Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 9h30
Protection de la nation — Présentation

Manuel Valls, Premier ministre :

Mesdames, messieurs les députés, je crois que ce moment solennel nous engage. Cette sincérité de chacun, cette évidence, ne doit pas s’évanouir.

C’est dans cet élan que, dès le mardi, le projet de loi prorogeant l’état d’urgence a été adopté par le Conseil d’État. Puis présenté, le mercredi, en conseil des ministres, le jour même où était donné l’assaut à Saint-Denis, pour neutraliser ceux qui voulaient probablement, à nouveau, frapper massivement à la Défense. Le texte a ensuite été adopté le jeudi par l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité, enfin par le Sénat, en des termes identiques, et promulgué. En une semaine, nous tous, collectivement, avons su faire face.

Ce serment, cet engagement du 16 novembre, c’est aussi cette révision constitutionnelle qui nous occupe aujourd’hui. Son but : adapter notre Constitution, le plus haut de nos textes de droit, celui qui s’impose à tous les autres, à la réalité de la menace. L’adapter en y inscrivant la possibilité de recourir à l’état d’urgence. Ce sera l’article 36 alinéa 1. Cette mesure, dont le Conseil d’État a dit toute l’utilité dans son avis du 11 décembre dernier, lui donnera un fondement incontestable, au plus haut de la hiérarchie des normes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui !

Il faut inscrire dans notre bloc de constitutionnalité le régime de circonstances exceptionnelles le plus fréquemment utilisé sous la Vème République. Car les deux régimes particuliers envisagés par la Constitution pour faire face aux crises, qu’il s’agisse de l’article 16 ou de l’article 36 sur l’état de siège, ne prévoient pas le type de situation à laquelle la France a été confrontée, et peut l’être à nouveau !

Cet article ne modifie en aucun cas, j’y insiste, les conditions qui actuellement justifient la mise en oeuvre de l’état d’urgence. Il encadrera au contraire strictement les motifs de son déclenchement et de sa prorogation. Ils ne pourront plus, comme c’est aujourd’hui le cas, être modifiés par une loi ordinaire. Nous graverons ainsi dans le marbre le caractère exceptionnel de l’état d’urgence.

Il est sain, pour une démocratie, de réserver la possibilité d’édicter des normes aussi sensibles à une majorité qualifiée. Le régime juridique des perquisitions administratives et des assignations à résidence sera précisé et complété par un projet de loi ordinaire. Il a fait l’objet d’une communication lors du dernier conseil des ministres. Et il vous sera officiellement transmis à l’issue de la procédure de révision constitutionnelle.

Il s’agira, d’une part, de créer des mesures individuelles de contrainte graduée et flexible, dans le respect des droits des personnes et, d’autre part, d’améliorer le régime juridique des perquisitions administratives. Nous achèverons ainsi la révision de la loi de 1955, engagée avec la loi du 20 novembre dernier.

Sans cette base constitutionnelle, au regard des évolutions de la jurisprudence intervenue depuis 1958, il aurait été difficile, voire impossible, de prévoir le régime de saisie administrative et de retenue temporaire.

Je le dis une nouvelle fois avec force : l’état d’urgence est un régime dérogatoire, aujourd’hui prévu par la loi – et demain, si vous le décidez, par la Constitution. Inscrire l’état d’urgence dans la norme suprême, c’est subordonner son application au droit. C’est la définition même, essentielle, de l’État de droit.

Vous avez présenté, mesdames, messieurs les députés, lors de l’examen du texte par la commission des lois, de nombreux amendements, notamment pour inscrire dans la Constitution le contrôle par le Parlement de la mise en oeuvre de l’état d’urgence, contrôle que vous exercez d’ailleurs déjà par un engagement sans précédent de votre commission des lois, contrôle voulu par celui qui en fut le président, M. Jean-Jacques Urvoas. Le Gouvernement est favorable au renforcement de ce contrôle et à la volonté que vous avez exprimée.

Le Gouvernement est également prêt à restreindre la durée de prorogation à une période maximale de quatre mois, renouvelable. C’est une avancée par rapport à la loi de 1955, qui ne prévoit aucune limite temporelle. Chaque prolongation devra donc faire l’objet d’un projet de loi, préalablement examiné par le Conseil d’État et, à chaque fois, ouvert à un recours éventuel devant le Conseil constitutionnel.

Ce que nous mettons en place, ce sont des mécanismes de contrôle très stricts sur le plan politique, comme sur le plan juridictionnel.

Mesdames, messieurs les députés, vous le savez, le 26 février, sans autre décision, l’état d’urgence prendrait fin. Aussi, parce que la situation l’exige, le Gouvernement a décidé de déposer, d’abord au Sénat, le 9 février prochain, le projet de loi prorogeant ce régime pour trois mois supplémentaires.

