Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 8 février 2016 à 21h30
Protection de la nation — Article 2

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi :

À mon tour, j’expliquerai pourquoi je ne voterai pas cette mesure que je juge inefficace, stigmatisante et dangereuse.

Tout le monde s’accorde à dire qu’elle sera inefficace parce qu’elle n’aura aucun effet dissuasif. Elle n’empêchera nullement un terroriste de passer à l’acte. Par ailleurs – et je rejoins Charles de Courson, car j’ai eu moi aussi un père résistant considéré comme un terroriste pendant la Deuxième Guerre mondiale –, nous devons nous demander qui détermine ce qu’est un terroriste. C’est un point que nous devrons travailler ensemble.

Stigmatisante est aussi cette proposition, car elle constitue – d’autres l’ont dit avant moi – une rupture d’égalité en créant deux catégories de Français, même si l’on fait des manières pour habiller la chose : ceux qui ne pourraient être déchus de leur nationalité, puisqu’ils ne peuvent devenir apatrides, et les autres, les binationaux, aujourd’hui français mais non à part entière, puisqu’ils pourraient demain être déchus. Cette mesure constitue une remise en cause inacceptable de notre droit du sol, constitutif de notre République. Elle s’attaque aussi à notre égalité.

Enfin, elle est dangereuse. Qu’entend-on exactement par « crime ou délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation » ? La formule est sujette à toutes les interprétations. Si demain un régime autoritaire décide de l’appliquer à de simples opposants politiques ou à des gens qui ont des opinions différentes, et d’étendre cette opposition aux délits ou cas possibles de déchéance, qui, en définitive, se retrouvera stigmatisé ?

Alors que la France est le pays des droits de l’homme, nous prendrions le risque, en votant cette mesure, d’être pointés du doigt par la Cour européenne des droits de l’homme et de devoir verser des sanctions financières, au motif que nous renverrions certaines personnes dans des pays qui pratiquent la torture ou infligent à leurs citoyens des traitements indignes. Nous tomberions en effet sous le coup de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Selon Hannah Arendt, être déchu de la citoyenneté, c’est être privé de son appartenance au monde. Sommes-nous prêts à infliger ce sort à certains de nos concitoyens ?

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