Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 19 octobre 2015 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Article 22 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, la faiblesse politique de l’Union européenne tient en partie à l’insuffisance de son budget, contraint par des logiques nationales, et à son incapacité à peser réellement sur les grands défis internationaux et planétaires auxquels elle est confrontée : un budget resserré et totalement stérilisé par la montée des nationalismes et l’obsession du rabais.

Je crains que, dans cette période de replis de différentes natures, peu d’États soient enclins à majorer leur contribution au budget de l’Union européenne, ce qui ne laisse pas entrevoir une issue favorable. D’autant que les discours antieuropéens gagnent du terrain, au-delà de l’extrême droite, à l’extrême gauche et parfois même dans les partis de gouvernement. Bref, la logique nationale gagne malheureusement du terrain.

Dans ce contexte, quelles solutions réalistes se présentent à nous ?

Il y a tant de besoins et de problèmes à surmonter, qu’il serait nécessaire, plus que jamais, de hiérarchiser les politiques et de faire des choix. Bref, il me semble que le temps n’est plus à la dispersion, mais à la concentration sur des politiques prioritaires. Une meilleure allocation des ressources nécessite néanmoins de remettre en cause certaines dépenses, et ce sujet est explosif, car chaque baisse sera analysée à l’aune nationale.

Il en sera de même pour toutes les tentatives de mettre fin à tout ou partie des rabais qui se sont accumulés au cours du temps, et que la raison devrait nous conduire à revisiter. D’autant que certains de ces rabais – je pense au rabais de plus de 4 milliards d’euros dont bénéficient les Anglais, ou à celui de 700 millions d’euros pour les Pays-Bas – sont largement contestables, compte tenu de l’optimisation fiscale pratiquée directement par le second et, via ses territoires offshore, pour le premier.

Ces pratiques fiscales sont fortement préjudiciables à l’économie et donc aux recettes fiscales – qui nourrissent le budget européen – des autres pays de l’Union européenne et de la France.

Pouvons-nous compter sur de nouvelles recettes ? On parle beaucoup de l’affectation de la nouvelle taxe sur les transactions financières – Mme Auroi l’a évoquée dans son intervention –, qui pourrait voir le jour en 2017, puisque nous en avons voté le principe il y a quelques jours dans cet hémicycle. Un débat sur son affectation s’est instauré entre le financement du développement, celui de la transition énergétique, de la lutte contre les grandes pandémies ou encore de l’apport au budget de l’Union européenne.

La perspective de la COP 21 et la nécessité d’assurer son financement ainsi que les déclarations du Président de la République plaident pour les premières affectations évoquées, sachant que les questions du climat et du développement sont intimement liées, comme le démontre le rapport de MM. Canfin et Grandjean. Il existe toutefois une autre recette potentielle qui serait sans doute plus adaptée pour renforcer les moyens de l’Union et lui donner une orientation claire en faveur de la transition écologique de l’économie, en soutenant précisément les investissements dans la transition énergétique : c’est la taxe carbone aux frontières, laquelle pourrait être dédiée au budget de l’Union européenne.

Cet outil aurait un double mérite : faire en sorte que les produits importés reflètent leur juste coût carbone tout en rééquilibrant les échanges mondiaux au regard du dumping environnemental. L’instauration d’une nouvelle taxe n’est jamais une affaire facile, mais on peut se rappeler les difficultés à faire adopter la réglementation européenne Reach en 2007 sur les produits chimiques : les entreprises s’y sont finalement adaptées.

Bien sûr, il faudrait débattre de la nature des investissements à développer grâce à ces éventuelles nouvelles recettes, car tout investissement n’est pas pertinent par nature. L’investissement oui, mais pas n’importe lequel ! En période d’argent rare, il faut privilégier ceux qui ont le meilleur retour, qui permettent de réaliser des économies de fonctionnement – alors que c’est souvent le contraire : des dépenses de fonctionnement sont générées par les investissements –, ou qui, en tout cas ne les augmentent pas. Il faut privilégier des investissements qui diminuent les coûts externes et améliorent la balance du commerce extérieur. C’est là qu’apparaît la supériorité des investissements visant à économiser l’énergie ou à développer les énergies renouvelables.

La rencontre entre la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne et le financement des infrastructures de transition énergétique paraît donc assez naturelle. Ma première question, monsieur le secrétaire d’État, porte donc à la fois sur l’affectation de la taxe sur les transactions financières et sur la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Union.

Mais les investissements ne reposent pas que sur l’argent public, et il est urgent de déployer le Plan Juncker – lequel soulève toutefois des questions. Quelle est la réalité de l’effet de levier de 20 du plan ? Une activation de fonds publics de 15 milliards pour une dépense potentielle de 315 milliards est-elle bien réaliste ?

Quelle est également la capacité de l’Union européenne à ne pas se laisser tenter par une conception en partie datée des grands travaux ? Quelle est sa capacité à comprendre que des millions de rénovations de bâtiments publics ou privés valent bien, à travers des fonds de fonds, quelques dizaines d’autoroutes ou de ligne TGV ? Cette réflexion est d’autant plus pertinente que le Président de la République lui-même a souligné que seuls deux éléments manquent à la relance de la croissance : le bâtiment et les travaux publics.

L’Union européenne et les États doivent innover en faveur d’outils financiers adaptés aux financements pour la transition énergétique – infrastructures énergétiques, énergies renouvelables –, ce qui suppose, tout d’abord, la mise en place d’instruments financiers pouvant prendre en compte les aléas et les incertitudes sur la première phase de développement, comme le préconise M. Villeroy de Galhau dans son rapport sur le financement de l’investissement des entreprises. Un tel objectif suppose ensuite la généralisation de la taxe carbone grâce au « corridor de prix », pour le carbone, situé entre 15 et 20 dollars la tonne de C02 en 2020, puis entre 60 et 80 dollars en 2030-2035, une certaine latitude étant laissée à chacun des pays – je parle ici non de la taxe carbone aux frontières, mais bien de la taxe carbone mise en place dans chaque État. Cet objectif suppose enfin une convergence dans l’Union européenne des politiques en faveur de la transition énergétique.

Je résume : il faut prévoir une révision des rabais, de nouvelles recettes issues de la taxe sur les transactions financières et de la taxe carbone aux frontières de l’Europe, l’activation du Plan Juncker, avec les réponses aux questions que j’ai soulevées – notamment la capacité à mettre en place des fonds de fonds et à financer une multitude de petits projets, qui équivaudront à de grands travaux –, enfin, la hiérarchisation des investissements au profit de la transition énergétique.

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