J’entends dire que l’état d’urgence ne se justifie plus, qu’il n’y a plus de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Ce n’est pas l’analyse du Gouvernement. Le ministre de l’intérieur le redit régulièrement aux groupes parlementaires qu’il reçoit place Beauvau, ou à l’occasion des réunions qui ont lieu tous les quinze jours à Matignon pour informer le Parlement à la fois de la menace terroriste, de la mise en oeuvre de l’état d’urgence et des initiatives diplomatiques ou militaires de la France. Et ce n’est pas non plus l’avis du Conseil d’État, qui a considéré, au regard de la situation, que cette nouvelle prolongation était justifiée et conforme à notre État de droit.

Oui l’état d’urgence est efficace, indispensable pour la sécurité de nos compatriotes. En trois mois, 3 289 perquisitions administratives ont permis la saisie de 560 armes, dont 42 armes de guerre ; 341 personnes ont été placées en garde à vue et 571 procédures judiciaires ont été ouvertes ; 407 personnes ont été assignées à résidence. Des mosquées radicales et des salles de prière ont été fermées. Des associations ont été dissoutes par le Conseil des ministres.

Les filières sont déstabilisées. De nombreux individus sont identifiés et placés sous surveillance. D’ailleurs, un des projets terroristes déjoués a pu l’être grâce à une perquisition administrative, menée dans le cadre de l’état d’urgence.

Et les tribunaux administratifs ont joué leur rôle, jusqu’à l’annulation et la réparation de certaines décisions. Mais le nombre d’annulations demeure très limité. Évitons également les caricatures : l’application de l’état d’urgence n’affecte en rien le débat démocratique. Tous les journalistes de ce pays peuvent exercer librement leur profession, et c’est heureux. Des élections régionales ont eu lieu, trois semaines après les attentats du 13 novembre. Le droit de manifester n’est en aucune manière entravé.

L’état d’urgence est bien sûr un régime provisoire. Et si sa prolongation jusqu’au 26 mai est nécessaire, c’est aussi pour permettre au Gouvernement de prendre les mesures qui renforceront, dans la durée, les moyens des autorités judiciaires et administratives pour lutter contre le terrorisme. C’est le sens du projet de loi présenté, il y a deux jours, par le garde des sceaux et sur lequel vous aurez à vous prononcer à partir du 1er mars – texte dont vous savez d’ailleurs qu’il est en préparation depuis plusieurs mois.

J’en viens à l’article 2 de ce projet de loi constitutionnelle. Il modifie l’article 34 de la Constitution pour que les conditions dans lesquelles une personne, même née française, peut être déchue de sa nationalité – dès lors qu’elle est condamnée pour atteinte grave à la vie de la Nation – relèvent du domaine de la loi.

Je crois qu’au moment où notre pays s’interroge, nous avons besoin d’actes qui rappellent ce qu’est la nation française, ce que cela veut dire, être français.

Être français, c’est – comment mieux le dire qu’avec les mots de Renan ? – « un plébiscite de tous les jours » ; c’est partager nos valeurs d’égalité, d’ouverture, de tolérance ; c’est une envie de construire l’avenir ensemble.

Voilà ce qu’est l’idéal qui est au coeur de la République et de la construction nationale ! Comment, dès lors, ceux qui rejettent nos valeurs, qui déchirent avec rage et violence le pacte républicain, qui s’engagent dans une armée terroriste pour tuer leurs propres compatriotes, pourraient-ils rester français ?

La déchéance de nationalité fait partie intégrante de la République. Tout a commencé en 1848, avec le décret combattant l’esclavagisme. La communauté nationale a dit alors clairement son refus. Elle a clairement exclu de son système de valeurs, de sa communauté nationale, ces Français esclavagistes, c’est-à-dire ces Français qui considéraient qu’un être humain pouvait être privé de sa liberté, devenir la propriété d’un autre, être exploité, échangé, négocié, humilié, mutilé et battu comme un vulgaire objet ou un animal.

Les textes de 1915 et 1917, puis celui de 1927 – adopté par le gouvernement d’union nationale de Raymond Poincaré –, ont confirmé l’inscription de la déchéance dans la tradition juridique républicaine. Il y a aussi le décret-loi de 1938 et l’ordonnance de 1945, qui restaure un régime normalisé de la déchéance de nationalité. Il y a enfin, plus récemment, les lois de 1973 et 1993, qui instaurent le régime actuel de l’article 25 du code civil ; la loi de 1996, qui étend la sanction de la déchéance aux crimes et délits terroristes ; et les lois de 2003 et 2006, modifiant les limitations temporelles de cette sanction.

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