdames et messieurs les députés, vous démontrez votre volonté d’accroître l’efficacité de l’action publique afin de prévenir les départs. Cet objectif est bien naturellement partagé par le Gouvernement. Les départs vers les théâtres d’opérations terroristes sont des allers simples vers la mort – mort physique, mort psychologique, et sans doute mort morale. Il est de notre devoir de concevoir les dispositifs les plus efficaces pour lutter contre eux.

Le Gouvernement, vous l’avez compris, émet des doutes sérieux sur le caractère effectif du dispositif prévu par la proposition de loi et regrette les contraintes qu’il crée pour l’extrême majorité des mineurs non concernés par cette problématique. Il partage toutefois pleinement son objectif et comprend le message que souhaite adresser la représentation nationale. Aussi s’en remet-il au Parlement quant au vote de l’article 1er.

Le Gouvernement souhaite également tirer profit de ce texte pour intensifier les dispositifs existants, qui s’appuient sur le FPR et sur le SIS, pour empêcher les départs. C’est l’objet de l’amendement que nous proposons.

Cet amendement vise à renforcer l’interdiction de sortie du territoire en complétant l’article 375-5 du code civil afin de permettre au procureur de la République, en cas d’urgence, de prononcer une interdiction de sortie du territoire provisoire, assortie d’une inscription au fichier des personnes recherchées, comme mesure de protection du mineur. En l’état actuel du droit, seule l’autorité parentale peut initier l’opposition à la sortie du territoire. Celle-ci peut également être prononcée par le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants, si celui-ci a été saisi au préalable dans le cadre de l’assistance éducative.

L’objet de cet amendement est d’élargir considérablement les possibilités de signalement, tout en accroissant l’efficacité de la prévention et en préservant les libertés publiques. Je me permets à ce titre de signaler le caractère innovant de ce dispositif et son importance, y compris politique, au sens noble du terme. La police, la gendarmerie, mais aussi les services de l’éducation nationale, les structures éducatives, les services sociaux, les hôpitaux et médecins, les clubs de sport, pourront saisir le procureur de la République.

En étendant le champ des signalements possibles, cette mesure permettra de parer, en urgence, aux situations que les parents ne veulent ou ne peuvent pas voir, pour des raisons aisément compréhensibles. En outre, elle permettra de mobiliser l’ensemble des acteurs en contact avec les mineurs pour la prévention de la radicalisation et des départs à l’étranger. Cette question doit en effet être l’affaire de tous, et pas seulement celle de la police et de la justice qui, à eux seuls, ne peuvent pas tout détecter, ni tout empêcher. Elle n’est pas non plus l’affaire des seuls parents, et la mobilisation sociale constitue un élément important d’une approche nouvelle de l’éducation de l’enfant. La famille et les autorités régaliennes portent une responsabilité, mais elles doivent être épaulées par d’autres acteurs, comme autant de mailles du filet social.

L’interdiction de sortie du territoire pourra donc intervenir rapidement, dès réception et analyse du signalement par le parquet s’il est établi que les parents ne peuvent ou ne veulent pas intervenir. Sa durée maximale sera fixée à deux mois. Le procureur saisi d’un signalement qu’il estimera sérieux pourra ainsi agir sans délai, 24 heures sur 24, sans qu’une instance ouverte au préalable ne soit nécessaire, à charge pour lui de saisir sous quinze jours le juge des enfants.

Ce juge aura alors la charge d’assurer le respect du contradictoire, d’ordonner un examen approfondi de la situation du mineur, de prendre toute mesure de protection utile, et, bien entendu, de confirmer ou d’infirmer l’interdiction de sortie prononcée par le procureur à la lumière des éléments qui auront été recueillis. Comme la loi le prévoit déjà, le juge des enfants pourra prolonger la mesure d’interdiction pour une durée de deux ans.

Ce dispositif s’apparente à celui qui existe de longue date, et qui permet au procureur, saisi d’une situation de mineur en danger, d’ordonner son placement temporaire en urgence, avant la saisine d’un juge des enfants. Il a donc l’avantage de s’inscrire dans une pratique largement répandue, qui a démontré sa souplesse et son efficacité, et qui est connue des professionnels de la protection de l’enfance.

Avec cet amendement, le Gouvernement souhaite rendre hommage à la représentation nationale qui formule cette proposition de loi, soutenir les députés qui ont démontré leur volonté d’empêcher le départ sur les théâtres de guerre de mineurs français et accroître ainsi la détection des candidats au djihad.

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